Reine d’un jour, reine à la couronne de papier sous laquelle elle est assise, pensive et parée d’une belle robe neuve de laine sombre avec un décolleté carré s’ouvrant sur une coquetterie du lin le plus fin que sa mère ait pu trouver à Bruges, l’année dernière quand ils y sont  allés. Ses longs cheveux de flamande, dorés et luisant doucement de leurs mille boucles, descendent dans le bas de son dos et ce soir, son époux en dégagera son dos à la peau pâle et marquée de taches de son, dorées et sentant les herbes dont on l’a frottée au matin.


Ses parents ont reçu les chaises à dossier, mis à l’honneur en ce jour où leur fille s’en va pour donner naissance à des enfants qui les feront rire par leurs ressemblances inattendues avec leur lignée.

 


La grange au sol en terre battue est fraiche et claire, et l’odeur du foin et céréales constituant les murs y flotte, légère comme une chanson lointaine. Une belle tenture verte a été accrochée derrière Guillemette, qui sait qu’elle ressort sur le fond clair comme une madonne et espère être aussi belle. Pure, elle sait l’être.


Reine de la fête elle ne peut pourtant ni manger ni parler comme le veut la coutume.  Elle est seule, encore fille pour ces heures de bombance et de fête, et l’époux qui donnera la lumière à sa vie de femme en bouton n’apparaîtra en tant que tel qu’à la nuit, pour la faire basculer de l’attente au présent. Jusque là, suivant la coutume, il fait le service et elle a tout loisir pour se réjouir de son bonheur. Il est le grand gars avec le tablier blanc et les rubans au bord d’un beau bonnet rouge. Le Pierre, son Pierre au sourire en demi-lune et à la bouche mobile comme le vol d’un oiseau allègre. Ce soir  Il lui prendra la main et ne la quittera plus jamais, traversant les douceurs de la chair, les journées de fatigue, les maladies, les rires des enfants, les douceurs de la chair, l’égrènement des jours et des nuits, la menace des guerres, les famines, les douceurs de la chair, les larmes sur les morts, les rires aux berceaux, les douceurs de la chair, la vieillesse et ses repos, les souvenirs de la chair…

 


Les invités sont là, leur cuiller de bois bien enfoncée dans le repli du bonnet, le couteau à la ceinture…  Les écuelles de bouillie d’avoine, portées par son Pierre et le fils de la mère Jacquette libèrent des arômes riches et distendent les appétits. La bière est abondante dans les pichets frais tournée par maître Paquin et son apprenti. Dame Jeanne n’en finit pas de parler, fière de sa coiffe toute neuve, et son pichet de bière fraiche n’aura l’heur de son intérêt que lorsque son pépiement sera fini. Piérine s’est assise au sol et lèche son écuelle, ne perdant pas un grumeau, pas une saveur, son morceau de pain posé sur son grand tablier bleu de gros coton. Elle est fière de sa plume de paon attachée à son chapeau. Pas besoin de son petit couteau qu’elle ne quitte jamais, elle plantera ses dents toute neuves dans le pain moelleux.

 


Gros Jean souffle dans son pijpzak, la cornemuse. Elle aimerait qu’il joue cet air un peu mélancolique qui parle de romarin et vient des pays au bord de la mer.


Et dans l’assemblée il y a cet homme qui griffonne et griffonne, Pieter Brueghel.

 

                                                                                                                         Suzanne Dejaer