Le philosophe historien spécialiste du fait religieux dont l'histoire l'a conduit au Désenchantement du Monde (1985), était, samedi soir, l'invité des Ateliers d'Auxerre dans l'amphithéâtre du "89", autour de Guillaume Larrivé le député, André Villiers président du conseil départemental de l'Yonne et Céline Bähr organisatrice de cet énévement.

À noter que Jean-Pierre Soisson avait pris place au premier rang.

Marcel Gauchet, tout en distance critique, a décliné de manière modérée, le malheur français, son dernier livre, autour de la mondialisation marché de dupes, l'Europe à 28 qui a dilué et piègé et la démission des élites.

Le retour des États-nations qui coopéreraient à nouveau et la paix en Europe dans la mesure où la guerre est impensable aujourd'hui, constituent des perspectives d'espérance.

Mais comment et pourquoi choisir le mot "malheur" pour désigner le phénomène à analyser ? Marcel Gauchet définit ce "malheur" comme un pessimisme collectif qui caractériserait le peuple français, de tout temps, et qui n'est pas contradictoire avec le fait que les Français sont heureux sur le plan individuel, même avec peu.

En fait, l'historien philosophe et inversement, livre une grille de lecture structurée et développée pour pouvoir appréhender cette France millénaire perdue sur le bâteau ivre de l'Europe en souffrance.
Comment penser, et comment penser le monde aujourd'hui ?

L'historien des idées n'a pas recours à des références qui figureraient l'âme française - encore qu'il faudrait expliquer ce qu'est une âme - mais il parle d'un modèle français, du modèle français. Ce système universel, notre patrimoine le plus précieux, s'est constitué à partir du XVIIe siècle, le Grand Siècle de Louis XIV, il a été amendé par les Lumières et la Révolution française, affermi par Napoléon puis de Gaulle : il s'est appuyé sur un État-nation fort ; un système de valeurs universelles ; un appétit de politique ; une langue et un goût de la culture qui faisaient son rayonnement.

À l'heure du marché planétaire, ces valeurs sont mises à mal. Elles sont tout sauf surannées, estime néanmoins Gauchet.

 

L'Europe sociale une chimère


Il déplore les dégâts de l'entreprise néo-libérale venue du monde anglo-saxon, massivement adoptée sous François Mitterrand élu en mai 1981 un an après Ronald Reagan aux États-Unis cow-boy de série B chantre du libéralisme et deux ans après Margaret Tatcher la dame de fer en Angleterre. Mitterrand rapidement, voyant que la France ne pouvait faire évoluer le socialisme dans un seul pays, l'hexagone, transféra cet esprit de conquête sur l'Europe, au travers notamment de cette Europe sociale tant désirée, une chimère jusqu'ici.

Le drame de François Hollande, fin politicien mais mauvais gouvernant, est d'avoir perdu sa majorité moins de quatre mois après son élection en prenant le contrepied de son programme et d'avoir mis ses pas dans les pas de son mentor socialiste et européen sans modifier le cours de l'histoire et de l'Histoire.

Marcel Gauchet répondant à une question, considère l'immigration comme un élément accessoire et mineur en regard des vraies causes du malheur français. Il estime par ailleurs en réponse à André Villiers, que François Fillon n'a pas suffisamment clarifié sa démarche. Le retour aux valeurs de la nation et aux clochers, servie par son programme libéral dur, serait-il vraiment l'instrument du redressement de la France ?

Mutadis mutandis, Marcel Gaucher est convaincu que le vote FN n'est pas un vote d'adhésion mais un vote de dépit de révolte, qui exprime le fossé qui existe entre les élites démissionnaires qui ont tourné le dos à la politique et au symbolisme, et le peuple de France.  Ce vote « n’est en réalité que le révélateur des demandes que les forces politiques classiques sont incapables de satisfaire. »

C'est pourquoi le retour des États-nations et de nouvelles coopérations peuvent réengrosser l'idée européenne et maintenir sa plus grande conquête, la paix. Pour beaucoup en effet, la nation est synonyme de guerre en Europe. C'est pourquoi non la nation, mais l'État-nation est le creuset de défense de nos libertés.

