Alors que depuis des années, les détenus dénoncent les abus voire le racket organisé autour de la location du poste de télévision, la Chancellerie va harmoniser le prix à 8 euros mensuels dans toutes les prisons françaises. Les prix varient de 5 à 40 euros suivant les établissements. La gestion des fonds est opaque, révèle un rapport de la Cour des comptes.

A la prison d'Auxerre, il en coûtait 15 euros par mois par détenu. A la prison de Joux-le-Ville, il en coûte et coûtera encore jusqu'au 1er janvier 2013, 18 euros. Ailleurs les prix peuvent monter jusqu'à 40 euros.

Parmi les achats, la télévision représente le troisième poste de dépenses des détenus (soit plus que les dépenses consacrées à l'hygiène (1)). L'accès aux programmes diffusés (chaînes hertziennes et Canal+ si le détenu s'y abonne) ne subit aucune restriction de contenu : les détenus sont autorisés à regarder les programmes de leur choix.

Racket institutionnel

Derrière les murs, les associations socioculturelles et sportives (ASCS) - le personnel pénitentiaire - gèrent la location de matériel électroménager aux prisonniers : fours, frigidaires, transistors, et donc, postes de télé. Chaque mois, les détenus s’acquittent d’une cotisation censée couvrir les coûts de fonctionnement. Il n’y a pas de règle, chaque prison fixe le montant à sa sauce. L’an dernier, la Cour des comptes a épinglé l’ASCS de Fleury-Mérogis, qui, à force d’empocher une marge de 64% sur la location de ses 1 800 téléviseurs, se retrouve propriétaire d’un «magot» de 800 000 euros. Or, en tant qu’association régie par la loi de 1901, une ASCS n’a pas le droit de générer un sou de bénéfice. Pour pallier ces dérives, les 8 euros dépensés par le détenu seront réservés à «l’entretien et le renouvellement du parc des téléviseurs».Sur ce point, l’AP va procéder à un appel d’offres national, mettant fin aux «petits arrangements» passés avec les marchands de télés du coin. Au 1er janvier 2012, les prisons qui n’auront pas «basculé dans le nouveau marché devront prendre à leur charge tout surcoût, au-delà de 8 euros, qui est actuellement facturé aux détenus», précise la note.

Près de la moitié des détenus condamnés en France sont emprisonnés pour des peines supérieures à 5 ans. En 5 ans, sans avoir d'acquis ou d'expériences positives et utilisables, on peut imaginer sans trop s'avancer que le retour à la vie du "dehors" peut facilement être catastrophique.
Quand on pense qu'en moyenne, les détenus ont en France un niveau scolaire équivalent au primaire, cela constitue une indication importante sur la nécessité de la formation. Au-delà de la dimension symbolique de la privation de liberté, de la notion de réparation envers les parties civiles et de la mise "hors d'état de nuire" des personnes "dangereuses", la réinsertion des personnes incarcérées, qui devront un jour ou l'autre trouver leur place dans la société, est peut-être la seule et unique justification réelle du système pénitentiaire. Reste une question :  la passivité qu'induit la télévision peut-elle est-elle un frein supplémentaire à la réinsertion ?

La commission d'enquête du Sénat a pu constater que les détenus sont très dépendants de la télévision. En cas de panne, elle doit être remplacée dans les délais les plus brefs afin d'éviter des tensions. La privation de télé constitue d'ailleurs une sanction appliquée aussi bien aux mineurs qu'aux adultes : le " mitard " est en effet dépourvu de télévision. S'il existe un consensus sur le principe de la télévision en prison, ses modalités de gestion soulèvent des interrogations.

Lors de ses déplacements, la commission d'enquête a constaté le coût élevé et la disparité des prix en ce domaine. La télévision est chère en prison.

A l'initiative de Robert Badinter, alors Garde des sceaux, la télévision a été instaurée dans les établissements pénitentiaires à la fin de l'année 1985. L'administration pénitentiaire s'était prononcée en faveur d'un système visant à recourir, par l'intermédiaire des associations socioculturelles, aux services de sociétés de location de téléviseurs, et à faire intégrer dans le prix de la location payé par les détenus l'amortissement des travaux d'installation.

Si l'introduction de la télévision a suscité de fortes critiques, aujourd'hui, elle fait l'unanimité aussi bien auprès des détenus que des personnels chargés de les encadrer. En effet, elle permet à la fois de rompre l'ennui et de maintenir un lien avec le monde extérieur.

Comme l'affirme un détenu, la télévision c'est comme "une boussole qui nous permet de savoir où se trouve le nord".

Le temps en prison

La télévision a donc fait son entrée dans les cellules des détenus français en décembre 1985. L'amendement ayant permis cette situation n'avait à l'époque pas été accueilli favorablement par le grand public, qui reprochait aux autorités la transformation des centres pénitentiaires en "prisons quatre étoiles". Aujourd'hui, regarder la télévision en prison est devenu une occupation banale dans la vie quotidienne des cinquante-cinq mille détenus en France.

En détention, la question du temps est centrale. Il existe des décalages importants au niveau de la perception du temps, que ce soit entre individus, ou entre le "dedans" et le "dehors". Le temps est réglé : les repas du midi et du soir doivent être espacés d'au moins six heures, la durée de la promenade (non obligatoire) est d'au moins une heure par jour, la durée de l'enfermement de nuit ne doit pas dépasser douze heures, l'extinction des lumières est obligatoire pour les mineurs les soirs de diffusion de films pornographiques à la télévision… Mais la question essentielle, qui n'est pas toujours posée, est : "Que faire de ce temps ?"…
"Comment est-ce que je vais passer ce temps, cette peine ? Ici, je me retrouve face à moi-même. Il faut profiter de ce temps obligé pour faire une analyse de moi-même. Or, la télévision n'arrange pas ce coup-là. La télévision c'est avant tout du brouillage de la réalité".

La télévision est indiscutablement un instrument à faire passer le temps : son introduction a fait baisser la violence et la consommation de médicaments. On pourrait facilement en déduire qu'elle contribue à l'abrutissement des détenus : on ne peut pas négliger le fait que sa présence permet aux surveillants, un corps de métier difficile et désabusé, de travailler avec plus de sérénité - même si, pour les personnes incarcérées à plusieurs en cellule (70 % des cas), les désaccords sur les programmes à regarder sont fréquents. Mais la télévision aide-t-elle à purger sa peine ?

 

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