Les scènes se déroulent à Versailles, dans le Palais-Royal)

Scène 1 : Louis et Le Hiéron, son ami et ministre

Louis
(Assis détendu dans un fauteuil Louis XV)
Entre ici, Le Hiéron, et prends-en à ton aise,
Que je voie s’estomper les traces du malaise
Qui semble te donner cet air tant chiffonné.
Tu me dois sans compter en devoir d’amitié
Devant moi t’exprimer avec sincérité.
N’ai-je pas bien agi, avec les gazetiers
En leur livrant tout net que j’étais malheureux
Comme tout un chacun, puissant ou miséreux ?
Puis dans le même instant, redevenant monarque,
Ne leur ai-je montré les cordes de mon arc ?
Empruntant à Turgot ses sublimes maximes,
N’ai-je du libéral usé toute les rimes ?
Supprimons les entraves, laissons la liberté
De richesse et d'emploi tout un chacun combler.
Châtrons de leurs outrances chaque corporation,
Limitons la présence de l’administration.
J’en ai tant fait hier, que d’être démocrate
Je me vois soupçonné jusque dedans les strates
De nombre d’opposants au monarque régnant.
On y ajoute même, en guise de cordial,
Que j’aurais de surcroît une fibre sociale.

(Louis se lève et marche de droite à gauche)

Le Hiéron, filons la métaphore et lisons
Une vraie parenté dans mes conversions.
Par le passé tressées les entraves brisées,
Antoinette exilée, Elvire intronisée
Et le pacte passé avec le patronat :
Il y faut voir crûment, sans autre prédicat
Un unique refus, celui de l’habitude
Qui de par sa nature est un fardeau bien rude.
En feignant du passé tirer loi d’avenir
Toute innovation, elle entend assoupir.
Changeons donc, Le Hiéron, inventons et aimons !
Fort de mes habits neufs, et de l’autorité
Dont je me suis tantôt pompeusement paré,
Soyons homme nouveau pour France requinquée.

(Le Hiéron s’effondre dans son fauteuil. Il tousse longuement)

Louis
(Se précipitant vers lui)
Ah, ça, mais qu’as-tu donc ? Dois-je subséquemment
Te faire ici porter quelque médicament ?

Le Hiéron
(Se ressaisissant)
Point ne semble besoin d’ameuter médecine
Ce qui m’apaisera, ce n’est pas l’aspirine.
Juste un temps de repos pour me faire ingérer
Ce que votre discours vient de me distiller…

Louis
(Inquiet, sur lui toujours penché)
Qu’ouïe-je ? Qu’entends-je ? Quelle de mes idées
A pu dans l’occurrence à ce point t’effondrer ?
Dis-le-moi, en ami, éructe s’il le faut,
Et ne craint pas céans, foudres de Manolo.
Bien qu’à son habitude il aime se cacher,
Derrière la tenture il n’a pu pénétrer.
Tu ne risques donc pas qu’avant d’être exprimés
Tes propos soient ici vertement censurés.
Est-ce de voir ton roi pressé de s’égayer
Pour sortir de l’ornière où l’opinion l’a mis ?
Ou de l’économie, le nouveau parti pris
Te paraît-il trop neuf pour être bien compris ?
Souvent un roi varie,

Le Hiéron
(Ironique)
                                     Le foll est qui s’y fie !
Non, de crainte n’ai pas du policier tenant.
Et si quelqu’un ici doit redouter son gant,
C’est vous, Sire, et vous seul, dont il lorgne le trône,
Avec impatience et prêt à tous les drones.
Social-démocrate, non plus ne m’interpelle :
L’étiquette est antique, elle n’en est pas moins belle,
Au pays Danemark, où tout n’est pas pourri
Chacun depuis longtemps l’a pleinement compris.
C’est de vous voir mêler avec la gourmandise
Le public au privé qui soudain me dégrise.
Ah craignez, Majesté, qu’à brouiller le dessein
Vous passiez à l’histoire pour social-libertin !
Afin de vous livrer le fond de ma pensée
Et de donner conseil en pleine liberté :
Sire, je n’aime point un pareil procédé.

Louis
(Prenant Le Hiéron par les épaules)
Fidèle camarade, espoir de nos armées
Dans ta noble franchise et ta sincérité
Je hume le beau sang coulant chez tout Breton,
Qui lui fait préférer un monde tournant rond,
Aux méandres obscurs d’un pouvoir tourmenté
Devant avec l’amour si souvent composer,
Ainsi qu’avec la haine, plus encor’ s’accoupler.

