La diagonale Italie-France-Pays-Bas-Islande. Un peu plus bas, .. la terre à Sienne (DR)

 

Wattwiller, le centre d'art contemporain dédié à l'eau (DR)

Le centre d'art contemporain  (façades avant et arrière) de la Fondation François Schneider à Wattwiller (DR)

 

La diagonale des 4 éléments relierait quatre centres d'art contemporain en d'authentiques lieux, symboles de la terre, de l'eau, de l'air du feu.

Financés par quatre mécènes, ces centres partageraient un même objectif : découvrir chaque année, 7 nouveaux talents contemporains autour des thèmes de l'eau, de la terre, du feu et de l'air, à l'origine de toute chose.

Cette vidéo présente la première pierre de l'édifice, le Centre d'Art Contemporain créé par la Fondation François Schneider sur le thème de l'eau en Alsace, qui a ouvert ses portes le 11 septembre 2013. Au mois de mai de la même année, 7 nouveaux lauréats des "Talents contemporains" ont été choisis parmi 3 176 candidats issus de 104 pays.

La dotation annuelle de ce concours sur l'art de l'eau est de 300 000 euros.

 

 

 

Le Jovinien François Schneider, 75 ans, à Wattwiller lors de l'inauguration. La voix dans la video   (DR)

 

 



 

La vraie fausse Nécrologie

de François Schneider


A la demande de votre ami, complice et adversaire privilégié, Fabien, sur les fairways, au tarot, au backgammon et aux mots flèchés, vous serez le premier à entendre votre nécrologie avant de mourir. Ce sera donc une vraie fausse nécro.

Rassurez-vous, elle sera courte.

En raison du temps court entre l'annonce d'un décès et la date-butoir de publication de la nécrologie dans la presse (surtout s'il est nécessaire de donner des indications relatives au déroulement des obsèques), la plupart des journaux prennent la précaution de rédiger à l'avance des nécrologies pour diverses personnes célèbres encore en vie. Cette tâche est souvent dévolue à de jeunes journalistes débutants. Toutefois, quelques journaux d'importance nationale disposent dans leur rédaction d'un service spécialisé entièrement consacré à la mise au point et à la mise à jour de nécrologies. Les quotidiens locaux, presse écrite ou pure player n’ont en général pas de service spécialisé. Les nécros se font au hasard des connaissances et de la bonne volonté du journaliste ou correspondant. Je vous ai souvent dit en boutade, que vous aurez la vôtre si je vous survis ce qui est loin d’être sûr compte tenu des gênes familiaux centenaires des Schneider. Pourquoi vous aurez la vôtre ? Parce que une fois franchi le Styx, vous ne pourrez plus avoir le dernier mot.

Vous vous êtes toujours employé à ne pas laisser de traces. Même Internet et le World Wide Web qui traquent tout et à qui rien n’échappe, en sont réduits à la portion congrue en ce qui vous concerne. C’est-à-dire quasiment rien à se mettre sous la dent. Du coup, voici une responsabilité qui pèse lourd sur mes épaules.

Lançons-nous. Que dire de vous, de votre vie et de votre œuvre ? Y a-t-il du sens ? Y a-t-il assez d’histoires dont on puisse en tirer un film ? Rares sont ceux qui savent que vous en avez produit quatre dont le « Diable au corps » .

 

L'immobilité

Je ne vous infligerai pas, ni à vous ni à vous toutes et tous amis,  la  courte biographie qui accompagne toute nécro non plus que la succincte parentèle du défunt du jour. Vous savez d’ailleurs tout et mieux que nous tous.

Vous ête né à Joigny mais vous auriez pu voir le jour à Cernay en Alsace, souche familiale, voire en Allemagne ou en Afrique où de casernement militaire en casernement, vous fûtes initié à la vie par une mère Jovinienne et un père militaire de carrière.

La ville qui fut la plus à droite dans l’Yonne a donné naissance à un futur jeune homme d’extrême gauche. Trois événements ont considérablement influé sur votre formation. Une maladie osseuse à la jambe qui vous cloua sur un lit pendant une année en pleine adolescence, où vous avez eu le temps de lire et de réfléchir. Cette immobilité de façade, fut votre Université, votre classe préparatoire. Ensuite, les affres de la colonisation dont vous vous êtes affranchi, où vous avez transgressé et coupé le cordon qui vous lie à votre famille (même si couper le cordon est un simulacre). L’essentiel est que vous pensiez par vous-même, développiez vos opinions et assumiez votre indépendance vous retrouvant sans ressources sinon un baluchon et un billet de train pour Paris. Vous vous voyiez en SDF ou chercheur que vous devintes chez Louis Leprince Ringuet sur des travaux de la chambre à bulles BP2 apport de la France au CERN (centre européen de recherche nucléaire) enregistreur de trajectoires de particules par ionisation.

