Facebook et l’internet sont devenus – ou ont toujours été mais on n’y pensait pas – d’abominables racoleurs et prêcheurs. Beaucoup semblent avoir la prétention de faire partie des justes et d’être chargés de sauver le monde en balançant de mur en mur des maximes zen, pacifiques, pour la terre (notre mère la terre agonisante en général), les animaux (qui sont tellement meilleurs que l’homme), des extraits d’auteurs coupés de leur contexte et qui disent tout et n’importe quoi – quand ils ne sont pas, en prime, mal traduits ou truffés de fautes… Il y a même des phrases mielleuses et qui empâtent l’esprit sur l’amitié et l’amour vrai signées de parfaits inconnus que l’on s’échange comme des révélations divines. Perlin Pinpin trouve que l’amitié est un bijou qui se porte sur la peau nue, et La mère Michel affirme sans frémir qu’aimer c’est donner sa vie en chantant Cadet Rousselle…. (Illustration :le prophète Zacharie, Michelangelo, chapelle Sixtine - DR)

Et on prend bien soin d’essayer de faire de nous tous le maillon indispensable à la grande œuvre de nettoyage des âmes en nous défiant de déposer « ceci sur notre mur si nous avons le courage de nos opinions », ou de faire suivre ce message à sept femmes que nous trouvons merveilleuses (rien de moins…), ce qui va d’ailleurs nous faire assister à un petit miracle inattendu sur notre ordinateur une fois mission accomplie. « C’est incroyable et ça marche », proclame le message. « Regardez bien l’eau du vase de fleurs une fois que vous aurez envoyé vos 7 messages et vous n’en reviendrez pas ».

Et, insidieux, ce non-dit – enfin, je dirais non-hurlé, car il est bel et bien dit - : on vous surveille. Car le message que l’on doit faire suivre, il faut aussi l’envoyer à qui nous l’a envoyé. Les lâcheurs sont donc identifiés. Ou bien la technique en vogue sur Facebook annonce que « si toi aussi tu es contre l’injustice, ou le racisme, ou l’abus de pouvoir, ou le retour de Sheila sur scène… mets ceci sur ton mur ». Donc ceux qui ne claironnent pas quotidiennement ce pour quoi ils sont contre sont de vils indifférents aux misères du monde.

Je ne critique pas ces deux outils, dont je me sers. Je ne voulais pas m’inscrire sur Facebook et j’y passe finalement pas mal de temps, du bon temps. Mais attention aux faux prophètes et leur façon presque ludique d’embrigader les inattentifs. Un clic pour faire comme les autres et on peut glisser très loin. Moi je mets mes chaussures à crampon et je suis la mauvaise qui casse les chaînes, ne fait pas les jeux, n’est jamais d’accord avec ceux qui pleurent sur les animaux, les femmes battues, la faim dans le monde, les OGN, le nucléaire, le dernier lifting de Johnny ou la disparition du boulier compteur.

Ce que je pense à ces sujets reste personnel. Ce qui reste de personnel dans ce nouveau monde. Comme on finira par nous faire voyager tous nus suite aux consignes de sécurité dans les avions – pour notre bien naturellement -, il ne nous restera que nos opinions de privées… à ne partager qu’en lieu sûr. (Illustration : Le prophète Amos, Gustave Doré - DR)

Le temps des prêcheurs est revenu.

 

                                                                                                                                             Suzanne Dejaer