Le majestueux château de Miramare sur l’extrémité de la baie, avec ses sphynx mélancoliquement tournés vers la mer et cet air de valse viennoise rôdant dans les murs fut le berceau de deux tragédies : c’est là que Maximilien, prince impérial et archiduc d’Autriche, et Charlotte de Belgique ont eu quelques heureuses années, de là qu’ils sont partis pour le Mexique où, devenu Maximilien 1er du Mexique, il serait fusillé à 35 ans, laissant Charlotte entre la folie et la raison jusqu’à sa propre mort.
 
C’est une petite ville ravissante dont l’histoire s’enfonce loin dans le temps, un joyau au bord de l’Adriatique, méconnue malgré tant d’histoire, dont la splendeur craquelée et fatiguée parle d’un passé de prestige. Tant de choses à y aimer, comme la merveilleuse Piazza Unità d’Italia, faisant face à la mer avec un faste habsbourgien, où semblent courir les échos d’opérettes et des sabres des soldats autrichiens. C’est là que l’on trouve le très élégant caffé degli specchi (café des miroirs), figé dans une grâce intemporelle. Construit en 1839, Kafka, Italo Svevo et James Joyce – dont on peut voir la statue à Ponte Rosso  – y ont ri, festoyé et pensé, les yeux tournés vers une mer caressée par la brise. 
 
On y parle principalement le triestin, avec un accent impossible à confondre, et aussi le slovène, même si tout le monde connaît parfaitement l’italien. La ville est adossée au plateau du Carso si bien qu’à part en bord de mer et au centre-ville, on se retrouve vite à grimper ou dévaler rues et ruelles typiques et tortueuses, avec des cordes fixées dans les murs ou la roche. Car Trieste donne aussi l’hospitalité, surtout en hiver, à la Bora, un vent continental sec et froid qui descend parfois avec une grande violence depuis le Carso sur la ville. Sur la neige glacée, on ne pourrait circuler sans l’aide de ces cordes auxquelles s’agripper, et lorsque c’est nécessaire, la ville en fait ajouter un peu partout. J’ai même vu des voitures esquissant la valse des patineurs sans aucun but ni contrôle…
 
El tram de Opcina, une chanson populaire en dialecte célèbre d’ailleurs la rencontre musclée de la Bora avec le fameux tram d’Opicina – ville frontière avec la Slovénie, sur le plateau du Carso – qui est le seul tram à traction électrique à funiculaire encore en service en Europe : la pente est de 8 degrés, et le voyage vaut la peine, sauf sans doute les jours de Bora :
 
Même le tram d’Opicina est né malchanceux
Descendant par Scorcola, une maison l’a renversé
Par la grâce de Dieu, c’était jour de travail
Et dans le train il n’y avait que le malheureux conducteur
 
Et comme la Bora qui vient et qui va
On dit que le monde s’est renversé (bis)

                                                                Edmée DE XHAVEE