Auparavant, une fois remis sur pied, vous avez plongé dans l’Yonne à la baignade pour séduire une jeune Parisienne brune en villégiature. La seule fois de votre vie peut-être, où vous fîtes le beau au sens où on l’entend généralement. Émergeant des flots tel Poseidon face à Clotilde. Sans qu’elle le sache, le grand jeune homme timide avait pris le cœur de la belle princesse.

Au terme de ces épreuves, pouvaient commencer votre voyage, vos voyages.

Dès lors, votre vie s’est inscrite dans le marbre carré du quaternaire qui représente le concret, la réalité la matérialité, symbolisée par l’eau, la terre, l’air et le feu.

L’air : avec votre agence de publicité où vous avez vendu du vent, le meilleur moyen, jusqu’à l’administration de la preuve du contraire,  de favoriser la distribution des marchandises.

L’air encore avec une passion pour les voitures de sport et les avions mais une passion raisonnée et toujours par nécessité. Une rumeur persistante laisse entendre que vous revendiez toujours plus cher après usage et collection.

L’air enfin avec les Auditoriums de Joinville, concentration d’ondes dans des caissons étanches permettant la meilleure qualité acoustique pour la post production des films de long métrage : de Jean-Jacques Annaud à Steven Spielberg, tous les grands réalisateurs du monde ont travaillé à Joinville. Que de chef-d'oeuvres ont été enregistrés, bruités et mixés aux auditoriums de Joinville !

Le feu : A 30 ans, vous avez fait fortune en revendant aux Américains d'Interpublic votre agence de publicité et ses filiales. Mais l’imprévu, le cancer d’un ami, vous ont conduit à reprendre du service convoqué au nom de l'amitié. Pour sauver l’entreprise en difficulté. Vous en créâtes d’autres pour remplir la mission. Hélita et sa fabrique de paratonnerres venaient de prendre un nouvel envol. Alors là, vous avez fait fort. En développant une activité à l’efficacité de laquelle vous ne croyiez pas vraiment. Les paratonnerres protègent-ils vraiment de la foudre sachant que la foudre cherche toujours le chemin le plus rapide et le plus direct pour frayer son chemin?

Le feu ? Les feux de la passion avec Clo ont produit deux fruits nobles, une fille et un garçon préfigurant une vie marquée sous le sceau du quaternaire. Clo, Fran, Aurélia et JO ça fait quatre. Et 4 petits enfants. Carrés de cœur.

La terre. Dans les entrailles caverneuses de la rue Basse-Pêcherie à Joigny, l’ouverture de l’Irish Club, bar dancing où l’on vint rapidement des départements voisins, à la fin des années 60 et au début des années 70. Parfois, vous fûtes obligés de jouer les videurs. Rarement car ce club se voulait select. Il fallait montrer patte blanche à l’entrée.

La terre ? Le marquage des bêtes avec l’acquisition de la société Chevillot, de l'installation de son usine à Albi avant l’OPA (offre publique d'achat) de folie sur le numéro 1 mondial Néo-Zélandais, Allflex, en terre néo-zélandaise au nez et la la barbe des autochtones, qui vous aurait rapporté le double si vous aviez pu anticiper la crise de la vache folle. Deux oreilles au lieu d’une.

La terre encore avec la Société des Domaines. Après vos activités industrielles, vous vous êtes reconverti dans l’agriculture, ce qui est beaucoup plus difficile. Les confitures de nos grands-mères dont les fruits étaient cultivés et transformés au Roncemay à Chassy dans l'Yonne, les oliviers et le Chianti classico de la Novella en Toscane en Italie, ou encore les abricots du domaine du sud, vous ont fait suer sang et eau et bien failli vous épuiser. Même le grand chef Marc Meneau ne réussit pas à faire monter la mayonnaise.

L’eau. C’est bien dans l’eau à la baignade de Joigny que vous fîtes la rencontre fatidique. C’est aussi l’eau qui vous inspira pour développer une usine d’équipement en vérins et en vannes électro-magnétiques installés sur les sous-marins nucléaires français.

L’eau ? Vous voilà plaisancier l’été en bordure de l’Océan breton où sans jamais vous lasser, vous remontez l’Odet ou foncez vers les Glénan, en fendant les flots avec vos 500 chevaux, tel Ben Hur sur son char ou, en mode doux désormais, sur ce voilier qui vous permet de mettre les voiles.

