C’est Gutenberg (environ 1400 – 1468) qui a libéré les croyants de la censure et interprétations de la Bible faites par les religieux. Désormais, chacun pouvait avoir sa Bible à la maison, et la comprendre à sa façon. Sa merveilleuse invention atténua la toute-puissance de l’Eglise. Lire ! Lire et comprendre ! Lire, comprendre et contester. Expliquer. Penser par soi-même…  Les courants religieux jaillirent, les rattachements et les abandons, les contestations, les subdivisions.

Les hasards d’une invention, de querelles religieuses intransigeantes et passionnées, de Bourguignons farouchement convaincus et entêtés font que, partant de cette simple et enivrante liberté de lire et de penser… on retrouve encore chez nous une mentalité qui porte les traces de cette épopée religieuse et politique : le jansénisme.

C’est à l’université de Louvain qu’est né le Jansénisme. Michel De Bay (1513-1589), théologien aussi appelé Baius selon la tradition de latiniser le nom, en fut le préparateur se basant sur la doctrine de Saint Augustin. Déjà alors, soufflait le vent de Bourgogne car Michel De Bay était originaire des Pays-Bas bourguignons, provinces des Pays Bas acquises par les ducs de Bourgogne. Son élève fut Cornelius Jansen (1585-1638) et son texte l’Augustinus publié après sa mort est le texte fondateur du jansénisme.  Saint Augustin estimait que la faute originelle d’Adam enlevait à l’homme une partie de son libre arbitre, ce qui rend ses bonnes ou mauvaises actions sans importance,  et que Dieu est le seul qui décide à qui Il accorde ou dénie sa grâce. Il y a donc peu de liberté humaine.

 

Parallèlement, le Jésuite Luis de Molina publie un livre en 1588 : La concorde du libre arbitre avec les dons de la grâce, en concordance avec l’humanisme qui avait amené la nouvelle image d’un homme fondamentalement bon, cherchant le bien et tout à fait capable de trouver Dieu par, entre autre, l’étude. Ce livre prône la pleine liberté de l’homme pour trouver son salut et transformer le monde selon son vouloir. Une créature qui, en quelque sorte, avait chassé le besoin de Dieu.

 

Le Jansénisme réagit à ce courant de pensée, et les Jésuites n’aiment pas son image d’une Eglise qui ne peut rien pour le salut des chrétiens. A Louvain, ils voient s’opposer l’université catholique à leur collège, et Cornélius Jansen rédige l’Augustinus, manuscrit de  1300 pages qui cherche à synthétiser l’œuvre de Saint Augustin et régler le problème de la grâce divine. Depuis le péché originel, dit Cornélius Jansen (qui meurt peu avant d’avoir terminé son œuvre), sans le secours divin, la volonté de l’homme n’est capable que du mal. C’est par la grâce efficace – irrésistible et uniquement accordée par Dieu à qui Il décide de l’accorder - qu’il choisit la délectation céleste à la délectation terrestre, ce qui rejoint l’idée calviniste de la prédestination.

 

 

 

 



Théodore de Bèze (1519-1605), originaire de Vézelay, était un proche de Calvin dont il devint le successeur et « s’impliqua dans deux controverses de son temps : La première concernait la doctrine de la prédestination et la controverse de Calvin contre Jérome-Hermès Bolsec. La seconde parlait de l’exécution sur le bûcher de Michel Servet à Genève, le 27 octobre 1553. Pour défendre Calvin et les magistrats genevois, Bèze publia en 1554 De haereticis a civili magistratu puniendis (traduit en français en 1560). » (Wikipédia

 

 

 

A Joigny, le 7 mai 1706, Marie-Philippe Branché fonde, avec d’autres dames militantes de la bourgeoisie, Les pauvres orphelines, un orphelinat pour les jeunes filles de 6 à 15 ans de modeste provenance dans la rue Saint-Jacques.  Les dames fondatrices sont laïques mais se font appeler « sœur », tandis que la volontaire Marie-Philippe se donne le titre de « supérieure ».  Le curé de Saint Thibault admire leur œuvre et fait d’elles les bénéficiaires de l’usufruit de ses biens.  L’archevêque de Sens, Monseigneur de Chavigny, reconnaît  leur utilité et incite à la tolérance à leur égard.