Le Hiéron
(Se redressant et fixant Louis dans les yeux)
Sire au-delà de moi, le peuple s’interroge.
Aux vertus consacrées, il ne veut qu’on déroge.
Et ce n’est pas ainsi, par des ébats internes,
Que vous espérerez éclairer sa Lanterne.

Louis
(Hilare)
Et tu n’espères pas avec ce trait d’esprit
Me faire renoncer à ce beau petit nid
Sur le Premier Ministre habilement conquis…

(Redevenant sérieux)
Ce que j’ai fait, ami, j’ai cru devoir le faire,
Je ne prends point pour juge un peuple téméraire.
Des émois de mon âme, je ne suis pas seul maître.
C’est ainsi que de nous, disposant à son gré
L’amour sait de nos cœurs s’emparer par degré.
Un moment est venu qu’il faut que votre bouche
Exhale des soupirs si longtemps retenus ;
Et que vous arrachant à une humeur farouche,
Un amas de transport aussi doux qu’inconnus
Aussi sensiblement tout à la fois vous touche.
Quand bien même il vous faut, en légère posture,
Sortir de son palais sans casque et sans armure,
Affronter de la rue le cirque menaçant,
Les regards indiscrets, les ris et les cancans.

Le Hiéron
(Perplexe)
J’entends ce que vous dites. C’est de la passion
Dont vous faites ici pleine illustration,
Qui vous ferait aller même sur mobylette
Jusqu’aux portes de Rome ou jusqu’à Espelette.
Une fois déclenchée, elle se doit de durer. 
Or, Seigneur vous semblez ne jamais persister
Et vous prendre à aimer un peu de tous côtés ;
Chimène délaissée, Antoinette adoptée
À son tour écartée par Elvire charmée.
N’est-ce point abuser de l’infidélité ?
Serait-ce votre rang qu’ainsi on sollicite ?
Et votre grand pouvoir n’a-t-il tout le mérite
Pour attirer à vous les soupirs les plus doux ?
Un roi voit plus souvent plier à ses genoux
Une jeune beauté, que tout mortel commun
N’ayant pour la séduire et croiser son chemin
Que le pur appareil d’une simple beauté
Éclairée par le feu d’un esprit bien délié.

Louis
(Enervé)
Dieu, mais quel rabat-joie ! Car au jeu de l’amour
Les miroirs sont les rois, autant que les atours.
Tout est illusion. Peu me chaux de savoir
Pourquoi je suis aimé. Il me suffit de voir
Que ce sont mes seuls bras qui récoltent tendresse
Et que c’est bien à moi que l’on fait les caresses.
Quant à ce début d’ode à la fidélité
Je ne puis y souscrire à peine de pécher.
À trop s’ensevelir dans une passion
On fait injure grave sans explication
À toute ces beautés que tu veux oublier.
Passant devant nos yeux, se voyant ignorées,
Ne seraient-elles pas injustement blessées ?
La constance ne vaut que pour des ridicules
Dont il faut ignorer le triste matricule.
Toutes les belles ont droit à notre attention
La première choisie n’aura prétention
Aux autres à confisquer les parts de notre ardeur.
Refusant l’injustice, en amour comme ailleurs,
Je suis prêt sans limite à partager mon cœur.
Payer le lourd tribut qu’exige la nature
Sera toujours pour moi la seule route sûre.

Le Hiéron
(Qui se rassied)
(À part lui, soupirant) Il y a du Don Juan dans ce souverain-là.
(À Louis). Je connais votre amour pour le bel opéra.
Mais je vois toutefois naître difficulté
Entre votre propos et votre majesté.
Ce que Don Juan faisait, simple particulier
Un monarque ne peut, tout autant, pratiquer,
Sans risquer d’y user sa grande autorité.
Dura lex….

Louis
(Goguenard)
                         Je t’en prie…

Le Hiéron
(Le doigt levé)
                                                    Sed lex !

(On entend un bruit de porte et des voix)

Louis
(Prenant Le Hiéron par le bras et l’emmenant vers le fond de la pièce)
Mais j’entends que l’on vient. Partons discrètement.
On m’avait annoncé venue du lieutenant.
Comme tu le disais, je l’avais remarqué
Cet homme est dangereux et cherche à s’imposer.
Sa dernière lubie, arguant du grand danger,
Est de faire rouler nos carrosses au pas.
Fuyons rapidement, qu’il ne nous voie pas là.