L’eau ? Vous  refusez obstinément tout parapluie, et vêtement de pluie, préférant la saucée quitte à être trempé jusqu’aux os : ça sèche est votre credo. Tout est dans la tête. L’eau  enfin ? Une annonce de mise en vente du parc des anciennes sources de Wattwiller en Alsace, le pays de votre grand-père, et vous voilà à construire une usine d’eau minérale, … « pure, naturelle, sans nitrates… ». Vous revendrez aux Belges de Spa Monopole le liquide transformé en or.

 

La tête dans les étoiles

Ce retour aux sources, aux origines inconnues que l’on n’a de cesse de vouloir découvrir ou redécouvrir, boucle la boucle de votre vie quaternaire et va lui donner du  sens. Il y a le feu, l’eau, la terre et l’air, mais lorsqu’on lève la tête il y a la voûte céleste, les étoiles avec, au firmament, l’étoile polaire celle qui permet de tracer l’axis mundi. Celle que vous suiviez seul, sur les chemins de randonnée l’été, dans le sud de la France et en Corse pendant que Clotilde se métamorphosait en basque fille chérie de son papa. A y regarder de près, vous avez toujours eu la tête dans les étoiles. Les ténèbres vous inspireraient-ils ... ?

C’est à Cernay, Wattwiller, au Hirtzenstein, en Alsace, que vous avez décidé de créer la Fondation reconnue d'utilité publique qui porte votre nom, ainsi que le Centre d’art contemporain. C’est votre ultime signature celle qui assure la mise en cohérence avec vos convictions intimes. Les compagnons du Tour de France appellent ça le "chef d’œuvre".

Vous êtes darwiniste sur la théorie de l’évolution. Darwin était, il est utile de le rappeler, un théologien. Sa théorie sur l’évolution du monde et des espèces n’en a que plus de valeur face aux créationnistes (ceux qui croient à un coup de baguette magique créatrice émanant d’une puissance supérieure). Que dit en substance Darwin ? Que les splendeurs du monde s’expriment au travers d’infinies variétés et diversités de formes qui se créent sans cesse issues du hasard et de la nécessité. On peut en déduire qu’il n’y aurait pas forcément d’origine non plus que de fin. Comment d’ailleurs un esprit fini pourrait-il concevoir l’infini ?

À en croire cette théorie, on comprend que la tartine beurrée ne tombe donc pas du même côté pour tout le monde. Aussi, depuis le début des années 1990, vous financez, en complément, des bourses d’études supérieures à des lycéens de l’Yonne et d’Alsace sans ressources qui sans cela, ne pourraient poursuivre leur ambition et leur rêve.

 

Sisyphe

La Fondation François Schneider qui tire ses ressources de loyers de ses biens immobiliers et de ses placements financiers d’une vie de travail sous le signe du quaternaire, pérennise ces bourses délivrées à un nombre accru d’étudiants. De nouvelles bourses sont délivrées à des artistes artisans contemporains qui tentent de donner une issue dans l’art à ce qui nous oppresse dans la vie en interprétant le monde contemporain celui dans lequel nous vivons. Des artistes qui vivent souvent dans la misère. François, je crois avoir compris que vous êtes de ceux qui pensent qu’il est impossible de soumettre la vie à la minutie implacable de la raison. Et que la lutte, l’effort et ce qu’une vanité verbale appelle choisir, font partie de la fatalité. De le savoir ne change rien à la vie, ni à la lutte, ni à l’effort, ni aux perplexités du choix.

Ainsi avez-vous décidé de projeter votre petite pierre dans les méandres mystérieux du hasard et de la nécessité en gestation permanente. Un retour aux sources chez vos aïeux, plus essentiellement aux origines, près de cette faille vosgienne où il vous reste à inventer l’eau chaude, naturelle, celle qui jaillit en continu des entrailles de la terre, entreprise où vous êtes objectivement mis en échec, pour l’instant. Mais on connaît votre penchant et votre affection pour Sisyphe et ses travaux.

En attendant, puisse, François, cette lampe à huile  offerte par vos amis pour votre anniversaire (François, Fabien, Jean-Claude, Alain, Jean-Marc ...) contribuer au travers de l’amitié, à éclairer votre lanterne et puissiez-vous, continuer à nous éclairer.

C’est le vœu que nous formons : vous apercevoir longtemps encore cheminer, forme jaune et vague sur les chemins de traverse, les montées et les descentes vers Ronceveau. Une invitation réitérée à revisiter notre enfance, mais aussi les vérités simples de la vie.



Pierre-Jules GAYE

 

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Cette nécro ante mortem est la première chronique d'une série à venir : Jean-Marc Brocard, Jean-Claude Hamel, Guy Roux, Daniel Durand, Guy Férez, Alain Cattagni, Jean-Pierre Soisson, Fabien Belamich, Joël Laporte, Pierre Mouton, Patrick Tuphé, Pascal Pic, Michel Barda, Louis Clément... et d'autres