Le préfet de l'Yonne Raymond Le Deun avant de prendre sa nouvelle charge, était directeur des systèmes d'information et de communication à l'administration centrale du ministère de l'Intérieur (DR)

 

Le nouveau préfet de l'Yonne Raymond Le Deun, a rapidement pris la mesure du département de l'Yonne et de ses problèmes. Un département qu'il juge peu uni et où la coopération fait défaut, notamment la coopération intercommunale, une soixantaine de communes demeurant dans un spendide isolement, un record de France. Or l'union fait la force et pour résister à la crise, aux crises à venir, mieux ne vaut-il pas être unis, solidaires ?

Un regard extérieur est toujours intéressant et enrichissant car il permet souvent d'y voir plus clair. Les routines, l'habitude, une vision monochrome a tendance à figer la réalité et constitue un frein au changement, dans son acceptation la plus globale. Le conservatisme, les pesanteurs inhérentes aux systèmes et aux groupes sociaux souvent clivés, ne sont pas de nature à dynamiser le développement du département.

Un chiffre illustre le propos et sa pertinence. Au cours des deux dernières années, plus de deux milions d'euros de crédits européens réservés, ont été annulés faute de projets. Sur 6,8 millions d'euros de dotation d'équipement des territoires ruraux en 2011, un seul dossier de 59 000 euros a été déposé. En 2012, 7% de la masse ont été exploités.

Pire en quelque sorte, six intercommunalités, en vingt ans, n'ont jamais déposé le moindre projet de développement économique au titre de cette dotation. À quoi sert une intercommunalité dans ces conditions ? Les nommer est "une information qui n'a pas vocation à être communiquée" (sic) assure la chargée de communication de la préfecture.

Dans l'Yonne comme ailleurs, chacun cultive son pré carré, son indépendance. C'est profondément ancré et force est de constater qu'il n'y a personne pour fédérer et unifier autour de projets structurants, la conjoncture paralysant quand elle ne met pas sur le reculoir. Demander aux élus de se montrer créatif est peut-être trop demander.

 

Unité et clientélisme

Jean-Pierre Soisson alors ministre dans un gouvernement de gauche de Pierre Bérégovoy, au début des années 90, à qui nous demandions quel était le bilan de Jean Chamant à la tête du conseil général pendant de longues années (1970 à 1992), s'interrogea en se frottant le nez (ce qui est toujours chez lui une marque d'embarras qu'il ne peut contenir) et nous répondit : " Il a maintenu le département uni....". Décryptage : l'Yonne département rural par excellence est à droite mais cette droite n'est pas uniforme, elle est extrêmement diverse, indépendante et variée. Les nuances de sensiblités sont multiples.

Depuis la présidence de l'ancien ministre du Général de Gaulle, ministre des Transports qui initia le TGV, Concorde et Airbus, le RPR Jean Chamant, celui qu'on appelait le "roi Jean" ; c'est l'UDF Henri de Raincourt qui a incarné l'unité de l'Yonne à partir de 1992 jusqu'à ce qu'il décide de rendre son tablier en 2008. Afin de laisser la place aux jeunes certes, et à sa carrière ministérielle programmée, mais aussi parce qu'il était lassé et écoeuré par les divisions au sein de la majorité qu'il ne parvenait plus à maîtriser en tant que patron de l'UMP et de l'UAY (union de l'avenir de l'Yonne) la majorité départementale rassemblant les bons élèves et les bons godillots.

Ce ne fut pas facile et H2R s'appuya sur des concepts et objectifs tels Yonne 2001, davantage catalogue de mesurettes et mesures que projet structurant, afin que "le sud ne désespère pas pendant que le nord prospère...", formule martelée par le président de Raincourt pendant de longues années. Lui l'homme du nord qui prospère. C'était un choix, un parti-pris dans un département où le clientélisme est de rigueur pour qui veut durer.

Le clientélisme s'impose compte tenu de la diversité des sensibilités à droite et du mode de scrutin des élections sénatoriales. Ce sont les grands électeurs, entre autres les conseilers généraux mais aussi les députés, les conseillers régionaux, les élus municipaux et des délégués supplémentaires élus par les conseils municipaux dans les villes de plus de 30 000 habitants) qui sont appelés à élire les deux sénateurs de l'Yonne.

Le clientélisme s'étendit à gauche avec la création d'un TGV Yonne réclamée avec force et vigueur par le maire et conseiller général communiste de Migennes, feu Guy Lavrat, homme de conviction et de dossiers, opposant de qualité dans l'assemblée départementale. Ce TGV coûta fort cher pendant plusieurs années aux contribuables icaunais qui finançaient le déficit d'exploitation, jusqu'à ce que cela ne soit plus possible.

Une autre mamelle clientéliste fut l'aide aux communes par le département ( une vraie course au trésor), une aide qui enfla au fil des ans et permit aux communes de construire gymnases, crèches et autres équipements dont beaucoup ne servent pas toujours. La réduction du montant de ces aides coûta sans doute sa place au successeur de H2R, l'ex-député  UMP Jean-Marie Rolland pourtant très bien élu par ses pairs. Étouffé par les transferts de charges sans compensation équivalente et par des charges nouvelles avec des recettes en diminution, le département fut, dès 2008, en pleine crise financière internationale, contraint de réviser de manière drastique sa politique. L'effet de ciseau est dévastateur.

