Elise Autissier s'était construite l'image d'une femme intraitable avec laquelle il était nécessaire de composer si l'on désirait obtenir des détails ou des documents sur l'auteur du « Rosaire des joies », mais était-elle, à l'image de l'hydre de Lerne, prête à changer en pierre, quiconque l'ayant indisposée ? Non. Elle était la gardienne du temple, c'est tout, et elle a toujours su et prévenir les moindres désirs de son amie- c'est le terme qu'elle employait le plus volontiers, celui de secrétaire de lui convenant absolument pas- et l'aider dans la vie quotidienne, l'écrivain ayant été handicapée  dans les années 60 par un glaucome l'empêchant de se mouvoir sans son aide. Elle devait donc ainsi s'occuper de sa correspondance, mais aussi chasser les inopportuns. Et voilà pourquoi elle avait la réputation, justifiée en partie seulement, d'avoir en quelque sorte kidnappé Marie Noël.
 

Personnellement, je n'ai vraiment eu affaire à cette femme que deux fois. Lorsque je suis allé la voir dans la vaste et lourde maison de la rue Milliaux, aujourd'hui rue Marie-Noël, pour lui emprunter le livre que Raymond Escholier, avait consacré au poéte, » La neige qui brûle » (éditions Arthème Fayard) dont- j'avais besoin pour écrire moi-même « Marie d' Auxerre ». Raymond Escholier l'avait approchée à de nombreuses reprises, lui rendant visite et l'accueillant à Paris où il veillait sur le musée Victor-Hugo et il s'était attaché à elle.
Biographe de Hugo naturellement, mais aussi de Gros, Delacroix et Matisse,il assurait la critique littéraire du «  Petit Journal », mais n'avait pas reçu le service de presse du recueil «  Les chansons et les heures ». Il ne découvrira l'ouvrage que onze ans après sa parution mais dès la lecture qu'il en fit, il n'eut qu'un désir: faire la connaissance de l' Auxerroise dont il affirma qu_'il ne pensait pas qu'il existât « en  notre heure de sécheresse un livre plus émouvant, plus attachant, plus accessible à tous ceux et à toutes que ce recueil de chansons placées sous le vocable de deux noms bien modestes, mais qui ont toujours touché les coeurs: Marie Noël ». Pour m'attaquer à ce que j'osais pas vraiment qualifier de biographie, mais plutôt d'essai, j'avais réellement besoin de                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           l'ouvrage d' Escholier qui était devenu introuvable en librairie. Je me suis donc décidé à aller en emprunter un auprès d' Elise Autissier dont je dirai tout de suite qu'elle manifesta une certaine méfiance. Je ne l'avais jamais vue autrement que sur une photographie prise dans le centre du chef-lieu de l' Yonne, rue du Temple très précisément,par un camarade de la rédaction de « L'Yonne Républicaine », Jacques Delindry. C'était une forte femme dont le physique contrastait étrangement avec la silhouette étriquée de Marie Noël . Et elle ne cherchait pas à se rendre aimable. Je lui expliquai que je désirais écrire sur le poète et qu'il était indispensable que auparavant j'explore le bouquin d'Escholier. Elle eut l'air de trouver ma démarche bizarre, mais alla à l'intérieur du logis et en revint avec « La neige qui brûle » (Elle m'avait reçu dans le jardin  fleuri de roses, les fleurs préférées de son amie).
 

Le feu sacré, le don merveilleux

Puis elle m'expliqua qu'elle ne me connaissait pas et qu'en conséquence je devais lui laisser un chèque correspondant au prix du livre: elle me le rendrait quand elle le récupérerait. Nous devions convenir d'un délai: dix jours, pas un de plus. Voilà qui était amplement suffisant, mais le quatrième jour, elle téléphona à mon domicile pour savoir qua    nd je le lui restituerais. Bien sûr, je lui rappelai qu'elle m'avait accordé plus d'une semaine et que je n'avais pas fini d'accumuler les notes. Cela eut l'air de la rassurer un peu.
C'est qu'elle n'avait que cet exemplaire que,apparemment, personne jusqu'alors, n'avait feuilleté puisque de nombreuses pages n'avaient pas été coupées. Il était pourtant dédicacé à l'inspecteur d'académie de l'Yonne de l'époque. Pas curieux, le bonhomme et pourtant il aurait été ému comme moi par le récit de la rencontre avec « la petite muse d'Auxerre ». Le talent de celle-ci l' a frappé comme il a frappé Robert Kemp, lequel a apprécié des vers où on ne distingue « aucun effort » et Lucien Descaves, qui s'est montré particulièrement enthousiaste. Comment ne pas le citer?  « Marie Noël, comme Marceline (lisez Desbordes-Valmore), a ardemment le feu sacré, le don merveilleux. Est—ce parce que ses vers sont d'inspiration chrétienne qu'il faut les aimer moins ou les aimer davantage ? ». La différence entre ces laudateurs et Escholier, c'est que lui, il veut savoir qui se cache derrière le poète et il lui propose de lui rendre visite à Auxerre. Il veut surtout connaître la nature de la blessure dont Marie Noël ne parvient pas à se remettre. On est en avril 1922. Le critique, qui était mobilisé, est alors le secrétaire d'Aristide Briand, le futur Prix Nobel de la paix.

