Avant-Propos

 

L'assemblée départementale largement renouvelée n'est plus un lieu de débat public. Force est de le constater.

Nombre de conseillers tant de l'opposition que de la majorité - surtout les nouveaux (elles) élus(es) - le déplorent en privé. Impossible de développer une pensée qui ne se résume pas comme un tweet à 140 signes.

Le mode de gouvernance du président UDI André Villiers ne favorise pas l'échange, le partage non plus que la coopération. À défaut de stratégie, c'est la politique du coup par coup et des coups.

Gouverner sans partage, ne laisser à l'adversaire - y compris dans son propre camp - pas le moindre millimètre de terrain même aux séminaires de la majorité organisés à Chablis aux moments clés, écarter ceux qui ne filent pas droit, ignorer et pénaliser les opposants (demandez aux élus du Sénonais), promouvoir la récompense aux dépens de la compétence, semblent bien devoir être la règle, appliquée par une main de fer dans un gant de velours et la robe fripée de la convivialité comme masque.

En 2015, le travail en réseau, le travail en équipe en transversal, la nécessité de déléguer, d'évaluer, de prospecter, sont des pratiques courantes indispensables pour évoluer. Au conseil départemental de l'Yonne et son système à double commande (élu-fonctionnaire) archaïque et paralysant car on est en droit de se demander qui contrôle qui, ces pratiques semblent inconnues. 

Henri de Raincourt président a toujours respecté ses adversaires politiques ou sans étiquette (cela revenait au même puisqu'il fallait appartenir à l'UAY l'union pour l'avenir de l'Yonne l'association de la majorité). Adversaires ...?  Cordillot, Nallet, Lavrat, Lassale, Sadon, Henry, Villiers, Bourgoin, Lemaire, Capitan ... H2R lui, a su nommer  vice-présidente du conseil départemental une opposante, membre de l'opposition, apparentée socialiste, Monique Hadrbolec.

L'Yonne, aujourd'hui, est en phase de recul, aux dépens du bien public, de son avenir.

   

Pierre-Jules GAYE.

 

 

Nicolas Soret élu du Jovinien (DR)


 
En France, la notion de « puissance publique », aujourd’hui, marche sur deux jambes : un Etat stratège, qui fixe les grandes orientations de la politique de la Nation et les collectivités qui, ayant acquis de plus en plus de pouvoirs au gré des années et des vagues successives de décentralisation, sont en capacité de mettre ces grandes politiques en œuvre, de les faire entrer dans le quotidien des Français. Mais, après 30 ans de décentralisation,  après 30 ans durant lesquels, quelle que soit leur couleur politique, tous les gouvernements qui se sont succédé ont fait le pari de « l’intelligence des territoires », il était devenu nécessaire de rationnaliser notre organisation territoriale. L’organisation des pouvoirs dans notre République, dans le partage entre l’Etat et les collectivités territoriales, n’est plus lisible, plus comprise, et plus du tout maîtrisée par nos concitoyens. C’est aussi, parmi de nombreuses autres, une des raisons pour lesquelles les électeurs se détournent de certaines élections : qui, peut être certain, sans se tromper, de dire précisément ce que sont les compétences d’une région, ou d’un département ?


 
Faire confiance à l’intelligence des territoires pour s’organiser et rationaliser la dépense publique
 

Jusqu’ici, les communes, les départements, les régions, disposaient d’une « clause de compétence générale ».  La clause de compétence générale, c’est quoi ? C’est la capacité pour une collectivité d’intervenir sur tous les sujets, dans tous les domaines (santé, transports, culture, sport, tourisme, nouvelles technologies, urbanisme, développement économique, aménagement du territoire…). Bref, jusqu’ici, tous les élus, de toutes les strates, avaient vocation à intervenir sur tout, ou plutôt « un peu » sur tout. Seule exception : les intercommunalités qui, depuis leur création, ont été pensées pour n’intervenir que sur quelques compétences, que les communes ont accepté de leur transférer.
 
Bilan ? Aucun citoyen ne sait plus « qui fait quoi » et où se tourner. Il faut, un jour dans sa vie, avoir reçu un entrepreneur pour s’en rendre compte. Il vous parle « portage immobilier » ? Qu’il s’adresse au département. Il vous parle « foncier » ? La Communauté de communes est son interlocuteur. Il vous parle apprentissage ? Ah, tout dépend : c’est la région pour le contrat, et le département pour aider à la mobilité de son jeune. Il vous parle recrutement ? C’est l’Etat, via pôle emploi, de manière générale. A moins qu’il ne cherche spécifiquement quelqu’un de jeune, alors ce sera plutôt la mission locale, du ressort de la commune. Pour le financement de la formation, il faut qu’il voie la région. Si c’est un sujet financier, alors il a plusieurs solutions : une agence départementale, des crédits régionaux ou la banque publique d’investissement. Pour faire court, quand vous recevez un entrepreneur qui arrive avec des questions relativement simples, il ressort de votre bureau avec une demi-douzaine de numéros de téléphones et autant d’interlocuteurs. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué…
 
