Jack London en parle dans Star Rover, en français Le vagabond des étoiles en 1915. Son dernier roman puisqu’il meurt d’une overdose de morphine en 1916, à 40 ans à peine. C’est, dit-on, un de ses chefs d’œuvre qui dénonce le système carcéral américain d’une part mais aussi emporte le lecteur, grâce à son style successivement réaliste et fantastique  dans  les vies précédentes du narrateur emprisonné  qui, pour échapper aux souffrances de la camisole de force, et grâce à une technique d’auto-hypnose que lui enseigne un autre prisonnier,  parvient à quitter son corps. Il se retrouve ainsi au milieu des étoiles et à chaque fois qu’il en touche une, il revit une de ses autres dramatiques existences.

Ce roman eut tant de succès que la camisole de force fut supprimée pour les détenus de droit commun aux Etats-Unis.

Dans une des tragiques vies revisitées par le héros, il y a celle d’un jeune garçon faisant partie d’une caravane de pionniers massacrés par les mormons et les Indiens, un massacre réellement advenu à Mountain  Meadows.

Ferenc « Franz » Szasz, professeur en histoire des religions américaines au Nouveau Mexique qualifie ce massacre de « plus grand acte de violence religieuse sur le sol américain jusqu’à l’attaque terroriste du 11 septembre 2001 ». Curieusement, il eut lieu lui aussi un 11 septembre.

 

C’était dans les terres fertiles de l’Utah. Une caravane de 40 wagons, une trentaine de familles, 120 pionniers – la caravane Baker- Fancher - qui avaient quitté l’Arkansas pour la Californie, à la recherche de leur futur. Ces wagons cahotant sur des routes creusées par tant d’autres passages vers l’espoir contenaient le résumé de bien des vies : la progéniture, les épouses fertiles et travailleuses, l’un ou l’autre vieillard que l’on ne pouvait laisser sur place, les hommes qui avaient oublié le goût de la peur, un grand troupeau de vaches traitées comme des reines parce qu’elles assureraient leur nouveau départ sur les terres riches de la Californie, quelques chevaux de course provenant du Kentucky, des chiens, parfois un piano désaccordé, des rocking chairs, les vêtements, la batterie de cuisine, les outils du mari, des pièces d’or cachées dans les édredons, une précieuse pendule venue de l’ancien monde, de l’ancienne vie.

Les analyses faites sur les quelques corps retrouvés montrent que les hommes avaient de nombreuses fractures anciennes au moment de leur mort : chutes de cheval, bagarres, coups de crosses, accidents divers. Les enfants avaient presque tous de graves déficiences dentaires. La vie était dure, bien dure pour ces poursuiveurs d’un chez eux qu’ils ne trouveraient qu’en bravant de dangereux exodes où ils seraient vulnérables aux intempéries, Indiens, bandits, maladies, traversées de rivières en furie, et même tensions internes parmi les membres de la caravane.

Deux mois plus tôt, Parley P. Pratt, un des leaders de l’Eglise des Saints des derniers jours,  avait été assassiné en Arkansas par le mari légal de sa 12ème « épouse » qui l’avait quitté en emmenant ses enfants. La communauté mormone était en ébullition et réclamait du sang en réparation. Le journal Alta California annonça la couleur en affirmant qu’il n’y avait aucun doute que les saints vilains, adultères et séducteurs de Salt Lake City allaient asséner ce qu’ils pensaient être la vengeance de Dieu sur les voyageurs, que ce soit en se déguisant en Indiens comme ils l’avaient déjà fait, ou par le meurtre des gentils passant sur le territoire par Brigham Young et ses satellites de Salt Lake City, ou des réquisitions opérées  par les anges destructeurs du royaume mormon

Brigham Young venait de faire un discours très violent qui avait naturellement échauffé les esprits : il n’existe ni homme ni femme qui, violant les accords faits avec son Dieu dans le temple mormon, n’aura pas à payer sa dette. Le sang du Christ n’effacera pas cela. Votre propre sang doit payer, et les jugements du Tout Puissant viendront tôt ou tard et chaque homme ou femme devra s’amender pour avoir brisé les accords.

L’attaque de la caravane Baker-Fancher ne fut donc hélàs pas un acte isolé. Venant de l’Arkansas, là où le leader avait été poignardé descendu au révolver par le mari jaloux, elle représentait le bouc émissaire idéal.

Les pionniers furent approchés par des « Indiens » qui les encerclèrent pendant cinq jours, du 7 au 11 septembre. Ils résistèrent  vaillamment au siège, mais le groupe des attaquants, une milice en réalité, craignait d’avoir été identifié comme des blancs par leurs victimes, qu’ils voulaient sans doute au départ uniquement dévaliser et faire repartir. Ils se sont donc retirés et changés pour revenir avec un drapeau blanc. Ils furent alors accueillis comme des libérateurs par les colons.  

Un des chefs de la milice, John Doyle Lee, leur dit qu’il avait conclu un accord avec les Paiutes qui leur laisseraient la vie sauve en échange de leur bétail et provisions, et qu’il les escorterait sur 58 kms jusqu'à Cedar City. Les colons ne purent qu’accepter et  les hommes furent séparés des femmes et enfants. Sur un signal la milice se mit à tuer tous les hommes tandis qu’un autre groupe d’hommes sortit des buissons et s’en prit aux femmes et enfants qu’ils massacrèrent  à bout portant sauf 17 enfants de moins de 7 ans car les mormons considéraient qu’en dessous de 8 ans les enfants ne devaient pas payer pour les péchés des parents.  

 

Charles Fancher était le fils du chef de caravane, un enfant de 11 ans – très petit pour sa taille ce qui le sauva sans doute -  et avait survécu ainsi que son frère de 9 ans, menu lui aussi. Il raconta qu’après le massacre, certains des Indiens restés allèrent se laver dans le ruisseau et qu’après avoir lavé leurs visages ils étaient des blancs.

On enterra sommairement les corps, les laissant à la merci des animaux et du climat. Leurs possessions furent vendues. Une enquête commença mais fut interrompue à cause de la guerre civile, conduisant toutefois à l’arrestation de 9 personnes en 1874. Une seule, John Doyle Lee, fut poursuivie en cour de justice.

 

 

 

John Doyle Lee

L’Eglise des Saints des derniers jours avait vainement tenté de garder cet épisode – et d’autres du même genre - secret. La première édition du livre de Jack London, d’ailleurs, avait été expurgée de certains passages concernant le massacre. 

En 1999, l’Eglise fit des travaux de restauration sur le site commémorant le massacre et on retrouva 29 des 120 squelettes. Un radar identifia peut-être d’autres tombes en profondeur. Les descendants des familles demandèrent que l’on continue de fouiller mais l’Eglise refusa et même, décida qu’on ne ferait pas d’autres recherches.

Idaho Film Festival, été 2004 : un documentaire – Burying the Past - fait par des historiens de l’Utah a été retiré de la compétition en dernière minute sous prétexte que le contenu était trop brutal pour un évènement familial. Au même festival cependant un film sur la seconde guerre mondiale – Saints and Soldiers – a été projeté après une légère censure.

                                                                                                                                         Suzanne DEJAER

20 après, 1877: la fosse commune