(Entre Manolo, précédant Chimène, première ancienne compagne de Louis)

Scène 2 : Manolo, Chimène

Manolo
(Faisant du regard le tour de la pièce)
Il me semble qu’ici, le Roi il y a peu
Conférence tenait, assis au coin du feu.
Je venais lui parler du progrès de nos luttes
Contre ces aigrefins auxquels je suis en butte.
Grâce à moi nous avons inversé la vapeur,
La France compte moins pour l’heure de tueurs !
Il reste, je l’admets, toujours plus de voleurs
Mais je sais d’où ils sont : des confins de l’Europe
Ils viennent nous narguer, naïfs philanthropes,
Sans nulle vergogne, ces tristes interlopes
Volent nos sacs à mains, nos tableaux, nos bijoux
Puis en célérité, partent par les égouts.
Mais je saurai, Chimène, avoir le dernier mot
Et leur faire payer bien plus que leur écot.
Ils rejoindront enfin les confins mordorés,
Au monde oriental, ils iront s’intégrer !

Chimène
(Pensive)
Mais ne craignez-vous pas, en leur faisant ce train
De jeter les Roumains avec l’eau de leur bain ?

Manolo
(Dressé sur ses talons et pointant le menton)
Je ne peux ignorer les risques du métier
Mais pour faire avancer, il faut savoir oser.
Nul ne peut s’imposer sans engendrer de peur
Et pour qui veut du peuple attirer la faveur
Plutôt que frapper juste, il vaut mieux frapper fort.
La grande émotion est un puissant ressort.

(S’asseyant sur le siège laissé vide par le départ de Louis)
Mais je n’aime point trop ce qui se trame ici.
La fuite de Louis, alors qu’il avait ouï
Mon approche feutrée, exhale du mépris.
Au plus haut de l’État, de moi l'on se méfie.
Je sens que l’on s’emploie, avec grandes ardeurs
À signer vivement acte de défaveur.

Chimène
(S’asseyant familièrement sur le bras du fauteuil)
Tout juste, Manolo, de cela il s’agit.
Connaissant mon Louis, ne soyons pas surpris
De le voir reculer devant difficulté.
Toujours tout en souplesse, il veut la contourner.
Votre gloire l’outrage, et tout comme Fouquet
Vous voici condamné, dans un souffle frisquet
Car dedans ces moments, il sait congédier.
Découverte j'en fis, bien triste expérience,
Alors qu’il s’est agi de conquérir la France.
De sa prééminence, j’ai osé contester
La primeur espérée. Voir ainsi proclamé
Mon nom pour occuper la compétition
Sur le trône vacant, fut grande déception.
En un instant record, je me vis débarquée
Abandonnée alors dessus le marchepied.
Antoinette a surgi vers d’autres échéances
Mais pas plus toutefois, cela lui porta chance.
Quand le destin tourna, elle fut plantée là.
D’un laps de deux ans, à peine elle profita.
Un tournant s’imposa ? Et Elvire arriva.

(Chimène se relevant et marchant dans le cabinet)
Ainsi donc, Manolo, vous voilà prévenu.
Le plus petit éclat peut vous briser menu.
Surtout n’attendez pas l’édit qui en avise
Pour d’un geste précis, boucler votre valise.

Manolo
(Se relevant du trône et inclinant la tête)
Je vous sais gré Chimène de cette mise en garde ;
J’aime la vérité sans que l’on me la farde.
Mais de ma vigilance il faut être assurée :
Le pire de prévoir, je suis accoutumé ;
À cette occasion, je me suis préparé.
En soldat affirmé, je frappe le premier.
De son trône saurai le socle fracasser

(Il donne un coup de pied rageur dans le fauteuil)

Chimène
(Elle s’approche de lui, se baisse et le baise violemment sur les lèvres)
Ah, le beau Manolo, j’aime son insolence !
Lui dont le tout-Paris dit la magnificence.
De sa verte puissance, il nie l’obsolescence ;

(Elle se serre encore contre lui)
Mais cette fermeté que je sens contre moi,
Et qui si puissamment suscite mon émoi,
Saurez-vous la tenir assez jusqu’à son bout ?
Vous sentez-vous de taille à résister à tout ?

