PATRIMOINE
Le Grand Voyage de Jorge Sempruñ à Auxerre
le dimanche 20 octobre 2013, 13:24 - PATRIMOINE - Lien permanent
Il y a 70 ans, il fut arrêté à Joigny, emprisonné à Auxerre en octobre 1943, torturé à l'Hôpital psychiatrique avant d'être convoyé par chemin de fer à Buchenwald. Le résistant espagnol, homme politique, écrivain, cinéaste et européen Jorge Sempruñ, demeure d'une actualité brûlante. Hommage et message d'alerte démocratique
De l'Hôpilat psychiatrique, la vue sur le plus ancien vignoble de Bourgogne au pied des monuments, le clos de la Chaînette qui produisait le vin des moines de de l'abbaye st-Germain (DR)
Dans l'ancien hôpital psychiatrique à Auxerre. Feu le docteur Pierre Scherrer, personnage emblématique dont le nom est indéfectiblement associé à l'histoire de l'Hôpital psychiatrique d'Auxerre, a écrit deux livres sur l'objet de sa passion : l'hôpital, ses malades, son équipe et le personnel qui l'aimait et le respectait. Le Dr Scherrer a préservé la salle des tortures en condamnant les portes afin que personne ne puisse modifier le plan de ce lieu d'histoire où furent martyrsés des hommes et des femmes. Pour qu'on n'oublie jamais... Le Dr Scherrer fut l'initiateur du Cine-club à Auxerre qui marchait fort dans les années 70-80. Il est par aileurs le père du couturier Jean-Louis Scherrer, décédé il y a peu (DR)
"Je fis recouvrir....pour masquer"
Le Dr Pierre Scherrer évoque précisément, page 37 de son livre "L'Hôpital Libéré Souvenirs d'un Psychiatre" , la cellule des tortures.
" La plaque de marbre qui portait cette inscription fut fixée sur la porte de la cellule où avaient été "interrogés" des résistants. La gestapo les amenait en effet de la prison, de l'autre côté de l'avenue et après ces "interrogatoires", les malheureux allaient laver les plaies de leur visage au petit lavabo qui se trouvait au bas de l'escalier venant de la galerie couverte qui longe le service des femmes. Au haut de l'escalier, les blessés allemands et leurs infirmières s'esclaffaient en voyant les "terroristes" châtiés.
"Plus tard lorsque le bâtiment fut réaménagé et destiné à être utilisé, je fis conserver cette cellule telle quelle en recouvrant porte et plaque d'une autre porte qui masquait tout.
"On n'ouvrait cette porte qu'exceptionnellement. Chaque année pour la Journée des Déportés, elle était ouverte et les survivants venaient pieusement en pélérinage devant cette cellule qui témoignait de leurs souffrances."
Recueillement au moment de dévoiler le portrait, un portrait supplémentaire, du supplicié Jorge Sempruñ, accroché à côté de la porte qui menait à la minuscule salle des tortures, une pièce intime de l'horreur et de la barbaire humaine où le maître des lieux était le Docteur Haas. Sur l'autre porte, car il y en avait deux, la plaque à la mémoire de Robert Bobin, infirmier résistant (DR)
Jorge Semprun
Né à Madrid le 10 décembre 1923
Mort à Paris le 07 juin 2011
Nationalité : Espagnol
Biographie
Jorge Semprún Maura est un écrivain, scénariste et homme politique espagnol dont l'essentiel de l'œuvre littéraire est rédigé en français.
En 1937, pendant la guerre d'Espagne, sa famille s'exile en France. A Paris, il suit sa scolarité puis étudie la philosophie à la Sorbonne.
En 1941, il adhère à l'organisation communiste de la Résistance des Francs Tireurs et Partisans puis il entre au Parti communiste espagnol.
En 1943, il est arrêté par la Gestapo et envoyé au camp de concentration de Buchenwald.
