(photo jlhuss)

Mauvaise humeur de la salamandre, nous dit Robert ? Il n’avait qu’à ne pas la toucher… On a même assuré que cette diabolique adore le feu, se rit des braises en fakir. Je sais seulement qu’elle joue la pétrifiée quand on l’évente, comptant sur notre respect humain pour reprendre son cheminement pataud d’iguane naine dans la nuit des mousses. Noé eut toutes les peines du monde à dissuader cette taciturne de sauter le bastingage et d’aller boire la tasse en une eau trop salée pour son régime.
Par son fond noir la salamandre dit : « Je suis du charbon qui danse autour des chaudrons à l’heure où s’endorment enfin les sorcières ». Par ses taches jaunes : « Je suis feu froid, chutes de feuilles d’or, copeaux de soleil dans les ténèbres. Mais jamais, jamais, humains obscurs, vous n’aurez le sésame de mon trésor, l’orient de ma lumière. »
Enfants, nous nommions salamandres les tritons -autant dire laborantines les pharmaciennes ! Fuselés comme de petits crocos, les tritons foisonnaient avec les têtards dans le trou d’eau de pluie, au dos de la grange, où notre grand-père puisait pour ses salades. Nos amphibiens entre deux arrosages passaient quelques glorieux quarts d’heure. Redoutant la rouille pour ces bêtes immergées, nous nous mettions en devoir de les faire sécher pincées par la queue au fil à linge, plus frétillantes s’il se peut que des vers coupés.
Une salamandre vivait chez nous dans la pièce du haut. Mon père la nourrissait de charme, qu’elle dévorait à petit feu, ronronnant d’aise, son or doux tremblant derrière le mica. Tout le noir de la chambre en palpitait jusqu’aux poutres et aux recoins d’armoires immenses, où deux araignées velues, plus vives que des crabes, attendaient de venir flairer nos bras d’endormis.
C’est du soufre qu’un jour d’été l’on y brûla. La vapeur délétère atteignit les guichards en leur nid, coincé tout en haut du conduit comme un caillot dans une artère ; et les insectes annelés, si terribles frelons, dit-on, que « de trois de leurs piqûres on meurt », tombaient au ventre bénin de notre salamandre en crépitant.
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Proverbe du jour : Mieux vaut un feu de frelons dans un grenier qu’un jet de boulons dans un quartier.

Arion

(photo jlhuss)