Manolo
(Se dégageant doucement et rosissant)
Jamais je ne voudrai revenir sur mes pas
Quand j’enfonce le clou, rien ne m’arrêtera.
Foin d’aller et retour, il faut tirer au but
Et bien faire chanter toute la messe en ut.
L’estime où l’on me tient, provient de la puissance
Se dégageant de moi et faisant mon essence ;
De la honte et la peur, j’ignore la substance.
La crainte fit les dieux, l’audace fait les rois !
Lorsque je frapperai, l’ennemi sera coi.

(Se rapprochant d’elle de nouveau)
Madame, acceptez-vous de joindre vos efforts
À ceux que je déploie, et réparer le tort
Que nous avons subi de par ce vilain sort ?
Dans le ferme combat, que pour nous tous je mène
Pourrais-je m’assurer des beaux yeux de Chimène ?

Chimène
(Qui se laisse choir dans le fauteuil du roi, le souffle court)
Et de bien plus encore ! La vengeance est un plat
Dont on dit même froid, qu’il garde ses appâts !
Toute à ma dignité, au respect que je dois
À la France, à son peuple et aussi à son roi
J’ai su, du moins je crois, toujours rester de bois.
Jamais de ce bélitre ou de ses chiens d’aboi
Je n’ai dit moindre mot. Mais bien que grande dame
Comme tout un chacun, j’ai moi-aussi une âme.
Profonde est la douleur, dont Ariane blessée
Mourut sur le rivage où elle fut laissée.
Parlez, je suis de vous la fidèle servante,
Prête à vous obéir, et cela sans attente.

Manolo
(S’asseyant à son tour sur le bras du fauteuil)
À vrai dire Chimène, un tout petit service
Suffira dans l’affaire à remplir votre office.
De concerts délicats, nous sommes très friands
Et dedans notre hôtel bien des sujets brillants
Sont venus régaler de nobles invités.
Pour l’heur séjourne ici un immense talent.
D’Autriche il nous survient, et durant tout l’Avent
Il nous fera l’aura de compositions.
Toutes d’exception, elles donnent des frissons.
Johannes de prénom, de valse il est le khan
Il plaque des accords à faire danser les mânes.
Tout le genre féminin par devant lui se pâme.
Et grâce à son génie, une viennoise rit.

Chimène
(Attentive et amusée)
Je crois bien le connaître de réputation.
N’eut-il en Amérique récente mission
Afin de protéger commerce des nations ?
Il aurait pour défaut, entend-t-on dans le vent,
De lâcher l’aiguillotte un peu à tout moment…

Manolo
(Pincé)
Laissons là les ragots. On ne peut de ses dons
Effacer les effets. Ces riens lui pardonnons
Pour la cause des arts et des créations.
Vous connaissez Elvire, et vous appréciez
Fortement me dit-on, la comédienne née.
Avec elle soyez chez nous à un dîner !
J’aimerais tellement pouvoir lui présenter
Cette fleur des beaux-arts, cet Orphée incarné.

Chimène
(Innocente)
Je vous trouve par-là fort belle intention
Qui mérite presto son exécution.
En toute diligence, avec habileté,
Je saurai au concert vite vous amener
La dame que je sais par la muse attirée.

Manolo
(Qui lui baise la main, fait deux pas pour partir, et s’arrête soudain)
Chimène, je voulais…

Chimène
(Qui se lève)
                                 Parlez, je vous écoute.

Manolo
(Comme intimidé)
…Sitôt vous avouer, bien que le temps nous boute,
Que si la main de Dieu, ou même du Malin
S’en venait d’aventure à changer mon destin
J’aimerais avec vous, partager la puissance
Qui pourrait me donner comme neuve naissance.
Vous êtes de surcroît, de lien tout à fait libre
Refuseriez-vous, à mon cœur qui tant vibre
L’hommage d’une main dont j’admire la fibre ?

Chimène
(En apparence choquée)
Que diable, Manolo, venir me chanter là !
Certes moi je suis libre, et vous ne l’êtes pas.
Vous avez que je sache une épouse charmante ?
De moi voudriez-vous en maîtresse encombrante ?
Je croyais mériter un tantinet d’estime
Eu égard au passé, et non pas tant de frime.
Penseriez-vous vraiment, poursuivre incontinent
Cirque si indécent du roi vous précédant
Qu’il avait condamné en tant que prétendant ?