Aux yeux de Gauchet, ce possible réinvestissement de l'État-nation est non seulement susceptible de vider en partie le parti FN de sa substance mais aussi d'éviter l'autre voie, celle de l'éclatement de l'Europe qui se refermerait sur elle-même, ses nations et ses monnaies diverses et variées avec retour aux réajustements monétaires par les dévaluations provisoires.

 

P-J. G.


 

Petit portrait de Marcel Gauchet

 

« Un vieux portrait dans Libé disait de vous « bon gars sympa, au rire facile et à l'allure de paysan normand », Libération avait raison.

Vous êtes une espèce rare : un homme libre aux antipodes de tout esprit de chapelle, un homme engagé pour la chose intellectuelle. Capable d’accepter une invitation d’un think-tank de droite comme du parti communiste. Vous êtes un modéré« La modération n’est pas la mollesse. Elle demande beaucoup de fermeté et un grand effort sur soi-même. La facilité, c’est la radicalité. »

Vous êtes un humaniste qui fait fructifier ensemble histoire et philosophie. Vous partagez votre existence entre la direction du revue Le débat chez Gallimard et un goût inépuisable pour la lecture.

Dans comprendre le malheur français, vous êtes un contemporain au sens où vous adhérez à votre propre temps, tout en prenant vos distances. Vous êtes un contemporain au sens, où comme le disait le philosophe italien Agamben, vous ne vous laissez pas aveugler par les lumières du siècle et vous parvenez à saisir en elles leur part de l’ombre e leur sombre intimité.

Comprendre le malheur Français est une réflexion sur le découragement collectif. Vous cherchez à comprendre les raisons profondes de ce sentiment pessimiste. Si nous ne devions retenir que deux raisons, ce serait rêve européen démenti et mondialisation dont on a du mal à tirer partie. Un constat sombre certes, mais aussi un espoir : celui de relever le défi des temps, tout en l’inscrivant dans la continuité de notre belle histoire de France. »

Céline BÄHR

 

André Villiers a posé deux questions dessinées par l'actualité politique : l'option Fillon peut-elle prendre et le FN peut-il accéder au pouvoir ?

 

Pour Jean-Pierre Soisson, ce sont les prochaines législatives qui sont fondamentales et non la présidentielle vue sous l'angle du compromis nécessaire entre un pouvoir présidentiel qui n'est plus aussi fort qu'inscrit au départ dans la constitution de la Vème république, et le parlement (DR)

 

 

Parfois les commentaires ne contenaient pas de questions explicitement formulées

 

Une question sur le financement des partis et autres exactions des politiques a été écartée par le conférencier quant aux causes du rejet des politiques par le peuple : ces causes sont plus profondes

 

Dépersonnalisation accélérée de notre pays provoquée par la globalisation, voilà le fond

 

Une question sur la prédominance de l'occident qui détient 95% des brevets dans le monde peut-elle constituer une source d'espoir ?

 

Autre question sur la France et son administration qui constitue un modèle dans le monde et notamment en Afrique. Réponse nuancée qui met en valeur l'adminstration française c'est-à-dire l'organisation de l'État et la qualité des fonctionnaires

 

 

Céline Bähr originaire de Champs-sur-Yonne, diplômée de Sciences-Po Paris, étudiante à l'ESCP Europe (école supérieure de commerce de Paris), organisatrice de cet événement dans le cadre des Ateliers d'Auxerre, a présenté le conférencier avec talent

 

Questions et réponses perinentes, le conférencier approuve

 

Marcel Gaucher a offert une grille de lecture et de compréhension pour appréhender et pouvoir mieux penser  notre monde en marche ... Comment penser et comment penser le monde aujourd'hui : that is the question