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Depuis quelques saisons, sur le mode bio et nutrition, nos boulangers chéris –artisans confirmés au savoir-faire compagnonnique, fraternel et cætera- ont transformé à coup de baguette magique la ficelle quotidienne en poule aux oeufs d’or. À force de graines, de fruits secs, de céréales complètement nues, de pilpil exogame, de rare sorgho ou de vieil épeautre, ils nous dealent un pain mafflu, boosté à la fibre, deux fois plus « nutritionnel » et tranquillement budgétivore. Une fois qu’on y goûte, c’est mort, on y revient.Le moindre de ces agrégats germinatifs, « intégral » comme on dit, atteint sans complexe à la pesée dominicale les quatre euros le kilo… Un vrai sumo le bâtard ! Et nous voilà rentrant avec ce trésor encore chaud sous le bras pour enchanter nos dîners de terroirs, tellement plus tendance qu’un méchant repas exotique ou qu’un vulgaire pétard-thé-à-la-menthe.

Le bout du bout du chic c’est une part de cantal « entre-deux » du père Chose en direct de Salers, arrosée d’un Fixin rapporté de la cave généreuse d’amis bourguignons-grosse-propriété-plein-de-chiens-et-d’enfants-tellement-sympatiques, après un saucisson d’ânesse corse arrivé malgré le blocus du port d’Ajaccio croqué sur… un pain aux céréales de chez le boulanger juste en bas de l’immeuble (« on a beaucoup de chance d’avoir un bon professionnel dans le quartier, on lui a même offert un cadeau à Noël… »). Il y a quelques années, ce type de pavé restait relégué au rayon folies macrobio des épiceries spécialisées (c’était presque aussi tabou qu’un sex shop dans les années 80, après la mort des pattes d’eph…). Ce pain noir (NDA : un private joke le sentira « d’Autriche ») venait de Scandinavie, d’Allemagne, de tous ces pays aux solides principes alimentaires et aux santés de fer. On en croquait mollement sous cellophane avec un babibel chez la cousine Gudrun ou la collocataire berlinoise faute de grives. Profitant lâchement du pauvre Parisien en quête de racines, l’enfarinant dans sa crainte de manger trop de « rien », trop de « peu », trop de « pas assez », trop de vide, nos pétrisseurs d’espoir ont sagement révisé leurs cours de marketing. Sarabande de semences, noms égrenés sur de sages étiquettes « à la main » : sarrasin, millet, orge, avoine et autres sésames miraculeux dansent désormais sur nos tables et montent le son. Faute d’en connaître la plante, la pousse et l’âge de la récolte, nous en savourons le croquant et les effets discrètement laxatifs. Délaissée la maigre baguette, osseuse et simplette, nos apports quotidiens sont privilégiés au grand dam de la tartine de comptoir entre deux brèves lapalissades. Nous avons mangé notre pain blanc, il faut désormais se résoudre à casser la graine…

lana