Il rentre à Paris en 1945 et sera traducteur auprès de l'Unesco.
A partir de 1953, il coordonne les activités clandestines de résistance au régime de Franco.
De 1957 à 1962, il anime le travail clandestin du parti communiste dans l'Espagne de Franco sous le pseudonyme de Frederico Sanchez.
En 1964, il est exclu du parti en raison de divergences sur la ligne du parti. Il se consacre alors à son travail d'écrivain etdescénariste.
En 1969, il reçoit le prix Fémina pour "La deuxième mort de Ramon Mercader".
De 1988 à 1991, il est Ministre de la culture du Gouvernement espagnol.
En 1994, il reçoit le Prix de la Paix des Editeurs et Libraires allemands. Le Prix Fémina Vacaresco 1994 et le Prix Littéraire des Droits de l'Homme 1995 lui ont été décernés pour L'écriture ou la vie. il a également reçu le prix de la ville de Weimar en 1995 et le prix Nonino (Italie) en 1999.
Il est élu à l'Académie Goncourt en 1996.
En 2005, il reçoit le second prix Dialogo décerné par l'Association d'amitié hispano-française. Il récompense le 'rôle politique et intellectuel' que l'écrivain a joué 'pour l'amélioration des relations' entre les deux pays.
Le Grand Voyage
Le Grand Voyage est le roman autobiographique de Jorge Semprún qui contribua à faire connaître cet auteur espagnol dans le monde entier. Semprun raconte dans ce livre le voyage de cinq jours qu'il effectua, avec 119 autres détenus entassés dans un wagon de marchandises, jusqu'au camp de concentration de Buchenwald ; il aborde au long du récit plusieurs étapes de sa vie : la guerre civile espagnole et la Résistance, mais aussi la Libération et son retour en France.
Il s'agit du premier roman dans lequel Semprun parle de son expérience à Buchenwald, il en parlera aussi dans Quel beau dimanche! et L'écriture ou la vie.
Jorge Semprun met en parallèle l'extérieur et l'intérieur du wagon.
Il oppose la beauté du paysage (la vallée de la Moselle, dans l'Est de la France) et l'intérieur du wagon.
L'hiver, à l'extérieur, est synonyme de lumière de blancheur, de pureté, de calme. Le train glisse dans un paysage à la beauté permanente.
Les déportés sont les seuls à connaître l'horreur de leur condition. A l'extérieur, rien ne réagit. C'est l'ignorance, l'indifférence. Leur souffrance est cachée.
Le réalisateur José-Luis Peñafuerte
Le cinéaste belge découvre le portrait de Jorge Semprun dans le couloir à côté de la porte ouvrant sur la salle de tortures dans l'ancien hôpital psychiatrique d'Auxerre. C'était vendredi soir. (DR)
Né à Bruxelles en 1973, de nationalité belge et espagnole, José-Luis Peñafuerte a passé son enfance à Bruxelles. En 1984, il suit ses parents exilés qui retournent en Espagne, leur terre natale. Il passera 6 ans à Gijon (Asturies) et à Cordoue (Andalousie), avant de regagner la Belgique.
Il collabore étroitement à la création du premier festival de cinéma hispanique à Bruxelles. En 1993, il entre à l'IAD (école belge de cinéma), en section réalisation cinéma et documentaire. Son mémoire de fin d’études traite de l'évolution politique et artistique de l'industrie cinématographique espagnole.
En 2001, le réalisateur présente son premier documentaire de création, Niños, qui retrace l'exil des orphelins de la guerre civile espagnole. Le film sera sélectionné dans divers festivals internationaux et diffusé par plusieurs télévisions européennes.
Son deuxième film, Aguaviva, s’intéresse à la question de l’immigration, à travers le cas d’un petit village espagnol vieillissant et déserté qui fait appel à des étrangers pour se repeupler et revivre.
