CULTURE
Jules Renard et le Mont Sabot
le dimanche 03 janvier 2016, 14:09 - CULTURE - Lien permanent
"Un pays clair, facile à comprendre ..." Au soleil couchant en septembre
Jules Renard, le célèbre écrivain de l'autre Chitry de la Nièvre (Chitry-les-Mines, non loin de Corbigny), a visité le Mont Sabot en 1898 et en 1906; il en a fait la description dans son Journal :
6 juillet 1898 - Mont-Sabot (Nièvre). Une butte à pic. De quoi mettre une chapelle, quelques arbres et quelques tombes.
Les portes garnies de clous sont fermées par l'âge. Une partie de la chapelle est encore couverte en pierres plates. Des sapins où, d'en bas, on entend, par cette belle journée, souffler le vent, un vent de mort. Des tilleuls et des ormes foudroyés, énormes, des tombes dans l'herbe, des roses, toute une flore que je ne connais pas. Une servante enterrée à côté de son curé avec qui elle a vécu 45 ans : ça attendrit, et ça fait sourire. On a presque les nuages sur le front, un peu de vertige. On regarde à travers les barreaux de la petite fenêtre de la sacristie avec la peur d'y voir des choses. De vieilles croix de pierre finement fouillées par un artiste du Moyen Age. J'ai peur de mettre un morceau de croix de fer dans ma poche. Un clou que je veux arracher d'une porte me pique.
Une rose mord jusqu'au sang un doigt de pierre.
Tous ces arbres, c'est le même, qui se promène au bord de l'eau.
Regarder l'horizon, c'est regarder loin, mais c'est aussi regarder quelque chose de faux.21 août 1906 - Voyage à Mont-Sabot par Combres, Ruages, Moissy, retour par le Mont-Bué, route de Lormes, Bailly, Reunebourg, Corbigny. J'étale ma mémoire comme une carte géographique, et je m'efforce de revoir ce que j'ai vu : perpétuel etonnement.
Deux châteaux à tours carrées qui peu à peu s'adoucissent et deviennent des fermes.
Chitry-Mont-Sabot avec ses toitures de paille et ses beaux noyers. Il n'en a pas l'air, dit le voiturier, mais c'est un pays riche. Une jeune fille apporte en dot un noyer.
Un chaos de maisons, de jardins et de tas de fumier. Des murs neufs de granit rouge.
Mont-Sabot. Un sabot droit, au nez fendu. Des tilleuls dont l'un est foudroyé, mort. On y enterre encore. L'église, couverte en pierres plates, est fermée. Vieilles tombes, dont les plus vieilles sont les mieux ouvragées. Vue magnifique : Montenoison, le château de Vauban, l'immense grange de Vézelay, Lormes. Les morts n'ont qu'à se lever sur un coude pour voir tout ça.
Un pays clair, facile à comprendre : une butte, un vallon, une butte, un vallon. D'une pente à l'autre, les paysans se voient travailler. C'est la première église que j'aie envie de voir : elle est fermée.
Un sentier tourne autour de la butte comme une jarretière au-dessus du genou.
Puis, l'heure rose, l'heure tendre, l'heure divine arrive. C'est une surprise que Dieu nous fait chaque soir. Il faudrait se coucher dans tous ces prés, boire à toutes ces fraîcheurs, vivre là, là, mourir partout.
Être né, là, au pied du Mont-Sabot, quelle enfance pour un poète !
Jules Renard
Jules Renard, né en 1864, a passé son enfance à Chitry-les-Mines, dans la Nièvre. C’est dans cette enfance qu’il a puisé la matière de son chef-d’oeuvre Poil de Carotte (1894), et dans la campagne nivernaise qu’il a trouvé l’inspiration de ses Histoires Naturelles (1896) et de Nos frères farouches, Ragotte (1908).
Car même s’il fut à Paris un auteur dramatique à succès avec Le plaisir de rompre (1897) et Le pain de ménage (1898), Jules Renard n’a cessé de resserrer ses liens avec le pays nivernais : en séjournant de plus en plus souvent à la Gloriette, demeure louée à Chaumot, puis dans la maison familiale de Chitry-les-mines ; en se faisant élire maire en 1904 par les citoyens de cette commune, afin de mener pour eux une inlassable action sociale et culturelle.
La maison natale de Jules Renard (Photo Jacques Millereau, collection personnelle)
Commentaires
C'est étonnant qu'il ne parle pas du canal du Nivernais, à l'époque de sa pleine activité celui-ci devait être un spectacle permanent pour un enfant..
Et le château de Chitry les Mines vaut bien quelques photos. Sa statue et ses oiseaux aussi. Il n'a pas évoqué les" escaliers" et le tunnel de la Colancelle, mais sans doute, n'avait t-il pas de bicyclette, car par le chemin de hallage ce n'est pas loin.
Le but de cet article PJG, c'est pour nous faire découvrir ou redécouvrir cet auteur un peu tombé dans l'oubli?
Pour vous endormir heureux, prenez ses "Histoires naturelles" pour livre de chevet
Incontournable de notre Bourgogne « profonde » comme le fut Colette, Jules Renard a fort bien campé ce pays austère et attachant à la fois, ainsi que ses habitants au caractère bien trempé qu'on découvre dans des pages succulentes trop peu lues maintenant.
Mentionnons le très bon film de Jacques Tréfouel : Jules Renard, homme de combat (51'), parmi d'autres réalisés sur Louis Pergaud, Colette, Achille Millien, Vauban, les nourrices morvandelles (Les Films du lieu dit).
Quant au mont Sabot, il faut y aller en différentes saisons pour « respirer » ce pays. Profitez des Journées du Patrimoine pour visiter la chapelle du mont Sabot, (l'association Novem Fontes). Certes, ce n'est pas Vézelay, ni Château-Chinon, ni le mont Beuvray. Mais c'est le calme et le charme de la France profonde et reposante, celle "d'un pays clair, facile à comprendre", celles des racines de Jules Renard.