Manolo
(Impérial)
Foin je vous en supplie, d’aussi vilains soupçons.
De l’État moi aussi, je connais la raison.
Mais toujours une épouse se peut répudier.
Henri Le Huitième aux anglais l’a montré,
Et sinon Thomas Mor(e), chacun l’a accepté.
Encore plus près de nous, rompre son hyménée
Henri le Quatrième en a fait procédé.
Il sut bien sans vergogne au juste prix de messe
De la reine Margaux abandonner la fesse
Après avoir juré ne pas l'avoir touchée.
Et si nous croisions quelque difficulté
Pour défaire la chaîne où je suis entravé,
Reste que les Français, études l’ont montré,
Refusent rarement deux anses à leur panier.

(S’inclinant tout en reculant)
Mais, ne répondez pas à cet instant Chimène
Nous attachons tout deux trop de sens à l’hymen
Pour d’une décision si vivement trancher.
(Il sort, Chimène reste seule)

Chimène
(Sardonique)
Tout à l’orgueil de soi, il croit m’avoir cernée,
Et dedans ses filets, naïve, emprisonnée.
Le fourbe me voit dupe, et dans l’emportement,
Unique maître d’œuvre, il se pense indûment.
Pourtant tout gouvernant qui connaît la pratique
Ne peut pas ignorer qu’en fait de politique
On peut toujours duper celui qui veut tromper !
Laissons le temps au temps, et lui seul révéler
Qui en ressortira, ou bien reine ou dindon !
Mais je connais ce pas, notre fièvre taisons.

(Entre Louis, accompagné du Hiéron, du Magnifique, préposé aux affaires extérieures, et d’un suisse émissaire tout empoussiéré)

Scène 3 : Louis, Chimène, Le magnifique, Le Hiéron, un soldat

Louis
(Tout sourire)
Chimène, quelle joie de vous trouver céans,
J’ai toujours du bonheur à voir vos yeux charmants.
À sentir de tout près votre grâce angevine
Il me vient une envie qu'aisément on devine,
D’être roi du Poitou sur lequel vous régnez,
Pour l’unique plaisir de vivre à vos côtés.

Chimène
(Rieuse)
Je vous salue, Louis, et vous trouve plaisant,
Toujours aussi habile à trousser compliment.
Mais vous voyant ici, en tel aréopage
De votre intimité, je veux être le gage.
Sire permettez-moi de prendre mon congé.
Aussi incontinent, je vais me retirer.

(Elle s’incline et part en reculant)

Louis
(La retenant galamment par le bras)
Tout doux, ma belle amie, si vite ne pouvez
Tirez la révérence. Avec la fermeté
Qui sied à majesté, laissez-moi vous prier
Juste pour un moment, de rester parmi nous.
Non pas que plus on rit, et plus on est de fous,
Mais pour m’avoir aimé, vous connaissez mon goût
À ne jamais laisser les femmes de ma vie
Bien longtemps à l’écart des choses de Patrie.

(Chimène s’arrête, Louis se tourne vers le soldat)
D’autant, je subodore, en voyant ce soldat
Arriver de si loin, que l’on va de ce pas
Nous apporter céans, quelque bonne nouvelle
Qui risque bien de plaire à notre jouvencelle,
Aussi Chimène, à vous qui tant d’elle pâtites
Quand vous vous livriez, à un scrutin, du rite !
Mais, drôle, délivrez le message attendu
D’impatience je bous, d’attente ne puis plus !

Le Suisse
(Poliment courbé, un peu embarrassé)
Souffrez donc Majesté, circonvolution
Afin d’atténuer de votre perception…

Louis
(Impatienté)
Diable, vous vous moquez de notre autorité
Quand un Roi a parlé, il faut s’exécuter !
Vous n’avez pas vogué contre vents et marées
Et sous vous cinq chevaux totalement usés
Pour apparaître ici, en silence impavide.
Je devais vous rêver un peu plus intrépide !
Et pour que mon courroux reste plus contenu,
Cessez incontinent d’être un hurluberlu !

Le Suisse
(Résigné)
Vous l’aurez voulu Sire, et serez obéi.
J’espère évidemment avoir été compris,
Et de ce que j’apporte être tenu distant,
Étant en l’occurrence un unique instrument…

Louis

(Le coupant et laissant percer son ire)
Peste soit le faquin, il me fera mourir !
Dois-je usage du fouet faire ici survenir
Pour entendre à la fin un propos cohérent
Mettant ainsi un terme à un si vif tourment ?