Bref, il fallait rationnaliser. Il fallait « spécialiser » les collectivités. C’est tout l’enjeu de la loi NOTRe (pour Nouvelle Organisation Territoriale de la République), celui dont les médias n’ont pas parlé, celui dont les élus n’ont pas parlé, parce que tout le monde s’est focalisé sur la « taille » minimale des communautés de communes, un élément au final assez anecdotique de la loi, mais porteur de crispations sur les territoires. Et aussi parce que cette nécessaire réforme se fait concomitamment au désendettement du pays, auquel les collectivités sont appelées à contribuer (trop) vite et (trop) fortement.
 
Mais la grande œuvre de cette loi, le grand bond en avant, c’est bien cela : chaque collectivité va devoir se spécialiser et la Loi fixe les grandes orientations de ces spécialisations. Deux exceptions néanmoins, dans des registres différents. D’une part les communes garderont, elles, la clause de compétence générale et pourront intervenir sur tout, dans tous les domaines ; soit directement, soit à travers leurs groupements. La commune reste la base de toute notre architecture territoriale. D’autre part, trois domaines de l’action publique restent des compétences partagées : la culture, le sport et le tourisme.
 
Mais la Loi est subtile, car si elle fixe les grandes orientations de ce sur quoi chaque collectivité devra concentrer son travail et ses moyens, elle envoie très clairement un message de confiance aux élus locaux. Elle grave dans le marbre (et ce n’est pas rien pour un pays de tradition centralisatrice !) sa confiance dans la capacité des élus des différentes collectivités (régions, départements, intercommunalités, communes) à se faire confiance et à s’organiser localement : toi tu investis dans la santé, moi je m’occupe du développement économique, toi tu prendras les transports, et moi l’aménagement du territoire… Ces « accords », ils devront avoir lieu dans une instance que créé la Loi et qui s’appelle «  la conférence territoriale pour l’action publique », la CTAP. Une instance de niveau régional qui met autour de la table toutes les collectivités et les appelle à s’entendre. J’y représente, pour ma part, les présidents des intercommunalités de l’Yonne.
 
 
Dans l’Yonne : faire moins, pour faire mieux.
 

Vendredi, en séance plénière du département de l’Yonne, nous avons effleuré ce débat. Quelques minutes à peine, en marge d’une délibération, pour essayer de sonder la réflexion du président et comprendre où il souhaite emmener notre département.
 
L’Yonne, jusqu’ici, à l’image de nombreux autres départements français, a cherché à intervenir dans tous les domaines. On agit dans le domaine des solidarités, bien-sûr, c’est même-là notre cœur de métier, avec les collèges. Solidarités entre les citoyens (RSA, handicap, …) mais aussi entre les territoires (avec des règlements des aides aux communes qui pèsent très lourdement sur le budget départemental). Mais on agit aussi pour le numérique, pour le développement économique, pour la diversification agricole (amis des truffes bonjour), pour le remembrement forestier, pour les transports, pour le sport, la culture, le tourisme, pour les médecins (si peu), pour la mobilité des étudiants…
 
Avec des résultats qui, objectivement, sont assez mitigés : l’Yonne figure désespérément en queue de nombreux classements des départements français. Ah ça, on ne peut pas reprocher au département de  l’Yonne de ne pas être partout, un tout petit peu partout. Et c’est justement ça le problème : on émiette, on saupoudre. Et on finit, à force de vouloir être un peu partout, à ne plus être efficace nulle part. Pire, à mes yeux, l’Yonne n’est pas au rendez-vous des grands enjeux de notre siècle : rien du tout, ou si peu, pour la transition énergétique et la préservation de l’environnement, rien du tout, ou si peu, pour la transition numérique, dans les infrastructures comme dans ses usages, etc….
 
Et puis, ce saupoudrage a un coût, sans qu’on sache d’ailleurs s’il est bien efficace, car l’Yonne n’évalue pas ses politiques publiques. Quand le Président, année après année, pointe le « coût du social » pour augmenter la fiscalité des Icaunais, il oublie de dire aussi que cette augmentation fiscale est nécessaire car il veut continuer à maintenir des politiques publiques dont le coût est certes mineur dans le budget du département mais qui, quand on les additionne, finissent par peser lourdement. Depuis mars, j’ai fait un symbole de ce règlement d’intervention qui fait que l’Yonne finance la plantation de chênes truffiers. Mener une politique de diversification agricole, pourquoi pas. Avoir choisi la truffe pour mener cette diversification, pourquoi pas. Mais est-ce efficace ? Est-ce vraiment ce que demande la chambre d’agriculture ? Est-ce qu’après tant d’années à financer des truffes, et eu égard à la faible superficie de plantation atteinte, on a le droit de se dire que, peut-être, ça n’a pas été efficace ? Dans une collectivité, je prône l’expérimentation, je prône la capacité à tenter, à essayer. Parfois ça fonctionne, parfois pas. Et c ‘est aussi la grandeur d’un élu que de savoir s’arrêter… surtout quand il en est conduit à augmenter les impôts année après année.
 
