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Le curé à la console

Sens, quartier de la gare de l'Est, année 1957. Quand le petit Jean-Marie, 14 ans, annonce à son bonhomme de père qu'il veut être prêtre, Gaston Rigollet, magasinier agricole, fond en larmes : « Tu vas crever de faim, mon fils ! » Germaine, la mère au sang italien, se tait. Le gamin sait ce qu'il veut. Et il a la tête dure. Oui, il sera prêtre. Non, il ne crèvera pas de faim ! Il entre au petit séminaire (à Joigny) puis au grand séminaire (à Sens) avant de partir pour seize mois dans l'infanterie de marine. Son livret militaire précise, à l'encre rouge : « Non volontaire ». Le jeune homme sait aussi ce qu'il ne veut pas. A l'armée, cela s'appelle une forte tête. 

 

Retour au grand séminaire, en 1965, à Orléans. Jean-Marie sympathise avec l'évêque, Guy Riobé, qu'on n'appelle pas encore « l'évêque rouge ». Une forte tête, lui aussi. Proche des pauvres et peu conformiste. Quand Jean-Marie est ordonné prêtre à la cathédrale de Sens, juste après les événements de mai 1968, ce ne sera pas pour pantoufler dans une paroisse bourgeoise ! Mgr Sturm, archevêque de Sens et évêque d'Auxerre, l'envoie auprès des jeunes du quartier des Vauviers, à Auxerre. Là où les parents Rigollet ont pris leur retraite et où Jean-Marie a travaillé pendant quatre mois, comme OS à la Reliure Industrielle. Un quartier populaire dont il connaît déjà les rues, les cafés, les misères. En 1969, il devient barman du foyer des jeunes travailleurs. Animations diverses, cours d'escrime, expos de peinture, concerts de rock. C'est là, pour la première fois, qu'il manie une platine en tant que « DJ ». A partir de 1974, il s'occupe aussi de la maison des jeunes du quartier Saint-Pierre. Animateur de discothèque, organisateur de concerts, Jean-Marie fait venir Maxime Le Forestier, Guy Bedos, Claude Nougaro : les jeunes en redemandent. La maison des jeunes passe de 250 à 1.200 adhérents. « La foi, c'est d'abord la vie en commun, la découverte et le respect de son prochain ». N'est-ce pas sur les mêmes principes, il y a un siècle, qu'un autre homme de Dieu, l'abbé Deschamps, a fondé l'AJ-Auxerre ? 
  A L'ECOUTE DE L'AUTRE
Généreux mais rebelle, l'abbé Rigollet est une grande gueule. Quand son évêque le nomme aumônier à Saint-Joseph, dans un quartier plus huppé, les parents récusent ce prêtre un peu loubard, qui profère plus de jurons que de formules latines ! Et quand le conseil d'administration des maisons de jeunes d'Auxerre refuse, en 1981, la dizaine de projets proposés par cet animateur boulimique, il part en claquant la porte et fonde une société qu'il appelle Média 2 : location de matériel, formation à la console et au clavier, réalisation d'images. Sono, vidéo, credo : le « DJ » de Dieu s'est fait chef d'entreprise. Les débuts sont difficiles. Comment concilier l'annonce de l'Evangile et le souci du bilan de fin d'année ? De 1981 à 1989, Jean-Marie, président non rémunéré, se donne à fond et traverse des épreuves inédites : un grave accident de la route, des détournements d'images, un contrôle fiscal un peu bizarre… « Quand on est prêtre, on est confronté à l'essentiel, on relativise les choses ! » A chaque fois il se relève, il repart. Il a derrière lui l'archevêché, les jeunes des Vauviers et de Saint-Pierre, son associée Eliane Chazal, le professeur Maurice Gruau qui préside son conseil d'administration, ses clients, et des ribambelles d'amis connus ou inconnus qui font de Jean-Marie Rigollet, au fil des ans, un personnage aussi adulé à Auxerre que Jean-Pierre Soisson et Guy Roux ! 
 Beaucoup de formations, de nombreuses sonorisations, quelques films d'entreprise, des documentaires sur Enrique Marin ou Fernand Rolland, de l'assistance vidéo pour la micro-chirurgie dentaire, des retransmissions de matchs de foot : après vingt-quatre ans d'activité, Media 2 se porte plutôt bien. Le virage du numérique a été correctement négocié. Les finances sont équilibrées. Jean-Marie « ne crèvera pas de faim ». 
 Et Dieu, dans tout ça ? Et le sacerdoce ? « Mais j'ai plus de contacts dans mon travail que nulle part ailleurs ! La communication, c'est d'abord l'écoute de l'autre ! » Et puis, surtout, depuis 1998, le vidéaste est aussi curé de paroisse : d'abord basé à Coulanges sur-Yonne, il sert depuis 2005 Coulanges-la-Vineuse, Courson-les-Carrières, Vincelles, Chitry : au total, 22 communes, 9.000 habitants. « Je marie, je baptise, j'enterre ! » La mèche en bataille, le regard bleu, Jean-Marie rigole. Il ne précise pas qu'il assure les professions de foi, qu'il dit la messe dans les maisons de retraite, qu'il négocie avec les maires de ses paroisses, qu'il reste disponible aux uns et aux autres... Au risque, parfois, de surprendre certains de ses clients qui découvrent que le prêtre en aube qui baptise un jour le petit-fils de Guy Roux, ou qui marie tel collaborateur d'Henri de Raincourt, n'est autre que leur prestataire de sono, qu'ils n'ont connu qu'en jean et chemise ouverte, une caméra au poing ou des câbles sur l'épaule ! 
 Bernard Lecomte