 

Nouveaux clivages

Le successeur de Jean-Marie Rolland qui est plus homme de dossiers que politique, un ex-non inscrit tendance UDF à vocation centriste, Nouveau centre, aujourd'hui UDI, André Villiers fut curieusement mais logiquement le suppléant du sénateur Henri de Raincourt et sénateur lui-même lorsque H2R devint ministre. L'élu de Vézelay, l'homme du sud qui "désespère", est confronté au même logiciel ciseau, de recettes qui se réduisent tandis que les dépenses s'envolent littéralement.

La fin de la gratuité des transports scolaires dans l'Yonne votée, fin janvier, dans le cadre du budget, illustre cette réalité, mettant à bas le fleuron, l'emblème de la politique du département depuis des décennies. Nécessité fait loi même si cette décision va engendrer de nouvelles inégalités entre familles et enfants de l'Yonne.

Cette décision difficile cliva l'assemblée au-delà des sensibilités politiques et ne fut adoptée que grâce à une très courte majorité au bout de 20 heures de débats, du jamais vu au pays de Bienvenu-Martin. Le sénateur UMP Bordier de Saint-Fargeau vota contre et François Boucher ancien maire UMP de Migennes et suppléant du député Jean-Marie Rolland, s'abstint. C'est tout dire.

Dans ces conditions, le morcellement et le zapping deviennent la règle en fonction des intérêts des uns et des autres qui ne recouvrent pas toujours exactement l'idée qu'ils se font de l'intérêt général qui parfois pour ne pas dire souvent, a "bon dos".

A cette situation à l'instant T, s'ajoute le renouvellement générationnel. Nombre de figures politiques de taille se sont effacées qui portaient le débat démocratique à une certaine hauteur de vue. On ne peut tous les citer, mais mentionnons dans le désordre Raymond Janot (un des rédacteurs de la Constitution), Jean Chamant, Jean-Pierre Soisson, Jean-Michel Renaitour, Guy Lavrat, Philippe Auberger, Henri Nallet, Michel Bonhenry, Roger Lassalle, Jean Cordillot ...

La nouvelle classe politique départementale en devenir, est à l'image de l'évolution de la société. Moins de politique, moins d'idéologie, davantage de gestion et de pragmatisme dans un contexte très difficile où les changements de pied sont fréquents. Bref, la tendance est à l'épicerie. Les perspectives n'incitent pas à penser que la tendance va s'inverser, bien au contraire.

 

Ne pas déranger "l'ordre des choses"

À Sens, les municipales de 2014 se présentent mal à droite avec nombre de candidats et d'ambitions mais peu d'unité autour d'un projet. Un homme demeure à l'écart pour l'heure et observe : l'UMP Gilles Pirman, le président de la communauté de communes du sénonais.

À Auxerre, la gauche élargie à sept élus centristes sous la direction du social démocrate Guy Férez termine un deuxième mandat de rang après avoir abattu un travail édifiant pour la cité. Jamais vu. Le bilan Férez est meilleur que celui de Soisson, il n'y a pas photo. En face, la droite républicaine possède un nouveau chef de file, jeune et ambitieux en la personne du député UMP Guillaume Larrivé qui a damé le pion au maire d'Auxerre, une succession logique de l'éléphant Soisson dans une circonscription à dominante rurale, la Puisaye restant la Puisaye. La clé du scrutin qui s'annonce indécis, résidera dans la capacité des uns et des autres à rassembler au-delà de leurs couleurs. Et dans l'appréciation des électeurs, de plus en plus sensibles à la problématique du non cumul des mandats.

À Avallon, Tonnerre, Migennes et Joigny, villes détenues par la gauche, le jeu sera ouvert avec une prime aux sortants.

Au-delà des couleurs et partis, des ambitions et des inimitiés, ce sont les hommes qui feront la différence. Leur qualité d'être, leur engagement, leur crédibilité, leur aptitude à se montrer proches du citoyen et de ses attentes ainsi que leur capacité à réunir autour d'un projet.

Quant à la coopération intercommunale et la coopération tout court, il faudra attendre et se montrer patient sans désespérer. Un dossier illustre l'espèce d'infirmité collective, l'incapacité d'oeuvrer et d'agir ensemble, celui du traitement et de l'enfouissement des déchets ménagers dans l'Yonne. Voilà vingt ans que les uns et les autres (droite, gauche, écolos) lancent des voyages et études coûteux et se réunissent pour constater leurs désaccords, aux frais du contribuable. En un mot, tout le monde est aujourd'hui sur la même longueur d'onde concernant les modalités du traitement (en gros) mais personne ne veut accueillir de décharge. Pire, des associations de défense se mettent à fleurir à Vallan, Héry et ailleurs pour prévenir et dissuader leurs chers élus.

Le statu quo semblerait donc être l'avenir de l'Yonne. Il ne faut surtout pas déranger l'ordre des choses. Finalement pour l'Auxerrois, la solution provisoirement durable à Sauvigny-le-Bois en Avallonnais, est confortable. 

Cela ressort d"un conservatisme" général qu'épingle le représentant de l'État dans l'Yonne, le préfet Raymond Le Deun. Un Breton, qui donc a de la suite dans les idées et ne lâchera pas le morceau pour faire avancer le département. On lui souhaite bien du courage.

Il reste que l'Yonne est un territoire hors du commun, avec des paysages uniques et des terroirs que personne ne voudrait quitter ...


                                                         Pierre-Jules GAYE