1894-1978


Un illustrateur, un peintre, un artiste, un marchand d’illusions, un poète, un homme que l’amertume atteignit tard dans sa vie ?

Il est né à New York City, l’empire du béton et de l’inhumain pour qui choisit les images faciles, mais aussi… un monde à tiroirs remplis d’autres mondes qui en contiennent d’autres encore. Car la joie de vivre se niche partout où elle voit une percée. Des arbres poussent même à Brooklyn comme le remarque
Betty Smith, Thanksgiving voit les tables s’écrouler sous des dindons qui ont la taille de porcelets et des fumets de joie familiale, les amoureux se bécotent sur les escaliers d’incendie, de grosses dames promènent de petit chiens, des fillettes jouent à la poupée dans des courettes de ciment. Et Norman ne voit pas, il détaille, il remarque, il analyse, il fait trésor de la moindre nuance dans les sourires ou expressions, chaque instant anodin devient, sous son pinceau, une véritable aventure.


C’est à 14 ans qu’il sent qu’il est né artiste et doit apprendre à bien l’être. Il se fait donc inscrire à The New School of Art. Et à 16 ans, sûr de sa vocation, il va à la National Academy of Design.


Il avait une longue et mince silhouette qui lui valut de devoir se gaver durant toute une nuit de bananes, eau et donuts pour être enrôlé dans la US Navy pour la première guerre mondiale. En effet, 64 kgs à peine pour son mètre 83 l’avaient fait refuser.  Il fut artiste militaire.


A 22 ans, ce jeune homme pressé était marié et venait de dessiner la première de 327 couvertures du Saturday Evening Post pour qui il allait travailler durant 47 ans. Il a ainsi rythmé la vie des Américains en images, la transformant en longue bande dessinée de plusieurs dizaines d’années : en 1927 il célèbre la traversée de l’Atlantique par Lindbergh et, en 1969, il dessina l’empreinte du pied gauche de Neil Armstrong sur la lune pour le
magazine Look.

 


En 1930 il avait divorcé de sa première épouse et se remaria avec une institutrice avec laquelle il s’en alla vivre dans le Vermont en 1939. Là il découvrit tout le charme des petites villes, avec les cloches de l’église tintant dans le soir, l’herbe scintillante, les fermes de style suédois, les jeux d’enfants, la boutique du boucher, les vieux sur la balancelle. Un monde sans taches, sans mal. Un monde pur. 

 


« Peut-être en grandissant ai-je découvert que le monde n’était pas l’endroit parfait que j’avais pensé et ai-je alors inconsciemment décidé que si ce n’était pas un monde idéal, il devrait l’être, et ai-je choisi de n’en peindre que les aspects idéaux ». Encore aujourd’hui l’Amérique produit chaque année ses calendriers Norman Rockwell, ne se lassant pas de douze vues sur paradis qui sucrent un peu la réalité des jours et mois qui défilent.


En 1943 cependant il peignit Four Freedoms (4 libertés : de parole, de religion, de la peur et du vouloir), s’inspirant du discours du Président Franklin D. Roosevelt.

 


Des expositions de ses peintures récoltèrent plus de 130 millions de dollars pour l’effort de guerre.

 

 


En 1953 il quitta le Vermont pour le Massachusetts où il resta jusqu’à la fin de ses jours. Sa seconde épouse étant décédée en 1959, il se remaria deux ans plus tard avec Molly Punderson, une enseignante retraitée rencontrée à une classe de poésie qui l’encouragea à ne plus travailler pour le Saturday Evening Post et se consacrer à Look Magazine qui lui permit de travailler sur des thèmes spécifiques, donnant un tout nouvel essor à son art. Une œuvre importante de cette époque est « The golden rule » (La règle d’or : agis envers les  autres comme tu aimerais qu’ils agissent envers toi) où on le voit ainsi que sa seconde épouse décédée depuis peu, tenant dans ses bras le petit-enfant qu’elle n’avait pas eu le temps de connaître. De plus en plus conscient des préoccupations des Américains de son temps – les droits civils, l’exploration de l’espace, la pauvreté et le racisme – il illustra les douleurs de l’Amérique. Comme dans le tableau « Southern Justice » (meurtre raconté dans Mississipi Burning). "The problem we all live with" montre la petite Ruby Bridges, escortée par deux gardes fédéraux blanc, se rendant à l’école. Sur le mur, des graffiti racistes. Sa maman lui a tressé les cheveux et mis une belle robe blanche. Elle n’avait que 6 ans et devint, en 1960, la première petite fille noire se rendant dans une école blanche à la Nouvelle Orléans.

 

 


On avait quitté à jamais l’Amérique idéale de ses jeunes années…

 

                                                                                             Suzanne Dejaer