Il s’agit de la première grève documentée dans l’histoire, arrivée jusqu’à nous par un surprenant papyrus (« Le papyrus de la grève ») conservé au musée égyptien de Turin et rédigé par le scribe Amennakhte qui faisait lui aussi partie de l’équipe des travailleurs, et tiendra scrupuleusement le journal de cette révolte... Les ouvriers exigeaient d’être entendus, compris, et ont utilisé leur pouvoir pour recevoir ce qui leur était dû et promis.

Nous voici sous le règne de Ramsès III. Un grand pharaon alors au pouvoir depuis 29 ans et prévoyant qui fait travailler des ouvriers, dits « hommes de la tombe » à sa nécropole de Deir el-Médineh. Contrairement à une légende tenace, il n’y avait pas que des esclaves qui travaillaient dur : ces derniers n’étaient en grande partie que les prisonniers de guerre, et les ouvriers d’alors ne s’en sortaient pas trop mal. Le statut des « hommes de la tombe » était d’ailleurs privilégié et leur niveau de vie plutôt supérieur à celui de beaucoup.

On estime qu’il y avait là deux équipes de 60 ouvriers chacune (tailleurs de pierre, scribes, peintres, maçons, sculpteurs, architectes, ingénieurs…), répartis en 70 maisons dans le village de Sed-Maat avec leurs familles. Le temps de travail était réparti par durée de dix jours avec un repos de trois jours, soit 168 heures de travail mensuel comme de nos jours. Pas de congés payés mais de multiples fêtes religieuses, et la possibilité de s’absenter pour raisons personnelles comme maladies, deuils ou… coups reçus par l’épouse. Le salaire se faisait en nature, orge, miches de pain, tissus, légumes, onguents, viande.

 

Mais – et ceci n’est pas vraiment nouveau sous les cieux non plus – la corruption avait peu à peu effrité le système, retardant notamment la paie des ouvriers, causant de multiples grèves. Et voilà donc qu’au seuil de l’hiver de l’année 29 de Ramsès III, les rations alimentaires cessent d’arriver, et que la faim se fait sentir à cause d’un retard de paiement du Gouverneur de l’ouest de Thèbes. Et la grogne suit rapidement.

Après avoir passé les 5 postes de bloc de la tombe en criant « Nous avons faim ! », les hommes font un sit-in derrière le temple de Menkheperre (Thoutmosis III). 18 jours de ce mois sont passés, expliquent-ils, et nous avons faim !

 

Ruines du temple de Toutmosis III

 

Et rien ne se passe. Sauf que la faim a augmenté. Ils continuent donc leur grève en expliquant qu’ils ont faim et soif. Que plus rien n’arrive, ni vêtements, ni onguents, poisson ou légumes. Que le Pharaon, leur bon seigneur, doit en être informé ainsi que le vizir pour que des provisions arrivent rapidement.

Les ouvriers alors envahissent un temple et paralysent les travaux en cours. On exige les rations que les prêtres gardaient jalousement pour eux, mais elles sont maigres elles aussi, et des promesses sont faites pour que le travail reprenne. Promesses qui ne rassurent pas les grévistes, qui décident d’envahir l’enceinte sacrée autour du temple funéraire de Ramsès II, faisant fuir toute une clique effarée devant leur outrecuidance : comptables, policiers, gardiens. Ils semblent si déterminés qu’ils se méritent ainsi une écoute plus attentive : on leur accorde, devant l’urgence de la situation, des rations pour le premier mois d’hiver, le mois qui vient de s’écouler et pour lequel ils ont travaillé… gratis.

Mais manger les rations du mois passé ne les protège pas d’avoir faim tous les jours, et prudents, voilà nos ouvriers qui insistent : ils veulent aussi celles du mois qui s’écoule. Au bout d’une nouvelle grève de trois jours, les salaires arrivent et le travail reprend, mais au bout de deux semaines à nouveau la révolte gronde face aux fonctionnaires de la métropole. Les ouvriers cette fois annoncent qu’ils ne partiront pas, que leur requête n’est pas seulement due à la faim mais qu’ils ont également des crimes importants commis dans ce lieu du Pharaon à dénoncer

Ce fut une grève à répétition, car de promesse en promesse les choses bougent un peu, mais toujours avec parcimonie. Il y eut à un moment une intervention … d’un demi sac d’orge chacun, ce qui déchaîna naturellement l’indignation. On reprenait le travail pour l’interrompre à nouveau…

Le papyrus n’explique pas comment les choses ont terminé. Mais il est clair que les ouvriers avaient leur moyen de pression, l’utilisaient, se faisaient entendre. Et que certaines femmes donnaient du bâton à leurs époux…

 

 

                                                      Suzanne DEJAER

 

 

Le papyrus de la grève, conservé au musée d'égyptologie de Turin