Noël, Nativité, fête païenne, fête chrétienne, fête du gaspillage, de la famille, de la lumière … malentendus, malentendants désaccordés sur ce qui pourrait se cacher derrière ces joies antiques : un message qui impose sa religion dans le moindre chant ou biscuit, une soumission à une Eglise à laquelle on résiste au nom d’une autre ou de la laïcité, une reddition à un culte qui bafoue nos origines et propres croyances…

Crèche, sapin, anges et clochettes, enfant Jésus trop grand pour son âge, vierge Marie proprette et remise de son voyage et accouchement au point de s’agenouiller, stupéfaite. L’âne et le boeuf, dont les flancs exsudent une confortable sueur à l’odeur âcre, et les rois mages en vêtements de grand soir, dont les fiers équipages doivent se bousculer et piétiner la belle neige imaginaire au-dehors…

 

Le Caravage - adoration des bergers

Oui, pour les catholiques, officiellement, c’est la nativité que l’on évoque. Je me souviens de l’excitation qui était la mienne lorsqu’enfin le bébé était dans la mangeoire, car pendant plusieurs jours avant Noël elle était prête, mais vide, alors que les autres personnages de la crèche étaient déjà en position, immobiles, figés dans l’attente.

Mais déjà petite… je ne croyais pas vraiment à tout ça. Oui il avait bien dû naître un jour et quelque part, le petit Jésus, mais il ne pouvait pas déjà être si grand et gros, sourire en gardant les bras ouverts pour l’accolade… Marie ne pouvait pas être aussi fraiche et déjà levée – ma tante Liliane avait des enfants tous les ans mais je doutais qu’on aurait pu lui demander de se lever le matin de l’accouchement pour s’agenouiller devant la dernière petite cousine… Les rois, qui venaient de loin, n’auraient pas voulu rester debout, de la paille crottée sous les semelles. Bref je n’étais pas une ouaille crédule.

 

Les cadeaux des rois mages

Mais au fond… que l’on croie ou pas, et en dehors de tout contexte de laïcité dont je n’ai pas l’intention de me mêler, je veux juste dire à ceux qui ne pensent pas plus que moi que ce 25 décembre précis, le petit Jésus nous a fait la surprise de commencer son oeuvre de sauvetage, et à ceux qui y croient… la vérité est dans nos coeurs. L’image est en tout cas plaisante, et la fête est la célébration de la vie, de la famille, de la mixité, de l’amour de tout ce qui compose le monde.

L’âne et le boeuf ont leur place auprès du petit enfant. Balthazar, le Chaldéen Baal Sar a la peau sombre et l’importance d’un roi, apportant la myrrhe, la gomme aromatique qui fait rayonner la paix. Le bon Gaspar – Gad Sar – arrive d’Egypte avec l’or, ce précieux métal qui transmute le désir en aspiration à se réaliser. Quant à Melchior, c’est le sage du monde Celte, le Prince des korrigans Mael-Korr avec l’encens qui parle d’humilité et d’absence d’orgueil.

De belles qualités. Ici on n’a pas les trois bonnes fées qui promettent beauté et richesse, mais trois bons  rois qui apportent la sagesse.

Joseph a dû, par amour pour Marie, accepter de prendre soin de son enfant, conçu d’une façon si étrange que ça devait quand même un peu le turlupiner. Mais ils sont unis autour de ce bambin, né dans la fuite, la peur aux trousses, au moment où le monde bascule d’un solstice à l’autre. Les étoiles se gonflent et vibrent, complices de tous les amours profonds  dans un ciel noir et serein, entourant celle du berger, la fée Clochette des mages qui des mois durant les a guidés de monts en vaux, de fleuves en déserts jusqu’à ce  petit point qu’elle indiquait de ses rais précis : une crèche d’où jaillissait l’Amour.

C’est l’amour des hommes que l’on fête, et leur union à tout ce qu’on ne voit pas mais existe pourtant. Et les hommes, nombreux, qui sont seuls, et dont on dit que la solitude leur pèse plus lourd ce jour-là, sont touchés par cet amour, même s’ils ne le perçoivent pas.

Et on entend aussi ce vieux laïus jamais usé que “ce sont des fêtes sur commande, des fêtes qui encouragent aux achats inutiles et à une bombance écoeurante face à ceux qui, quelque part, se régaleraient de nos miettes”.

Mais après tout, on voit avec ses lunettes formantes ou déformantes. Chacun sa vision ou son envie de vision. Et bien sûr nous sommes nombreux d’ailleurs à changer de lunettes au cours d’une existence…

Dans les familles, autour d’une table décorée de scintillants objets et bougies légères, où l’on mange avec trop d’abondance et boit de trop bon coeur, les liens invisibles tiennent le groupe ensemble. Oui il y a les secrets, les rancoeurs, les relations sournoises, les unions mortes, les couples gourmands l’un de l’autre, les enfants qui ont hâte de passer au dessert, les vieux qui racontent à nouveau la guerre ou la fois où on a surpris un voleur dans l’appentis, ceux qui en silence regrettent ceux qui ne sont plus là, les grincheux qui ont du mal à attendre les adieux sur le seuil… toutes les humeurs sont présentes, tout ce qui est sain et malsain entre les humains. Mais tous sont là, unis dans la trève de ce repas de fête, se disputeront peut-être mais… la tribu est au complet.

C’est la vie, c’est un monde minuscule, et tous ces mondes minuscules forment l’humanité. Qui ce jour-là, croyants ou pas, catholiques ou pas, sent que… oui, nous sommes là, et plaise au sort que l’année prochaine, nous soyons plus nombreux et qu’il n’en manque aucun.

 

Paix aux hommes de bonne volonté… de faire une trève et de garder la richesse de l’espoir.

 

                                                    Suzanne DEJAER