 

Cependant , l’archevêque suivant – Monseigneur Languet de Gergy – tente en 1730 de faire appliquer l’édit royal prescrivant la réunion des œuvres hospitalières d’une même ville, - ce qui soumettrait l’orphelinat à la supervision des administrateurs de l’Hôtel-Dieu -, mais doit subir l’opposition inébranlable de Marie-Philippe qui dès lors devient le chef de file d’une mouvance janséniste Jovinienne comprenant la majorité des prêtres de la ville et des religieuses de la congrégation Notre Dame de St André qui suivent leur supérieure, ainsi que les religieuses de l’Hôtel-Dieu.

 

 

 

 

1713 voit une victoire des jésuites : sous leur pression le pape Clément XI accorde la Bulle Unigenitus à Louis XIV, condamnant le jansénisme. Une partie de l’Episcopat français ne veut en entendre parler et on force la main à la Sorbonne pour l’enregistrer malgré tout. L’archevêque  de Sens, qui est en faveur, et Charles de Caylus, évêque janséniste d’Auxerre qui est contre (tout comme une douzaine d’autres évêques français) avec la majorité de son clergé, s’affronteront dans de violents écrits. Les prêtres persécutés trouvent protection dans le diocèse d’Auxerre, devenu le « refuge des pécheurs », ce qui attire l’attention du gouvernement. En 1732 il accueille l’abbé Gaspard Terrasson (1680-1752), un janséniste forcé de quitter l’Oratoire pour son refus d’accepter la bulle Ugenitus, et en fait le curé de Treigny, qui deviendra un haut-lieu de jansénisme icaunais.  C’était à Treigny et Ronchères que s’étaient réfugiés les « bonhommes » fuyant Port-Royal, et leur influence n’a pas encore tout à fait disparu.

 

En mai 1736 l’abbé Blondeau, le curé de Saint Thibault, décède et les dames de Joigny se retrouvent au centre d’un retentissant procès entre elles, les neveux du défunt et les administrateurs de l’Hôtel-Dieu qui font valoir l’édit royal. Marie-Philippe est loin d’être une femme soumise et n’entend pas se plier à une surveillance quelconque d’autant qu’elle est une adepte du jansénisme, dont la rigueur commence à faire discrètement école à Joigny.  L’homme de loi des neveux de l’abbé Blondeau tente d’obtenir le transfert du dossier au Parlement, et mal lui en prend car voici une belle occasion de ce dernier de s’opposer au Roi et de donner raison aux demoiselles jansénistes. Il est décidé qu’elles auront leur autonomie complète jusqu’à la mort de la dernière d’entre elles. Qui sera Marie-Philippe en 1752.

 

Au même moment, le couvent  de la Congrégation Notre-Dame est également d’orientation janséniste, et en octobre 1732 Monseigneur Languet de Gercy en interroge les 19 religieuses. Une seule sera reconnue comme « catholique » et les autres qualifiées de « janséniste ignorante », « janséniste qui parle toujours et n’écoute pas », « janséniste jusqu’à la folie » et autres définitions hostiles. Décidant sans doute que malgré tout les jancénistes joviniens étaient puissants mais bien encadrés et ne représentant pas un danger réel, l’archevêque ne prit aucune mesure.  De plus, les religieuses, cloîtrées, ne pouvaient pas faire grand mal.

 

Joigny voit donc coexister dans ses murs des jansénistes et leurs adversaires. Et le jansénisme s’installe profondément dans les cœurs et mentalités. Il ne s’éteindra qu’à la Grande Guerre.

 

La détermination farouche de Monseigneur Caylus, Evêque d’Auxerre, eut des conséquences alors inimaginables. Son diocèse jancéniste fut vu avec suspicion. Ses prêtres étaient tenus à l’écart, si bien qu’après la Révolution il y aura pénurie de prêtres et que la laïcité s’installera tout naturellement, accompagnée d’une déchristianisation et esprit anticlérical qui dureront jusqu’au XXème siècle.

 

 

 

 

 

Dès 1755, le successeur de Monseigneur Caylus, Jacques de Condorcet, tenta d’éradiquer le jansénisme du diocèse. Sa première mesure fut d’interdire tous les prêtres jansénistes, ce qui souleva la colère dans tout le diocèse. Des procès criminels furent intentés contre les prêtres insoumis. Le Parlement de Paris, pourtant, cassait régulièrement ses décrets contre les jansénistes par des arrêts de défense.  La tension était telle que Louis XV demanda la démission du prélat, qui refusa longtemps, jusqu’en janvier 1761 où il partit à Lisieux. Ces disputes incessantes ébranlèrent et firent dépérir la foi.

 

                                                                                                     Suzanne Dejaer

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