En Belgique, on ne fête pas dignement la Saint-Nicolas-patron-des-écoliers  –  le 6 décembre – sans un bon échantillonnage de massepains. Des crus, en forme de cochonnets, fruits ou petites pommes de terre, ou parfois personnages de contes comme Blanche-Neige et les sept nains. Et puis ceux que l’on ne voit qu’en cette période, ce qui ne les rend que plus attendus et désirables : les cuits, à la croûte dorée ou presque noircie qui cède sous la dent qui pénètre alors délicieusement dans une pâte de plus en plus tendre en son centre, aux formes de Saint Nicolas, de fleurs, de cœurs, grappes de raisin.

 


Et c’est parce qu’un agriculteur de la région de Liège – cette ville que Charles le Téméraire a mise à genoux après l’attaque des 600 Franchimontois - avait estimé être trop chétif pour continuer sur cette voie qu’il se rendit à Bruxelles où il apprit les secrets du massepain dans une boulangerie appelée Le Finistère, du nom de l’église autour de laquelle se blottissaient les commerces de ce quartier populaire construite à la fin des terres lorsqu’on l’avait érigée.

 

Et pourtant il en faut, de la force, pour faire le massepain, et s’il était chétif au départ, il a bien dû se muscler malgré lui à coups de han ! Car la pâte – sucre et amandes en quantités égales – est robuste et se travaille sans mièvrerie. Et lorsqu’on l’enfonce dans le creux du moule, c’est avec une belle et profonde force du poing pour ne rien gâcher du relief délicat qu’un artiste a ciselé un jour lointain avec tout son savoir d’artisan. Et c’est aussi ce qui distingue le massepain artisanal fait avec l’amour que l’on donne à une œuvre d’art et le respect que l’on veut retirer de son travail : le dessin est précis, et tout le savoir-faire de qui a un jour conçu ces moules est encore honoré aujourd’hui. Car le traiteur Jean-Marie (Raisier) a encore les moules bientôt centenaires datant de 1914 sur lesquels le grand-père a appris le métier. Le massepain est toujours cuit selon la tradition d’origine : sur du papier, contrairement au massepain industriel que l’on cuit sur des feuilles d’hostie.

 

 

On guette l’ouverture du magasin avec l’impatience des fidèles connaisseurs puisque voici 60 ans que cette lignée familiale pratique son rituel du massepain avec la même recette. La quatrième génération. Et le jour où enfin les portes ouvrent sur la boutique où s’alignent des rangées de cette succulente pâte d’amandes cuite gracieusement enrubannée, les clients ne se font pas attendre. C’est que pendant toute l’année, Jean-Marie est un traiteur « comme les autres » (parmi les grands puisque même le président Chirac a eu le plaisir de savourer son art) mais par tradition, du mercredi au samedi et ce 5 fois par an autour de la fête du grand saint seulement - de début novembre à début décembre - le passage Lemonnier dans le centre de la ville de Liège vibre d’un parfum familier et guetté par tous : celui du massepain cuit.

 

 

Si tout se passe bien, une tonne et demie de ce produit artisanal fait à l’ancienne sera vendue lorsqu’on refermera boutique pour une année. Et on le fait là, devant vous, tandis que votre nez chanterait s’il le pouvait et que vos yeux ne savent plus ce qu’ils sont venus chercher car entre une rose dorée de 500 grammes, un Saint Nicolas plus blond pour petites gourmandises de 150 grammes, un pavé bien cuit ou encore … (et surtout si j’en crois l’avis de ce jeune visiteur américain) des lettres farcies… on a la tête dans un manège. Un bien joyeux manège.

 

 

Et au plaisir du palais s’associe celui de cette simple évidence : ce que nous mangeons a exactement le goût et la texture de ce que nos grands-parents mangeaient à la même époque de l’année. Et si le travail fait comme autrefois est plus long et plus dur… c’est un hommage à un métier qui s’est transmis de père en fils dont on ne veut changer aucune étape.

                                                                                                                           Suzanne Dejaer