On s'engueulait souvent mais ça finissait toujours par s'arranger.  Il était insupportable parfois mais il y avait quelque chose d'indéfinissable en lui qui le rendait attachant. Allez savoir pourquoi. Tout le monde ne trouvait pas grâce à ses yeux et il pouvait se montrer particulièrement cruel voire méchant. Son humour était féroce mais aussi d'une tendresse infinie pour qui faisait l'effort de comprendre l'homme et le journaliste marqués au fer rouge. Sans évoquer ici l'écrivain ni le formidable caricaturiste qui dessinait comme il respirait car il transperçait les personnages.

C'était un écorché vif qui ne supportait ni l'injustice, ni les bourgeois, ni les notables même si, métier oblige, il devait se résoudre à composer, d'une certaine façon. Il laissait pousser régulièrement sa barbe avant que du jour au lendemain elle disparaisse. Il aimait son métier et n'a jamais craché dans la soupe. C'était un esprit libre et indépendant. On peut même dire que Jean-Claude n'entrait dans aucune case.

Esprit curieux de tout, insatiable de connaissances, lecteur affamé - il dévorait les livres et tint longtemps chronique suivie dans l'Yonne Républicaine - il dormait peu et était souvent de méchante humeur. Il fuma et mordilla longtemps la pipe, car il n'était jamais au repos.

C'était aussi un sportif dans les deux sens : à la fois amateur de sports et pratiquant. Il couvrit à ses frais les Jeux de Rome en 1960 pour l'YR et était chef de la rubrique sportive lorsque Guy Roux débarqua à l'AJA au début des années soixante. JCC racontait non sans humour qu'il commit un article en expliquant que Roux ne ferait pas long feu et que comme les autres, il dégagerait de l'AJA. Idem pour Johnny Halliday, jeune espoir qui se produisit à l'Escale à Migennes : un article signé JCC promit le jeune homme à une carrière ephémère.

Il jouait au tennis tous les jours, en fin de matinée pendant l'heure de midi. Il allait à pied hiver comme été des hauts d'Auxerre au tennis du Stade Auxerrois puis de l'AJA route de Vaux. Pour déstresser et se préparer à affronter une nouvelle journée au journal où il dirigea longtemps les pages régionales et internationales, ce qui l'emmenait invariablement jusqu'au bouclage à minuit plein. Même aux pires moments - car il y en eut des orages au marbre - Jean-Claude ne sacrifia jamais la (les) bière(s) de la camaraderie après le service se mêlant à ses compagnons ouvriers du livre pas toujours commodes.

Les coups de gueule de Jean-Claude demeurent célèbres. Il pouvait devenir tout rouge et se montrer insultant. C'était du Charlet. Il ne se dégonflait pas. Il en a envoyé paître des gens, de tous bords et de tous poils. Il ne dérogeait pas à la morale, la sienne. Il aimait balancer des seaux d'eau sur la tête des collègues du toit de l'YR, l'été, lorsqu'ils revenaient au marbre pour finaliser les pages, d'année en année... mais il ne supporta pas le seau d'eau que je lui balançai - crime de lèse-majesté - un soir de rage.

Jamais il ne rechignait à la tâche. C'etait un journaliste dans le vrai sens du terme : il réagissait et écrivait à une vitesse impressionnante. Je me souviens d'un jour où Jean-Pierre Rives le rugbyman vint au journal et fut reçu dans "la grande salle". A l'époque, les actions marketings et communication n'existaient pas vraiment. Rives à Auxerre c'était un événement, ce que n'avaient apparemment pas perçu d'emblée, les collègues sportifs. Charlet qui était à la "Une" (entendez par là qu'il fabriquait les pages nationales, internationales et la vitrine du canard), interrompit son travail pour interviewer Rives sur un coin de table. Et il "descendit" en moins d'une demi-heure, quatre feuillets de cette écriture inimitable et lisible seulement des linotypistes qui avaient su l'apprivoiser. En tapotant à deux doigts sur le clavier de sa machine à écrire noire, tout en pompant sur sa pipe comme le faisait Simenon, à grandes volutes de fumée. Puis comme si de rien n'était, il passait à autre chose.

Ce personnage indépendant assez égocentrique et caractériel comme peuvent l'être les bons journalistes en activité, avait des côtés sensibles étonnants voire déroutants. C'était aussi un timide, un pudique et un grand tendre. Ainsi par exemple, il n'a pas hésité à aider des jeunes lorsqu'il entrevoyait quelques qualités qu'il n'admettait cependant jamais comme si c'était un tabou. La satisfaction du travail fait et bien fait était la récompense et suffisait. Il avait aussi un penchant ferme pour le faible, la veuve et l'enfant qu'il défendait à bout de bras envers et contre tout.

Nos différends se sont estompés au fil des ans. Ils se terminaient en queue de poisson. L'un annonçant à l'autre et inversement qu'il ferait sa nécro. En somme, le vrai enjeu, c'était à qui durerait le plus longtemps. C'était une manière de réconciliation.

Jean-Claude n'avait pas beaucoup d'amis et chacun peut imaginer pourquoi. Je l'ai suivi sur la pente qui l'a emmené à la mort. Il a lutté avec un courage inimaginable et un humour à toute épreuve, témoignant d'une lucidité et d'une humanité hors du commun. 

J'aimais bien Jean-Claude Charlet. Je suis content d'avoir connu cet homme rare et cheminé aux côtés du journaliste avec d'autres.

Jean-Claude, prépare-nous un bon petit whisky, un single malt bien sûr et pas un baby ; j'arrive, nous arrivons. Cela dit, prends tout ton temps, rien ne presse.

 

Pierre-Jules GAYE

 

Une cérémonie aura lieu vendredi 11 juin, à 14h15, au crématorium d'Auxerre, avenue Jean-Moulin.

Les cendres de Jean-Claude Charlet seront ensuite disséminées, selon sa volonté, dans les bois qu'il aimait.