L'Auxerrois André Dufloux né à Provins, libraire, randonneur, passionné d'aventure et de rencontres, s'est éteint à l'âge de 93 ans.

Il a été incinéré à Auxerre où longtemps il tint librairie et imprimerie.

C'est lui qui inventa la marche Auxerre-Vézelay, courue depuis des décennies par des milliers de randonneurs.

Hommage à un homme de coeur et de contact.

 

 

HOMMAGE    à   André  DUFLOUX

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      La marche était ta passion: randonner et courir, deux formes complémentaires comme tu aimais le souligner, deux façons de repousser ses limites par l'effort physique et d'aller à l'encontre des autres et de la nature.

      Il n'était pas rare de te voir descendre de St-Georges en courant, short et chaussettes rouges de rigueur, quel que soit le temps. Tes amis randonneurs étaient habitués, pas plus qu'ils ne s'étonnaient d'ailleurs de la tente canadienne qui t'accompagnait fidèlement chaque année dans nos camps en montagne, ni du sac à dos - tous deux contemporains de la création du « Vieux Campeur » - ni du pullover rouge dont tu ne voulais pas te séparer, « un pullover que m'a femme m'a tricoté ! ». Ah, ce pullover ; il en a fait dire des paroles et combien de km supplémentaires pour le retrouver... parfois sous le matelas pneumatique ! Quand ce n'était pas non plus l'éternel bob en toile marron qui ne demandait qu'à s'envoler ou le baudrier oublié au refuge de Panossière, près des Combins.

 

    Cette passion de la randonnée, tu voulais la partager avec tes amis dans tes massifs de prédilection, au premier chef le Mont-Blanc que tu fréquentais depuis 1938, mais aussi le Beaufortain, la Vanoise, l'Oisans, le Valais en Suisse, le Grand Paradis en Italie et bien d'autres encore. Tu avais d'ailleurs une façon toute personnelle de tirer les gens par le maillot en leur disant d'un air sous-entendu : « Tu n'irais pas en Vanoise cet été ? J'irais bien faire un tour en Oisans, ou encore: tu connais les Dents du Midi ? »... On avait compris. Mais tu aimais aussi partir seul en montagne, aller à ton rythme, moins rapide que celui des plus jeunes bien sûr, et donner à tes escapades un côté aventure que tu affectionnais particulièrement.

      Ces montagnes t'offraient une nature qui toujours t'émerveillait, car tu savais prendre le temps de regarder les choses simples, une fleur, le chant d'un oiseau - pour reprendre tes paroles. Et même le mauvais temps ne t'effrayait pas. Je me souviens d'une arrivée mémorable au refuge de la Vanoise !

 

    Longtemps, la tradition a été de faire Auxerre-Vézelay à quelques-uns, « en reconnaissance » comme tu disais, aimable prétexte pour se retrouver une journée en petit groupe. Ainsi, une année nous n'étions que trois : Dominique Crouzy, toi et moi. Arrivés à Asquins, après 56 km sous la chaleur et la poussière, tu nous as gentiment abandonnés pour monter en courant les 2 km de la Cordelle et nous attendre sur le parvis de la basilique! Tradition oblige, car la Cordelle, à travers son passé *, était pour toi un lieu mythique, l'alpha et l'omega de l'effort physique. Toujours ce besoin de se dépasser.

   

    C'est toi aussi qui fut « l'inventeur » d'Auxerre-Vézelay de nuit, si riche de souvenirs et de grands moments : je pense à cette pause sur les hauteurs de Vincelottes au soleil couchant ; atmosphère un peu irréelle de la vallée de l'Yonne plongée dans une brume orangée où flottaient des montgolfières quasi immobiles. Nous avions alors senti que tu serais bien resté plus longtemps devant ce tableau qui semblait figé pour toujours; mais plus loin à Bessy, la boulangère nous attendait vers minuit, avec les croissants et le café ! Bessy ! la halte incontournable au gîte et que tu n'aurais manquée pour rien au monde; une véritable institution où tu retrouvais tes amis et qui souvent t'hébergèrent, comme cet hiver où tu parcourus Auxerre-Vézelay à skis de fond en 2 jours – histoire de varier les plaisirs !

      

     Car tu connaissais presque tout le monde sur le parcours, et tu aimais t'arrêter, parler de tout et de rien avec les gens, pour le plaisir simplement, comme ce jour-là avec un jardinier à l'entrée d'Arcy ou avec cette vieille dame aux Hérodats qui vivait seule dans sa maison d'un autre âge. Elle t'avait donné à boire un jour de 1984, et depuis, tu ne serais jamais passé sans prendre des nouvelles.

 

    Et puis, tu aimais feuilleter ta centaine d'albums de souvenirs aux précieuses photos, devenus pour toi une autre façon de voyager : L'Irlande, la Martinique, l'Autriche, et l'hiver à skis en Forêt Noire ou en Laponie finlandaise ; ce raid te mena à 150 km du cercle polaire. Il te fallait revivre les moments forts vécus avec tes compagnons de sentiers ou de cordée: Chamonix-Zermatt, les bivouacs entre amis au sommet du Buet « rien que pour le plaisir de coucher dehors », avec comme horizon le mont Blanc, au coucher et au lever du soleil, si proche qu'on pourrait le toucher : que demander de plus ? Ce mont Blanc dont tu fis l'ascension à 65 ans et qui fut le grand moment de ta carrière alpine. Bien entouré par tes compagnons, tu as étonné et forcé l'admiration de plus d'un alpiniste pendant ces trois jours. Et jusqu'à ces dernières semaines, tu regardais encore une photo du sommet que tu avais prise ce jour-là, te souvenant peut-être de ce que tu disais en 2002. « Cela ne me déplairait pas que mon chemin s'arrête en pleine course ».

 

     Parmi la bonne douzaine de courses en montagne que j'ai faites avec toi, je me souviens plus particulièrement de cette belle journée du 4 août 1989 – il y a 24 ans - où nous étions au Col du Lys, dans le Valais, entre le Mont Rose et le Lyskamm, à 4200 m d'altitude, près du plus haut refuge d’Europe.

     Je t’avais laissé seul une petite heure pour aller un peu plus haut, gravir un sommet avoisinant; à mon retour, tu étais allongé sur ton sac à dos et tu dormais, calme et serein, si bien que je n’osais te réveiller. Atmosphère étrange où le monde s'était réduit à la neige, au soleil et au ciel où flottait comme un parfum d’éternité.

     Reposé, tu me montres un dôme neigeux, la Ludwigshöhe (4341 m), et me tu demandes : « qu'en penses-tu ? - que du bien ! » je te réponds. En avant pour ce sommet, et, dans la foulée, deux ou trois autres qui avaient le tort de se trouver sur notre chemin. C'était André !

 

     Autant de moments intenses, comme tu les aimais, qui furent sources joie; instants fugitifs ou heures pleines, ils te comblaient, ils ont jalonné tes chemins et tracé ta route, en quête d'une spiritualité qui n’osait pas dire son nom; sois remercié de nous avoir permis de les vivre avec toi ; et aujourd'hui, il ne serait pas étonnant que tu sois allé faire un tour du côté du Grand Paradis.

 

Philippe GUILPAIN 

27 mars 2013

 

* Saint-Bernard de Clairvaux prêcha en ce lieu la 2e croisade, le dimanche de Pâques 31 mars 1146.