Le Magnifique
(S’avançant près du soldat)
Monsieur, je vous sais gré de vous faire plus clair
De notre Majesté, vous boutez l’urticaire.
Et il n’est jamais bon pour une nation
D’apercevoir son roi pris de démangeaisons.

Le Suisse
(Abattu)
Sire je dois livrer un message bifide :
Réjouissant par ci, mais par-là très aride…

Louis
(Sèchement)
Soit, il suffit alors avec le bon versant
De bien nous réjouir pour le commencement.
Ma nature confiante m’a toujours fait accroire
Qu’avec un peu de temps, toujours surgit l’espoir ;
Que même au fond du trou, accablé de sarcasmes,
Moi, j’échappe indemne au pire des marasmes.

Le Suisse
(Réconforté)
Sur terre d’Orient, Antoinette a pris pied
Et d’emblée a trouvé à dire ce qui sied.
Dans un monde complexe où tout est entrelacs,
Les croyances en Allah ou bien en Jéhovah,
Quand il ne s’agit pas de combattre d’Ali
Les zélés zélateurs, ou les tendres soufis…

Louis
(S’agitant sur son trône)
Foin de ce petit cours de géopolitique
De grâce gardez-le pour notre Magnifique :
Il est de ces affaires, en nos états chargés,
Du miel de l’Orient, il saura se combler.
Ne faites pas renaître autant d’impatience
Revenez-en aux faits seuls de votre science !

Le Suisse
(Reprenant le cours de son propos)
Elle sut toujours avoir chaque fois le mot juste
Et quand il le fallait, redresser son beau buste
Pour ses vues affirmer sans jamais offusquer.
Ayant d’une oasis choisi de fabriquer
Manière de palais tout en toile tissé,
Des déserts alentours, foules sont accourues
La couvrant de cadeaux parfois très incongrus :
Dans ce capharnaüm, avec le merveilleux,
Tissu d’or rebrodés, subtiles camaïeux,
Se mêlait le banal, poule, chèvre ou chameau.
Elle eut même un serpent, aux superbes anneaux.
Ah, il fallait le soir, autour d’une flambée
Du fifre aux cymbalons ouïr le son mêlé.
Versailles, Majesté, paraissait retrouvée
Aux confins oubliés du monde oriental
Tant toute la richesse épousait le métal
De la simplicité qu’un monarque normal
Se plait à cultiver. Et plus qu’ambassadrice
Antoinette a su être une vraie génitrice
D’une image de France, royaume de beauté,
Gage de savoir-vivre et de prospérité.

(Un sourire béat gagne les présents, un silence s’établit)

Louis,
(Rompant le charme)
Voici, convenons-en, un bien touchant spectacle
Qui dans cet univers, tient un peu du miracle.
Mais faut-il oublier la loi de la nature
Qui marâtre, jamais ne veut que fleur ne dure
Plus que d’un beau matin à l’espace d’un soir.
J’aimerais toutefois ne pas tout peindre en noir,
Connaissant Antoinette, et l’ayant éprouvée
Je ne vois pas l’Eden longtemps se prolonger.

Le suisse
(Opinant du chef)
Ah, Majesté, hélas, de l’histoire vous êtes
Tristement approché. Ici finit la fête,
S’ouvre le cauchemar. Il surgit du désert.
À peine caravane avait-elle entamée
Vers la vieille Ispahan sa marche ensoleillée
Que de sicaires armés jusqu’au milieu des dents
Surgit un régiment. En un terrible instant
Tout n’est que mort et sang. Les gardes décimés,
La volaille étouffée, les femmes assassinées.
Voilà qu’un furieux porte au zénith le crime
Tuant le dromadaire, où assise à sa cime
Antoinette tentait de se parer des coups.
La bête s’abattit, livrant en proie aux loups
La personne sacrée par vous ambassadrice.
Avant même qu’elle chut, une main salvatrice
La saisit au passage et la mit sur la croupe
De son bel alezan. Suivi de par sa troupe,
Il a fui galopant, soulevant un nuage
Tout de sable brûlant. Étouffés par la rage
Les quelques survivants, assistent impuissants
À ce qu’il faut nommer terrible enlèvement.
Et le chagrin me mine en me représentant
Sa noble silhouette se fondre dans le vent.
Nous ne l’avons depuis, ni plus jamais revue
Ni eut de ses nouvelles. Antoinette est perdue…

(Le rideau tombe devant des personnages statufiés par l’horreur)

Fin de l’Acte II

À suivre…

 

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