Son souvenir, en tout cas, repose en paix – après un étrange périple – dans l’église Notre Dame (Onze Lieve Vrouwekerk) de Bruges, au côté de celui de sa fille, Marie de Bourgogne, dont le mariage avec Maximilien d’Autriche annonça l’affaiblissement du duché bourguignon.

Le tombeau de Marie (morte accidentellement à 25 ans en 1482) fut exécuté en 1502 par Jan Borreman, le meilleur sculpteur sur bois de son époque, tandis que celui de son père est de Jacques Jonghelinck (1530-1601), et fait un siècle plus tard…

 

Tombeau de Marie de Bourgogne - Photo AuxerreTV (D.R.)

Le gisant de Marie de Bourgogne a été fait d’après son masque funéraire, alors que celui de Karel de Stout (Charles le fier, comme il était nommé dans les Pays-Bas bourguignons) est inspiré du portrait qu’en fit Rogier van der Weyden vers 1461.

Portrait de Charles le Téméraire - Rogier van der Weyden

Ces tombes furent qualifiées par Victor Hugo d’énormes bijoux. Il en décrivit les blasons d’émail, le lion aux pieds du duc et les chiens aux pieds de la jolie et jeune défunte, et les quatre faces du monument avec cette forêt d’arabesques d’or sur fond noir avec des anges pour oiseaux et des blasons pour fruits et fleurs

Un des faces du tombeau de Charles le Téméraire - Photo AuxerreTV (D.R.)

Tant de splendeur, hélas, ne se produisait qu’au coût de la santé des artisans : la dorure au feu sur bronze se fixait par le mercure, et ce processus provoquait de douloureuses stomatites, déchaussement et pertes de dents, des accidents nerveux et anémies. Plusieurs ouvriers ayant travaillé à la tombe de Marie furent paralysés et même Jacques Jonghelinck fut longuement malade après avoir inhalé les vapeurs toxiques.

Mais Charles repose-t-il vraiment dans ce somptueux repos ?

Mort à la bataille de Nancy en janvier 1477, son cadavre nu – pillé, défiguré par un coup de hallebarde et les joues rongées par les loups – fut identifié par un page qui le reconnut à des cicatrices familières et à ses ongles particulièrement longs. Marguerite d’York, la très belle veuve du Bourguignon, offrit une importante somme d’argent pour que le défunt ait sa sépulture à la Chartreuse de Champmol (Dijon) comme les autres ducs de Bourgogne, mais le vainqueur de la bataille de Nancy, René II de Lorraine, répondit avec superbe qu’il ne faisait pas le commerce des cadavres. Privant ainsi Charles de ses ancêtres et de la mémoire funéraire dynastique, il fit enterrer son ennemi vaincu en grandes pompes à la Collégiale Saint Georges, commandant le tombeau au sculpteur Jean Crocq.

 

Passèrent les ans. Le Téméraire n’était pas oublié, cependant. En 1550, Charles Quint, son prestigieux arrière-petit-fils, exigea la restitution des restes familiaux, mais l’ouverture du cercueil de sapin fut consternante : des ossements impossibles à identifier y gisaient sans ordre et en très mauvais état. Les restes ramenés pourraient donc tout aussi bien être ceux du compagnon d’armes du Téméraire, Jean de Rubempré, seigneur de Bièvres. On conserva cependant à Nancy le coffre qui contenait les entrailles du duc de Bourgogne – si c’étaient les siennes ! Les restes présumés restèrent ensuite près de trois ans à Luxembourg. En 1553 enfin on décida de sa destination finale, aux côtés de sa fille.

Mais le repos ne fut pas éternel, puisqu’en 1793, dans l’explosion de la révolution française, tout signe rappelant la féodalité fut sévèrement banni. Les  chanoines dissimulèrent en grande hâte corps et gisants, mais la tombe de Marie fut profanée. Et lorsqu’en 1810, sous Napoléon, les corps furent restitués… nul ne sait  si la dépouille du duc bourguignon était encore là…

Décidément… les restes et tombes des ducs de Bourgogne ont eu des fins bien mystérieuses. Heureusement … il reste l’Histoire et ses histoires !

 

 

                                                               Suzanne DEJAER

 

 

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