Il racontera dans son livre qu'ils eurent également peur l'un de  l'autre. Il a pris pour gagner la demeure des Rouget « une vraie rue de province, étroite,résignée,rechignée,scabreuse ». Il est d'entrée séduit par « les propos érudits et savoureux » de Louis Rouget comme par « l'aménité joyeuse de la maman, une ménagère de Chardin, toute rose, toute blanche, qui n'était que fossettes et sourires » . Voilà « bien des raisons de s'encagnarder  eu creux d'un fauteuil ».
« Oui, mais la muse »...; poursuit-il. «  La fille farouche » le surprend agréablement. C'est qu'elle n' a rien de « ces bas-bleus qui rendent intolérable l'atmosphère de la capitale ».Louis Rouget le conduit jusqu'à la cathédrale où il a tout loisir d'admirer les statues et les vitraux, puis Marie l'emmène dans sa chambre où elle a l'habitude de jouer Mozart ou Schumann au piano. Après lui avoir conseille quelques corrections typographiques, Escholier regagne Paris. Ils ont convenu de se revoir dans la capitale deux mois plus tard. Cette   amitié naissante est un événement heureux dans l' existence de Marie, mais elle n'aura pas permis pour autant à Escholier une approche totale du poète qui écrira: « Connais-moi! Connais-moi! Ce que j'ai dit, le suis-je? Ce que j'ai dix est faux- Et pourtant c'était vrai! L'air que j'ai dans la coeur est-il triste ou bien gai?  Connais-moi si tu peux. Le pourras-tu ? Le puis-je ?
 

Pour en revenir à Elise Autissier, la seule personne à finalement avoir partagé ses tourments et ses interrogations des dernières années, aurait pu en appendre beaucoup sur elle, mais celle qui joua sa dame de compagnie, devait me préciser qu'elle n'avait  jamais eu une quelconque intention de témoigner sur elle à la faveur d'un livre, ce dont, sur le coup j'ai fortement douté comme je voudrais être certain qu'elle n'a pas conservé des textes de sa compagne.
Elle n 'a fait qu'une exception en faveur des éditions Zodiaque pour «  Auxerre et Marie Noël » en 1992.Elle évoque sa fin. Le médecin lui posait des questions que EliseAutissier jugeait pour sa part « indiscrètes », mais elle détournait habilement la conversation en répondant par des plaisanteries ou en engageant celle-ci sur la littérature.
Elle est morte le visage serein, précise Elise Autissier qui ajoute que lorsqu'elle sentit qu'elle arrivait au bout du voyage, elle répondit à toutes les prières, mais ne réussit pas  avaler l'hostie présentée par le prêtre. Le mois précédent, indiquait encore Elise Autissier, elle s'était assises dans son fauteuil pour écrire sur ses genoux. C'est qu'elle n'y voyait presque plus. A l'arrivée de l'Avent, elle établira elle-même ses listes d'étrenne, dictera quelques cartes et préparera une dernière lettre pour Escholier. Il semble que Elise Autissier aurait pu s'exprimer plus longuement, mais qu'elle a été retenue par une pudeur qu'avec le recul on comprend parfaitement.
Lorsque je me rendis de nouveau rue Marie Noël avec l'ouvrage d'Escholier, elle le posa simplement sur une table de jardin sans l'avoir ouvert afin de juger de son état. Je la remerciai, mais elle ne me demanda pas si elle pouvait obtenir une épreuve de « Marie d' Auxerre » avant parution.
Avant qu'il débarque chez les libraires, Gérard Gauthier lui en fit envoyer un exemplaire rue Marie-Noël, mais elle ne le remercia jamais. Elle était ainsi, Elise Autissier.
                                                                                          

Jean-Claude Charlet

MARIE D'AUXERRE  
 

de Jean-Claude Charlet

Marie Noël, née Marie Rouget, considérée comme le plus grand poète catholique de son temps, n’aurait été qu’une femme ignorante des choses de la vie dont la seule préoccupation, dès qu’elle s’éveillait, était de ne pas manquer la première messe. La religion était son refuge absolu. L’image est trompeuse. Car à côté des nombreux recueils de poésie, elle a laissé une œuvre en prose remarquable. Une œuvre dans laquelle s’exerce pleinement son ironie et ses qualités d’observatrice. Et elle a signé une inégalable chronique de sa ville à laquelle elle s’est totalement identifiée. D’où le titre de cet ouvrage consacré à une femme meurtrie par l’existence, mais jamais résignée pour autant.


L’auteur de ce livre, qui ne se veut nullement une biographie, montre ici que l’on a trop vite dissocié le poète du chroniqueur et du moraliste. Après avoir évoqué Colette, sa tumultueuse compatriote de Saint-Sauveur-en-Puisaye (Colette la vagabonde aux éditions de l’Armançon), Jean-Claude Charlet met aujourd’hui ses pas dans ceux de celle qu’on appelait la chanteuse d’Auxerre que tout oppose à la grande romancière, sinon le talent, un talent vanté tant par Montherlant, Sabatier et Raymond Escholier que par l’Académie française qui devait lui accorder son grand prix de Poésie.

Un livre broché, format 15 x 23 cm, 192 pages sous couverture illustrée.
(ISBN 2 84479 079 8) 16 €