En 2007, le Ministère espagnol de la Culture lui confie la captation des témoignages filmés des derniers exilés politiques espagnols vivant en Belgique.
L’année suivante, il fonde le collectif Les Sentiers de la Mémoire qui a pour but de préserver et de promouvoir la mémoire de l’exil espagnol en Belgique.
Avec Les Chemins de la Mémoire, José-Luis Peñafuerte continue à interroger le passé et le présent de l’Espagne, et à créer un pont entre ses deux cultures d'origine.
Ses projets futurs, entre la Belgique et l’Espagne, tant en documentaire qu’en fiction, s’articulent également autour de cette double identité.
Filmographie
2009 / Los Caminos de la Memoria
documentaire, long métrage cinéma et moyen métrage TV
2005 / Aguaviva, El Abrazo de la Tierra
documentaire, long métrage et moyen métrage TV
2001 / Niños
documentaire moyen métrage TV
1998 / Maestro
fiction, court métrage
1997 / Circus
fiction, court métrage
Commentaires
Merci pour ce poignant témoignage - reportage .
Ce qui doit être dit doit être dit. Le communisme, l'idéal est un bel objectif à atteindre, un idéal pour l'humanité. Las, il a été dévoyé par les hommes et les appareils. C'est la que Semprun s'est trompé comme beaucoup d'autres idéalistes.
Semprun n'en est que plus grand à mes yeux.
Cela dit, l'objet de ce documentaire remarquable n'est pas de pointer les bons et les méchants. Ce serait le déshonorer. Il est de montrer la folie des hommes, celle qui les transforme en bêtes, cette bête qui sommeille en chacun de nous tous. L'horreur c'est ça, et c'est ce que j'ai cru comprendre dans ce reportage. Si je me suis trompé qu'on me le dise. je suis prêt comme Semprun, à l'admettre.
Semprun a été résistant et déporté, cela mérite le respect. Après la guerre, il a aussi été dirigeant du PCE et soutenu les purges de son parti contre d'anciens résistants et déportés. Après avoir été stalinien à 100% - il a écrit et publié un poème édifiant à la gloire de Staline quand celui-ci est mort en 1953 - Semprun a reconnu qu'il s'était trompé. Il faut que cela soit dit.
Remercier Auxerre TV et PJG serait banal. Alors "chapeau bas" pour ce reportage, ces interviews, ces entretiens, ces témoignages, qui honorent ce site. Le ton, la teneur, l'adaptabilité du journalisme tels qu'on aimerait toujours les siroter !!!!
see you !!!
Belles images, fortes... en contraste avec la beauté du paysage auxerrois, ses monuments millénaires, ses vignes, son ciel....
Rendez à césar.... et au Dr Scherrer ce qui lui appartient. C'est lui qui a sanctuarisé ces lieux tragiques. J'espère que dorénavant, il va être fait quelque chose pour les pérenniser
Il est quand même édifiant d'observer que c'est une association française de résistants espagnols qui permet d'exhumer une page d'histoire dans l'histoire à Auxerre.
Ces français émigrés espagnols sont la fierté de notre République.
Merci messieurs, votre périple, à vous les 6 000 espagnols émigrés dans l'Yonne où beaucoup sont entrés en résitance et ont payé de leur vie le renoncement à l'assujetissement nazi, préférant leur dignité jusqu'à la mort
Très très dur... Voir ces murs qui devaient être une abomination pour ces malheureux, imaginer toutes les pensées qui leur tinrent compagnie, cet avenir qu'ils n'imaginaient plus qu'à très court terme et si atroce et douloureux qu'il leur refusait certainement toute détende de l'esprit. Quelle horreur que d'humain à humain on en arrive à ça.
Bel hommage
Oui n'oublions pas, jamais. Les horreurs, l'horreur sont à nos portes et dans le monde, hélas.
Il est bon de pouvoir mettre des images précises sur des faits que l'on a tendance à conceptualiser.
Merci Auxerretv