rdC'est un homme hors du temps. Il était là depuis toujours. Né à Chagny en Saône-et-Loire, sa famille était originaire de l'Yonne où il fit ses études, primaires et secondaires, notamment à Saint-Jacques à Joigny.

Jean Chamant est une figure de la République aux côtés du Général de Gaulle. Le bras armé de la figure historique pour les projets du Concorde, d'Airbus et du TGV, ces entreprises françaises témoins et étendards de l'esprit de recherche, d'innovation et d'entreprise hexagonal.

Avocat de formation, il avait une élocution, une diction et un phrasé hors du commun. Il pouvait en user selon l'intonation pour asseoir une autorité naturelle incontestable voire incontestée. Il en imposait. Lorsqu'il élevait la voix de sa voix grave et retentissante, le silence s'établissait durablement.

Jusqu'à sa mort, survenue dans sa 98ème année, le jour du solstice d'hiver, le moment où le soleil ayant atteint son point le plus bas, sa course va remonter apportant la lumière, tous les matins, il apprenait une poésie et la récitait jusqu'à la perfection. Sa gymnastique intellectuelle fut une constante qui lui a sans doute permis de repousser loin l'heure du déclin.

Quel héritage ?

Ami de Jean Moreau, le ministre, maire d'Auxerre et fabricant de chocolat negro et bamboula qui marqua durablement l'après-guère, Jean Chamant fut tour à tour, député, sénateur, conseiller général élu et régional, président du conseil régional de Bourgogne issu des lois de décentralisation et président du conseil général de l'Yonne. Il effectua le combat de trop en 1995, lorsqu'une triangulaire entre Serge Franchis, Gérard Bourgoin et Jean Chamant âgé de 83 ans, lui fut fatal dès le premier tour, Franchis empêchant in extremis Bourgoin de ravir le siège convoité par l'industriel baptisé l'homme pressé. Toute la classe de l'establishment politique dut s'unir pour faire front à l'intrus, soutenu par Nicolas Sarkozy, le balladurien.

Que laisse l'homme dans l'Yonne ? Une forme d'unité du département très marqué à droite par sa ruralité mais une droite hétérogène et diverse, difficile à concilier tant l'esprit d'indépendance anime ses acteurs. C'est vrai, aujourd'hui encore, et très compliqué. Cela a contribué à décider Henri de Raincourt à passer la main à la tête du département, ses préconisations n'étant pas suivies, notamment lors de la course à la sénatoriale qui intrônisa Pierre Bordier le fidèle de Saint-Fargeau. La politique d'aide volontaire aux communes (qui met en difficulté aujourd'hui l'actuel président Jean-Marie Rolland) ainsi que le transport scolaire gratuit furent aussi sa marque de fabrique que relaya et développa celui qu'il avait choisi pour lui succéder, Henri de Raincourt dont il avait dit avant de l'introniser qu'il irait loin. Henri de Raincourt, voilà peut-être le legs dans la transmission.

Le trou noir

Jean Chamant laisse aussi des coins d'ombre. Le centre culturel de l'Yonne qu'il abandonna et dépeça et le projet d'Hôtel du département avant de renoncer après la mise au concours d'architectes. Un trou noir qui sacrifia le cinéma Familial démoli pour rien ciné-club avec pour un parking souterrain qui ne vit jamais le jour place de l'Etang Saint-Vigile. Coût d'une opération qui ne vit jamais le jour, 20 millions de francs (près de 6 millions d'euros) d'argent des contribuables jetés en l'air. Réponse de Jean Chamant : " 20 millions c'est moins que 150 millions (coût de l'Hôtel en question)... On a bien fait de renoncer, cela a coûté moins cher... CQFD. Il est vrai que l'immobilier du conseil général relève du roman avec le ratage de Vauban qui eût pu abriter tout le monde, la BPY à Perrigny longtemps inoccupé, le Crédit agricole qui ne suffira pas non loin du complexe de l'Hôtel de l'Europe.

L'homme d'une profonde humanité sous une cuirasse blindée à toute épreuve, eut une grande peine voilà quelques années. Il perdit un fils et ne s'en consola pas car "il n'est pas dans l'ordre des choses de perdre un enfant à ces âges en lui survivant..."

Jean Chamant ne put non plus concrétiser un de ses voeux les plus chers, à une époque, celui de marier sa fille à Jean-Pierre Soisson, jeune brillant énarque. Elle lui était promise et destinée mais la vie en décida autrement.

De ces deux "bêtes politiques" il en est toujours resté une forme de compétition amicalement cruelle. " C'est en longévité que l'histoire peut apprécier les hommes et les événements.... Jean-Pierre Soisson a encore beaucoup de chemin à faire avant de me rattraper..." glissait avec perfidie le "Roi Jean", le sourire amusé.

Effectivement, JPS qui apparaît comme un dinosaure aux yeux de beaucoup, a un bel avenir devant lui s'il veut rivaliser.

Un tandem

Mais on ne peut, localement,  ignorer d'autres hommes dans ce parcours d'exception. Jean Chamant formait un tandem de choc avec Jean Pélissier, son directeur général au conseil général. Une assemblée où siègeaient des pointures tels Raymond Janot, co-auteur de la Constitution de la V ème République, Jean Cordillot, ancien député de l'Yonne, le chablisien Louis Protat, Jean-Michel Renaitour qui fut maire d'Auxerre dans les années 20 et écrivain, le Sénonais Roger Lassalle, Etienne Louis le (seul) tombeur de Soisson, l'Avallonnais Paul Flandin, Bernard Magdalénat, Michel Delprat, négociateur hors pair parmi d'autres et ceux qui vinrent ensuite, les Nallet, Sadon etc.

Jean Chamant avait une vision. Dès la fin des années 80, il estimait que le terrorisme serait le gros problème des sociétés démocratiques au 21ème siècle. L'Histoire lui a, hélas, donné raison.

On ne peut conclure sans évoquer "Mimi", son épouse dont les racines sont à Semur en Côte d'Or,  à qui, selon lui, il devait sa carrière. "Mimi, c'est çi... Mimi c'est ça...". Elle faisait beaucoup de choses, était très aimée et admirée dans l'Avalionnais et connaissait la circonscription sur le bout des doigts. C'est que Jean Chamant, fut aussi, maire d'Avallon.

Les oreilles des Brizards, sifflent et soufflent... Reste le concept familier et affectueux - à en croire Jean-Marie Rolland - de "Roi Jean". Il suggère la notion perverse dans notre République, "d'être au-dessus des lois." L'aurait-il été ? Le pouvoir n'appelle-t-il pas l'abus de pouvoir ?

                                                                                                                                                                  Pierre-Jules GAYE