SOCIETE
Traumatisme et deuil au centre d'hébergement pour migrants à Auxerre après le crime
le samedi 24 novembre 2018, 09:15 - SOCIETE - Lien permanent
La communauté composée de migrants d'origines très diverses, est profondément choquée, après le meurtre d'un des leurs, lundi soir. L'association des Afghans de France dépose une plainte contre Coallia l'organisme gestionnaire et la police pour délit de non assistance à personne en danger, ce qui déclenche une nouvelle enquête. Quatre pensionnaires Afghans ont été convoqués, vendredi après-midi, au commissariat pour être entendus dans le cadre de l'enquête judiciaire. Le meurtrier est écroué
Un homme de 25 ans, Afghan demandeur d'asile est décédé des suites de ses blessures, après avoir été frappé à l'arme blanche, lundi 19 novembre, vers 21h30, à Auxerre. Un suspect Nigérian, âgé de 19 ans, a été interpellé et placé en garde à vue puis incarcéré. Les deux hommes, respectivement résidaient au foyer Coallia.
Le bâtiment de Coalia, un centre d'hébergement des migrants rue Mermoz à Auxerre où s'est déroulé le drame, au premier étage à droite (DR)
Quatre migrants afghans ont été convoqués par la police à Auxerre, vendredi après-midi, dans le cadre de l'enquête judiciaire du meurtre d'un afghan, lundi 19 novembre 2018 dans le centre d'hébergement Coalia rue Mermoz.
D'autres pensionnaires se sont rassemblés et rendus au commissariat avec l'intention de déposer plainte pour non assistance de personne en danger.
Certains autres ont choisi de rester sur place. Ils nous ont expliqué ce qui s'était passé et ce qu'ils dénoncent.
L'association des Afghans de France a déposé plainte contre Coalia et la police qui selon elle n'aurait pas fait ce qu'il fallait quand il le fallait. La communauté est choquée, traumatisée par ce drame qui s'est déroulé sous leurs yeux.
Mathilde Iturralde, membre du collectif de soutien aux migrants, qui dispense des cours de Français rive droite et rend souvent visite aux pensionnaires de Coalia avec d'autres membres par hunamité et pour les aider à rédiger leurs papiers, répond à nos questions.
Mathilde Iturralde est éponienne, membre du collectif de soutien aux migrants dans l'Yonne. Cette ancienne professeure des écoles, oeuvre de longue date de différentes manières (DR)
Une communauté meurtrie avec un sentiment d'injustice
Certains ont voulu parler, rassemblés, vendredi après-midi, dans la cour devant le Coallia; centre d'hébergement social d'Auxerre rue Mermoz, la Résidence Jean-Mermoz.
Pendant que beaucoup d'autres se sont rendus au commissariat.
Ces témoignages, sensibles, précis, humbles, se recoupent, tous, sans exception.
Que disent-ils en substance ?
- Le jeune Nigérian de 19 ans arrivé voilà deux mois posait problème par son comportement agressif révélant des troubles psychologiques. Il s'en prenait aux pensionnaires, les menaçant, dont un de mort, et les agressant verbalement. Ces faits ont été rapportés à plusieurs reprises au service social de Coallia. Sans résultat.
- Lundi après-midi 19 novembre, le jeune Nigérian a blessé à l'arme blanche deux pensionnaires dont l'un a du être soigné à l'hôpital. La police a été alertée aussitôt qui est intervenue sur place dans l'immeuble. Le jeune Nigérian n'a ni été emmené ni isolé dans le bâtiment composé de petites chambres d'hébergement comprenant quatre lits (deux lits superposés) par chambre, une cuisine pour 16 pensionnaires, deux douches et un wc, souvent en panne.
- Plus tard dans la soirée, aux alentours de 21h30, une bagarre a éclaté et le drame s'est produit devant des témoins. Le jeune Nigérian a poignardé un Afghan venu lui parler. La scène mortelle s'est produite au premier étage à l'entrée au sommet des escaliers. Après avoir débuté dans une chambre.
- L'Afghan âgé de 25 ans, père de famille de trois enfants demeurés en Afghanistan, de retour du travail, était allé voir le Nigérian, après les blessures de l'après-midi reçues par deux de ses compatriotes. La discussion a mal tourné et une bagarre a éclaté jusqu'à ce que le Nigérian sorte un couteau de cuisine et frappe son vis-à-vis.
- La victime a été transportée à l'extérieur du bâtiment devant l'entrée. Elle gisait sur le sol sans couverture et est restée là, inexplicablement, sans soins, jusqu'à l'arrivée d'une ambulance quarante minutes plus tard. La police aussitôt prévenue d'un meurtre était sur place et a réussi rapidement à arrêter le jeune Nigérian qui s'était enfui pour se réfugier derrière le bâtiment.
- Certains pensionnaires n'imaginaient pas la gravité de la situation de la victime car le sang ne coulait pas et personne ne s'occupait de lui, gisant au sol. Et aucune information n'a été donnée par le service social jusqu'au lendemain matin à 11 heures. La seule consigne donnée fut "cool ce soir".