Notre département a donc, dans les mois prochains, rendez-vous avec l’histoire de l’organisation territoriale de notre République. Il va falloir, c’est une impérieuse nécessité, que le président accepte d’abandonner quelques-uns de nos règlements d’intervention, pour les confier à d’autres collectivités, qui seront peut-être plus efficaces pour mener certaines politiques. Car sinon, l’Yonne, budget après budget, devra alourdir sa fiscalité pour maintenir ses interventions dans tous les domaines. Faisons donc moins, pour faire mieux !
 
 
Se faire confiance


 
Mais pour cela, il va falloir se faire confiance. Il va falloir que notre président accepte de se mettre autour d’une table avec les présidents d’intercommunalités de l’Yonne (que le président ne réunit jamais) pour que l’on regarde ce qui nous semble pertinent, ce dont nous pourrions le délester, et dans quelles conditions. Il faut prendre en compte cette donnée : la carte intercommunale dans l’Yonne continue à évoluer, à se structurer, et il viendra un jour (pas si lointain) où ces groupements de communes, réunis, seront plus puissants et plus efficaces (car leurs compétences sont limitées) que le département ; il ne faut pas les oublier, ou les nier. Il va aussi falloir que notre Président accepte de siéger dans cette commission territoriale de l’action publique (la CTAP) avec tous les autres élus de Bourgogne-Franche Comté pour discuter du « qui fait quoi », et « qui le fera au mieux ». Bref, il va falloir que le département de l’Yonne accepte l’idée qu’il ne peut plus courir seul dans son couloir, et que de la course en solitaire, il va falloir commencer à penser plus « collectif ».
 
Abandonner des pans entiers de l’action publique pour les confier à d’autres, ou plus simplement parce que leur efficacité n’est pas démontrée, n’est pas chose facile. Car dire « non », en politique, ce n’est jamais simple. Qu’on soit maire, président d’intercommunalité, président de département ou président de région. On froisse, on passe pour un maltraitant. Mais la France a besoin de cette rationalisation. Et l’Yonne peut-être plus qu’aucun autre département.
 
Le juge de paix tombera au budget 2016. On nous exposera des choix. En tout cas je l’espère. Parce que c’est un tournant dans l’histoire de notre département, et parce que l’on ne peut pas indéfiniment alourdir l’impôt des icaunais, j’ai eu maintes fois l’occasion de le dire au président Villiers, publiquement comme en privé : « l’opposition » départementale saura prendre ses responsabilités et accompagner le Président dans cette mutation, sans faire de procès politique. Parce que c’est là la responsabilité de tous les élus de l’Yonne, quel que puisse être leur positionnement politique dans des débats plus nationaux. Mais ce débat, il mérite sérénité et honnêteté intellectuelle.

Quand, régulièrement, avec les élus de notre groupe, nous pointons des dépenses du département, en nous demandant si elles sont vraiment utiles, vraiment efficaces, nous n’enregistrons pour le moment que des caricatures de réponses… Si nous osons interroger le règlement sur les truffes, c’est que nous sommes « contre les agriculteurs ». Si nous osons demander pourquoi le département ne s’en tient pas simplement à ce que qu’exige la loi concernant le financement de l’enseignement privé, alors c’est que nous sommes « pour rouvrir la guerre entre le privé et le public ».

Si nous osons émettre l’idée que les agences départementales qui touchent au développement économique pourraient être confiées à une fédération des intercommunalités de l’Yonne, dont c’est une des compétences obligatoires, plutôt que pilotées par le département, alors c’est que nous sommes « contre le développement économique ».

Si nous pointons du doigt le retrait des financements à l’École de la Deuxième Chance de l’Yonne, au motif que « la formation n’est pas une compétence du département », alors même que l’on finance l’établissement d’enseignement supérieur de Sens, nous nous voyons gratifiés d’opposants à « l’enseignement supérieur ». Une succession de caricatures de notre pensée et de nos paroles, qui finissent par étouffer le débat, plutôt que le nourrir.

Mais, après six mois seulement de mandat départemental, je ne désespère pas que nous puissions engager des vrais débats de fond au sein de notre hémicycle, sans que chacun se cabre sur ses postures, qui, si elles permettent peut-être aux uns et aux autres de se faire plaisir et de marquer leur empreinte, ne font pas progresser le territoire.
 
 

Nicolas SORET


Conseiller départemental de l’Yonne
Président de la Communauté de Communes du Jovinien