Jacques de Molay, le dernier grand maître reconnu par les autorités, était Bourguignon. Et c’est dans l’Aube que tout prit naissance, avec Hughes de Payns, comme premier maître. Né à 12 kms de Troyes en une année qui, bien qu’elle venait de donner au monde un de ses bâtisseurs de pensée, n’a survécu à aucune inscription, tandis que l’on sait qu’il est mort en 1136. Le château de Payns continuera d’appartenir à son lignage jusqu’à la guerre de 100 ans après quoi il s’engloutit dans l’oubli.

Parti en Terre Sainte après la mort de sa femme – ah ! que ses collines et vignobles ont donc dû lui manquer, à moins qu’il n’en ait soigneusement scellé les images dans son cœur -, il s’y installe et se joint aux chevaliers qui protègent les pélerins se rendant à la Ville Sainte de Jérusalem. En 1120 la militia Christi est créée, une milice indépendante à laquelle on s’unit par des serments religieux – pauvreté, chasteté et obéissance. Leur sceau : deux chevaliers armés sur une seule monture. Wikipédia mentionne une explication de ce symbole faite par l’historien Georges Bordonove : « Leur grandeur tient sans doute à cette dualité quasi institutionnelle : moine, mais soldat [...] Dualité qu'exprime peut-être leur sceau le plus connu qui montre deux chevaliers, heaumes en têtes, lances baissées, sur le même cheval : le spirituel et le temporel [...] chevauchant la même monture, menant au fond le même combat, mais avec des moyens différents.) » Le concile de Troyes consacre l’existence officielle de l’Ordre en 1127. Les templiers n’ont de compte à rendre qu’au Pape et à lui seul. L’Ordre du Temple est né. Hugues de Payns le dirigera pendant 20 ans jusqu’à sa mort.

 

Entre ce premier maître et ce dernier grand maître, légendes, calomnies, rumeurs, jalousies, histoire et petites histoires ont nourri les imaginations et fureurs. Leur « trésor ». La malédiction que Jacques de Molay aurait jetée sur Philippe le Bel et le Pape Clément V depuis son bûcher. On n’aime pas la puissance, on n’aime pas la droiture qui semble toujours suspecte et être en réalité la couverture de bien des abominations. On convoite la richesse…

L’ordre vivait de donations. Terres, argent, établissements. Des commanderies créées un peu partout – près d’un millier rien qu'en France - , ils perçoivent des fermages de terres louées et exploitées. Ils gèrent bien leurs avoirs. Ils sont riches et puissants. Cependant, la supériorité du monde chrétien n’est plus une évidence au bout de 150 ans. L’ennemi est redoutable. En 1270, avec la mort de Saint-Louis à Tunis, le royaume Franc de Jérusalem n’est plus qu’un morceau de côte et quelques forteresses, et vingt ans plus tard les Templiers se retrouvent à Chypre, d’où ils espèrent soulever une croisade de plus.

Pourtant, devant le manque de réponse des souverains européens d’alors, ils décident de rentrer en France et c’est à Paris qu’ils s’installent, créant une véritable ville dans la ville, toujours protégés par le Pape qui reste le seul à qui ils aient à obéir. Et voilà qui chatouille la conscience des autres. Déchaîne les concupiscences. Ils ont des commanderies, une flotte maritime, effectuent régulièrement des transferts de fonds. Ils ont même payé la rançon pour Richard Cœur de LionPhilippe le Bel ordonne, le vendredi 13 octobre 1307, l’arrestation de tous les templiers de France. Le roi d’Aragon les avait pourtant avertis de la conspiration après que Philippe le Bel ait voulu le convaincre, permettant ainsi aux Templiers de cacher une partie de leurs richesses alors qu’ils ne prirent aucune mesure pour protéger leurs vies. On les accusa d’hérésie, idolâtrie, simonie, magie et sodomie. Pour la sodomie, une interprétation malveillante du sceau apparaît comme une criante évidence… Un faux-témoin affirme avoir été emprisonné avec un Templier accusé d’homicide qui lui aurait raconté que lors de leur initiation ils devaient cracher trois fois sur la croix, s’engager à pratiquer la sodomie et s’embrasser sur le nombril et les fesses. Les justes s’indignent furieusement. Et demandent le sang en réparation. Le Pape regarde ailleurs et les abandonne à la torture et l’exécution, tandis que l’Ordre sera aboli au concile de Vienne en 1312. En 1314 le Bourguignon Jacques de Molay, dernier grand maître de l’Ordre, périt sous les flammes du bûcher, clamant une dernière fois son innocence.

                                                                        Jacques de Molay (DR)

Certains templiers auraient pu s’échapper. Jacques de Molay, pressentant sa mort, avait demandé à un chevalier anglais, John Marck Laermanius, d’aider les templiers à survivre, à sauver l’esprit de l’Ordre. Ces quelques templiers survivants seraient à l’origine de la loge maçonnique Heredom, insufflant dans le rite écossais beaucoup de leur propre esprit.

Ainsi, un peu du souffle des collines et vignobles de l’Aube s’en est-il allé se poser en Ecosse dans les bruyères et les vents chantants, après un long détour vers l’Orient, soutenu par une grande foi. La base de toutes les colonnes abritant l'esprit.

La ville de Troyes propose une exposition sur cette fascinante grande aventure, jusqu’au 31 octobre 2012.

 

                                                                                                      Suzanne Dejaer