Un petit Viennois qui aimait les animaux… au point de transformer la maison familiale en terrarium. Et bien sûr, il fut attiré par la zoologie, qui lui rendit son amour.  La musique le passionnait tout autant et celle-ci lui répondit en lui donnant, pour un peu, l’amour d’Alma Mahler, la veuve du grand Gustav. Homme fougueux, convaincu, convainquant, insolite, habité du feu de la recherche. « Il avait une manière de parler brillante bien qu’un peu théâtrale. En outre, il était bel homme et s’habillait avec élégance, c’est pourquoi il impressionnait beaucoup avec sa sombre crinière d’artiste et la finesse de ses traits », dira de lui le biologiste Richard Goldschmidt.

Un homme qui baptisa sa fille du prénom difficile à porter de Lacerta (lézard en latin).

Un franc-maçon qui fréquentait l’élite viennoise de son temps. Un artiste scientifique.

Un homme qui s’intéressa à la loi des séries et se trouve ainsi à l’origine de la théorie de la synchronicité de Jung et Wolfgang Pauli, après Camille Flammarion. D’après lui, il y aurait dans l’univers une force semblable à celle de la gravitation qui regrouperait les « semblables » par affinités. Même Einstein fut impressionné par le travail de Kammerer, tandis que Freud devait déclarer : « un naturaliste (Paul Kammerer) a entrepris récemment de subordonner les faits à certaines lois de manière telle que l'impression d'étrangeté devrait disparaître. Je n'ose pas décider s'il y a réussi ou non. »

Un chercheur exubérant qui se mérita le surnom de Krötenküsser (embrasseur de crapauds) parce qu’il embrassa un de ces batraciens après que ses études sur le crapaud accoucheur l’aient persuadé de l’hérédité des caractères acquis.

Un homme dont la vie fut bien courte – abrégée par un « suicide » au moyen d’un coup de révolver sur la tempe gauche et … tenu dans la main droite.  Mais il faut dire que ses recherches et opinions s’étaient trompées d’époque : on était en Allemagne nazie et le courant de pensée alors était basé sur le concept de race supérieure immuable dont l’origine génétique déterminait tout, alors que Kammerer, qui déclarait « Nous ne sommes pas les esclaves du passé, mais les maîtres-d’œuvre de l’avenir. », avait fait d’importantes découvertes en zoologie qui ouvrirent une hypothèse selon laquelle les espèces se développent en suivant le principe d’une transformation systématique et logique.

Un scientifique qui en dérangea d’autres dans la poursuite de la gloire et qui fut sans doute victime d’un complot grossier pour le discréditer, ce qui permit son « suicide » dû à la honte d’être surpris en train fabriquer des preuves : « En 1926, il fut donc nommé à l’Académie communiste des sciences de Moscou où il devait construire un institut de biologie expérimentale. Sa découverte l’avait rendu célèbre, mais le doute s’était installé en même temps chez les spécialistes. Le débat se raviva entre les théories de Lamarck et de Charles Darwin. Finalement, l’un de ses adversaires anglais, le zoologiste américain Gladwyn Kingsley Noble, chargé de la section des reptiles à l’American Museum of Natural History, fit le voyage de Vienne, accompagné de Hans Leo Przibram, pour examiner la dernière préparation qui existait encore du crapaud accoucheur, celle dont Kammerer s’était servi comme preuve et qui avait traversé la guerre sans dommages.

Le 7 août 1926 un article accablant parut dans la revue spécialisée anglaise Nature. Noble y dénonçait les callosités de rut du crapaud accoucheur comme de simples contrefaçons. Les points des callosités s’étaient révélés être de l’encre noire injectée sous la peau, ce qui ne pouvait être que l’œuvre de Kammerer ou de l’un de ses collaborateurs. Dans le monde scientifique cette nouvelle fit l’effet d’une bombe et signifiait pour Kammerer la fin de sa carrière. Cependant, la contrefaçon s’avérait si grossière et évidente que l’on se demanda très vite comment elle avait pu échapper d’abord à l’examen minutieux de douzaines de savants pendant des années. » (extrait tiré de cet article sur Paul Kammerer)

Dans son livre L’étreinte du crapaud, son biographe Arthur Koestler parle en ces termes des découvertes de cet homme curieux de tout : « Quelle que  soit l’interprétation des résultats, les expériences de Kammerer étaient de véritables travaux de pionnier qui, à juste titre, firent frissonner tous les biologistes de toute l’Europe. On se serait attendu à voir une foule de chercheurs s’engager fiévreusement dans la voie ainsi tracée. Il n’en fut rien. Personne n’essaya sérieusement de confirmer ou de réfuter ces travaux.

      Il fut pendant sa vie la victime d’une campagne de diffamation organisée par les défenseurs de la nouvelle orthodoxie.

   Ses adversaires refusèrent d’admettre que ces expériences apportaient au moins une donnée à vérifier, mais ne purent ou ne voulurent les refaire.

 Après sa mort, ils se sentirent délivrés de toute obligation à cet égard».

Vienne, 17 août 1880 - Puchberg am Schneeberg, 23 septembre 1926

                                                        Suzanne Dejaer