- La réunion de fin de matinée du lendemain, mardi, constitua un choc. L'annonce du décès de Hejran Lalbaz a traumatisé les membres de la communauté. La victime avait fui les talibans et l'État islamique. Il avait obtenu il n'y a pas longtemps ses papiers et trouvé un emploi, voilà peu. Il était apprécié et estimé.
- Depuis, les pensionnaires affirment ne pas avoir reçu d'informations. C'est le black out. Certains ont appris que le jeune Nigérian avait été incarcéré (Ndlr : il a été mis en examen pour homicide volontaire et violences aggravées par un juge d'instruction d'Auxerre, et placé sous mandat de dépôt).
- Un pensionnaire migrant pointe les conditions de vie. Ils se marchent sur les pieds compte tenu de la concentration d'humains sur de petits espaces sans salle commune sinon une petite cuisine. La diversité des cultures, les barrières des langues, la longue attente... - un Soudanais est resté trois ans dans la Résidence Mermoz avant d'être expulsé de France -, la promiscuité, ne favorisent pas le vivre en commun. Sans travail en attendant les papiers qui passent par des déplacements à Paris ou Dijon à l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) pour interviews et paperasse administrative, ils sont désoeuvrés et ont du mal à vivre avec une allocation de 6 euros par jour.
- À quoi sert une service social si ce n'est pas pour s'occuper de l'humain et prendre soin des gens ? Pourquoi la victime est-elle restée allongée sur le sol devant l'entrée du bâtiment sans que personne ne s'en occupe jusqu'à l'arrivée d'une ambulance longtemps plus tard ...? Peut-être aurait-elle pu être sauvée ... ( la victime est décédée vers 3 heures du matin, mardi à l'hôpital d'Auxerre).
- La communauté Afghane souhaite rapatrier la dépouille. Il leur a été dit que cela n'était pas possible compte tenu de lenqûête judiciaire en cours.
Au-delà de ces témoignages, on n'ose imaginer que c'est la manque de respect de la vie de ces hommes et femmes qui apparaît.
Recueilli par Pierre-Jules GAYE
Une chambre du centre d'hébergement Coalia rue Mermoz à Auxerre. 4 migrants par chambre et une cuisine pour 16 migrants. Pas de salle à manger ni de salle commune (DR)
Commentaires
Quel drame horrible pour ce jeune Afghan père de 3 enfants. Il faut que tout le monde se pose les bonnes questions à savoir s'il est normal d'être hébergé dans ces conditions de promiscuité étouffante, alors que ces logements à 4 occupants sont destinés à être des accueils provisoires, de courte durée.
Pourquoi ne pas occuper ces gens durant la journée, sachant que beaucoup d'entre-eux sont éduqués (qui ne parlent peut-être pas le français mais l'anglais pour la plupart, et de manière tout à fait correcte).
Pourquoi ne pas leur donner un petit travail à faire afin qu'ils se sentent utiles, qu'ils s'occupent, s'intègrent petit à petit à notre mode de vie, à notre société. Ils seraient tellement contents de nous montrer leur reconnaissance de les accueillir.
Fuir son pays d'origine pour échapper à la mort est déjà un tel sacrifice, ne pouvons-nous, que ce soit dans l'Yonne, à Auxerre ou ailleurs, ne pouvons-nous pas faire mieux que ça?
Toute cette paperasserie administrative sans fin ne pourrait-elle être pas raccourcie afin de donner à ces personnes une vraie chance de vie dans notre pays?
Je suis consterné et j'éprouve un sentiment d'abjection.
Ce décès est grave, et les conditions dans lesquelles il s'est produit encore bien davantage. Prenons les bonnes décisions afin que cela ne se reproduise plus!
Que d'aspects dont il faudrait prendre soin. Ici on a un type qui est instable psychologiquement, agressif, et, littéralement : on n'y fait rien. On fait comme si le problème et le danger n'existaient pas.
On a un blessé grave qui, si les informations sont correctes, reste sans soins ni attention sur le sol jusqu'à ce qu'il soit assez mal pour en mourir sous peu.
On ne les occupe pas. Or nous savons tous par exemple combien il est difficile de se remettre au travail après les vacances, après une période de chômage ou de maladie. Que feront-ils si on finit par pouvoir les employer, eux à qui on aura si bien appris à "tuer le temps". Et ici, on ne réfléchit pas à comment les occuper, leur faire éventuellement gagner un peu d'argent.
L'apprentissage du français, comme justement soulevé ici, certains ne voient pas l'intérêt de l'effort alors qu'ils ne savent pas si ça leur servira jamais. N'oublions pas que de sont des existence en attente, à l'arrêt. Et puis, quand on n'a pas été à l'école, comment comprendre la grammaire, le sens de l'emplacement de mots, leur prononciation qui varie suivant le sens etc... L'effort est bon de la part des enseignants, mais c'est une tâche bien lourde et ingrate...
Pourquoi l'association n'a-t-elle rien fait, tout comme la police, après l'agression de lundi? Je doute fort que si moi je blessais quelqu'un au couteau dans une altercation on ne ferait rien.
C'est lamentable et criminel, et le règne du "c'est pas notre faute"... encore une fois!