Chère Yamina, notre sœur dans la violence secrète, notre mère dans la peur… voici qu’on t’a retrouvée. Retrouvée, c’est beaucoup dire puisque toi, au fond, la forêt de Branches t’a enserrée dans ses bras, t’a fondu dans son sol, t’a dit de ne plus rien craindre de la vie, que tu pouvais dormir et dormir.

Chère Yamina, de sous les branches qui te dissimulaient, ce qui restait de toi a pensé à tes enfants et ta famille, à leur arrachement brutal à une maman et une proche. Tu as eu mal pour eux, que tu as tant aimés et qui allaient te chercher dans l'angoisse.

Chère et discrète Yamina, tuée par colère, par sottise, par haine de soi – car qui en arrive là doit s’aimer bien peu pour sentir que sans la peur… on le quitterait. La peur, cette chaîne aux maillons de menaces que l’on raccourcit de plus en plus, et la fureur qui aboie comme un chien petit et terrorisé, les yeux globuleux de frayeur. Pauvre Yamina, dont on a éteint la vie comme si elle était menaçante, cette vie. Oh, que peut donc faire une simple femme de si terrible qui ne trouve de parade que dans le crime ? As-tu dit « Non, je n’ai pas envie ? ». As-tu haussé les épaules, as-tu eu un regard de défi ? As-tu élevé la voix et dit « Si tu crois que j’ai peur… ? ».

Chère Yamina, au moins ceux qui te pleuraient vraiment ont un lieu à associer à toi, lieu macabre mais qui pourtant t’a abritée, t’a fait lentement disparaître, t’a dit « Tu es libre, ma fille, tu peux dormir en paix… ».

Chère Yamina, je suis soulagée que l’on t’aie retrouvée, parce que si tout le monde imaginait que non, une femme comme toi ne choisissait pas d’abandonner ses enfants… et que donc, ce monde, on t’en avait chassée… un peu de toi qui dit « j’étais là, pas loin… » est malgré tout un cadeau pour ceux qui t’aiment. Le temps pour le chagrin, l’incompréhension, les souvenirs, l’amour pour toi dont on peut se gorger.

À tous ceux qui l’ont aimée, aimez-la plus que jamais.

 

                                                                                    Suzanne DEJAER