Il avait une gueule, une tête qu'on n'oublie pas. Le crâne rasé et le regard qui va au-delà. C'est une figure, un personnage, un monument, un menhir. Il dégageait une force et une douceur rares.

L'homme a vécu plusieurs vies qu'il a construites pierre après pierre. Fils du maréchal-ferrand de Vénizy dans le florentinois, instituteur, sculpteur, peintre, constructeur naval, marin, homme de théâtre (il débuta au sein de la troupe du Fémur, fonda la compagnie l'Ecrevisse bleue et dirigea l'atelier du théâtre d'Auxerre de 1993 à 2004), homme de lettres, père, amant, ami, confident, accoucheur d'hommes et de femmes qu'il accompagnait dans leur quête et qu'il encourageait, humble, cherchant, humain, essentiellement humain : les mots ne suffisent pas pour dire le personnage.

Un 25 décembre, il planta deux piquets dans son jardin de Jussy et tira un fil. Ce fut l'étrave du bâteau qu'il a construit et avec lequel il a fait le tour du monde. Il apprit à naviguer sur le lac du Bourdon en Puisaye. Pour larguer les amarres, il vendit sa voiture pour pouboir acheter le dernier winch, équipement fixe placé sur le pont d'un voilier qui permet de démultiplier la traction exercée par l'équipage sur les cordages (écoute, drisse, bras de spinnaker) utilisés pour contrôler la voilure.

Il n'a jamais pu cicatriser une plaie béante : la disparition d'un de ses fils, Christophe, en mer du côté de l'Atlantique sud. Parti avec le fils Mayol, le bâteau fut retrouvé mais les skippers jamais. Jean-Claude Delagneau est parti à la recherche de son fils disparu, menant sa propre enquête, qu'il évoque dans un livre.

L'homme a créé des pièces de théâtre, sculpté, peint et écrit. Il laisse des traces visibles, il laisse aussi des traces invisibles dans le coeur de ses proches et de toutes celles et ceux qui ont eu le bonheur de le côtoyer. Il laisse un grand vide qu'il continuera de hanter.

 

EN SAVOIR PLUS

Ce texte est une quête : la quête d’un enfant perdu. Un jour, il y a presque vingt ans, une goélette quitte un port de Colombie à destination du Brésil, avec trois jeunes gens à bord. On retrouvera le bateau, une semaine plus tard, vide de toutes traces de ses occupants.

« Le secret de Dona Glorinha » c’est la recherche du père de l’un d’eux pour donner une explication, un sens à cette disparition.

Une quête concrète, mais aussi littéraire et poétique qui envisage tous les possibles pour échapper à cette situation intolérable : l’effacement total de son enfant.

Un très beau texte, comme une confidence, mais aussi comme un roman d’aventure, dont le rythme des hypothèses possibles est ponctué par de brefs récits des rêves du père, contrepoint de l’inconscient à la  quête méthodique et des dessins de l’auteur, car Jean Claude Delagneau est aussi peintre et sculpteur.

Comment dire ... ?

Comment dire l'absence ? Quels mots, quelles images peuvent dire cela qui n'a pas de nom, la disparition d'un fils au large du Venezuela et l'attente d'un père ? Chaque récit est une piste que l'on suit, une ficelle que l'on tire, un rêve qui devient cauchemar, une hypothèse que l'on formule en sachant que rien, jamais, ne viendra l'étayer ni l'infirmer.

Alternant rêves, fictions et mémoire de sa propre enquête, en Colombie, au Nicaragua puis au Brésil, l'auteur nous dessine en creux le portrait de l'absent mais aussi celui d'un père condamné au doute. Une langue simple, directe, pudique, sans volonté de faire "littéraire", parfois à la limite du procès-verbal, donne à ce livre sa force émotionnelle tout en posant une fois encore la question fondamentale de toute écriture non documentaire : comment dire l'indicible ?

APERÇU D'OEUVRES DE JEAN-CLAUDE DELAGNEAU

Willima Puisaye

 (Photos DR)

Jean-Claude Delagneau met les voiles


Fin 2004, en effet, Jean-Claude Delagneau mettra les voiles. Direction le Sud, loin des bords de l’Yonne. « J’ai envie de prendre du temps pour faire autre chose pendant que j’ai encore un peu de vigueur, découvrir d’autres lieux, peindre, écrire… » Loin d’être dicté par la lassitude, ce choix répond au besoin de renaître une nouvelle fois, une énième fois… D’entretenir cette flamme que l’âge n’a pas fait vaciller. A 70 ans (si, si c’est vrai, on vous le jure), le metteur en scène n’est plus à un changement de cap près, lui qui a été instituteur, peintre-sculpteur et a construit un voilier sur lequel il a traversé l’Atlantique.

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