Comment fêter les mères disparues ? Totalement abolies, ou seulement délestées d’un corps dont se poursuit l’effacement sous la pierre ? Et s’il subsiste une quintessence d’elles, est-ce au fin fond, dans une lumière sans mémoire, ou tout près, à nous frôler ? navrées d’impuissance  ou sanctifiées d’accompagnement ? Questions vaines, bien sûr. Et celle-ci, moins extravagante mais plus vaine encore : Lui ai-je assez dit de son vivant ma dette, lorsque les mots pouvaient encore faire vibrer l’air à son tympan, et l’amour de l’oreille au coeur ?… Retrouvé hier quelques vestiges de son sillage physique -un foulard, des gants-  oubliés au tiroir d’une dévotion dévitalisée. Sans émotion déjà ? Déjà le temps de ne plus croire en elle ?

Parfois, pourtant, il te semble poursuivre la route sous son regard. Tu murmures des mots d’assistance à son attention, la pries de serrer sans bras  ses déjà vieillissants fils rêvant qu’un ailleurs existe, qu’il fera doux s’y rejoindre aux maisons sans murs, deviser par les campagnes sans chemins, rire sans bouche au souvenir des menues joies que leur offrait sur terre un dieu bénin  :  repasser, immatériels, le cours du temps qui les occupa vifs, depuis les jours où elle les mit au monde jusqu’à celui où ils l’ont déposée au bas d’une colline de longue ascendance, et l’on aimerait que les fantômes chers y dansent avec elle, mais on soupçonne que la survivance des morts n’est qu’en la mémoire des vivants,  fragile, sujette à l’usure du sang dans la tête, cette altière qui n’est pas moins un organe, sous ses grands airs, que le cœur ou le foie…

Mère disparue, si tu t’absentes chaque année davantage, si ta voix s’est perdue, si ton visage s’estompe en ses expressions colorées,  si les photographies même avouent leur impuissance à déjouer le doute, si tu n’es plus qu’une hypothèse heureuse, un parfum de voyage ; si l’étrangeté nous dénoyaute ; si nous sourions aux proches pour leur faire croire à notre réalité, à la leur ; si le décompte du temps passé vaut en inconsistance la provision d’avenir, que restera-t-il de toi, de nous, dans l’immensité caverneuse,  qu’un suave effluve au détour d’une allée printanière ?

Arion