Maurice Gruau est né en 1930. Ordonné prêtre à Laval en 1955, il fut le curé d’Appoigny, en Bourgogne, pendant 20 ans jusqu’en 2001 en charge de 13 paroisses. Il fut vicaire général de l’évêché de Mayenne, aumônier des prisons. Il enseigne la linguistique à l’université de Rennes et l’anthropologie religieuse à l’université de Paris VII.

De cette trajectoire atypique, Maurice Gruau, 82 ans, conclut que l’Église « se casse la gueule » et que les prêtres doivent travailler et se marier pour « être au monde ».

« Ce n’est pas tenable, nous avons aujourd’hui des cadres et un pape rétrograde au possible et qui disent des choses tout droit sorties d’un autre âge », estime l’ancien curé de campagne. « Parler du mariage homosexuel n’est pas le rôle de l’Église. Comment de vieux célibataires peuvent-ils porter un jugement sur cela ? », s’interroge l’octogénaire qui fut prêtre en Mayenne, puis en Bourgogne et aumônier des prisons. « L’Église est là pour transmettre l’Évangile, rien de plus », juge-t-il. « Chacun doit rester à sa place ».

 

Une lumière spirituelle extraordinaire

 Il reconnaît avoir partagé quelques années la vie d’une femme : un « amour semi-clandestin », « seuls quelques amis étaient au courant ». « J’ai aimé cette femme » et ce fut « une lumière spirituelle extraordinaire » qui « m’a permis de devenir pleinement un homme et de mieux comprendre les autres et Dieu », affirme-t-il. «  Je ne serais pas resté prêtre toute ma vie si je n’avais pas eu d’autres activités en parallèle », confesse-t-il, estimant qu’un prêtre doit pouvoir être entouré d’une famille et travailler. « Si aujourd’hui le pape autorisait les prêtres à se marier, ce serait le signe fort d’une Église capable de revoir ses préjugés antiques », écrit-il.

Fan de rock et de peinture contemporaine, il parle araméen, grec, latin, a fait une thèse sur Origène et a repris, alors qu’il était déjà prêtre, des études de linguistique et d’anthropologie. Doctorat en poche, il est devenu prof à la faculté de Rennes puis à Paris, mais il est resté curé de campagne, notamment à Appoigny où il cotoie beaucoup de monde notamment Pascal Dibie l'anthropologue comme lui et Joël Laporte, psychiatre ses amis. Plus tard, il a aussi dirigé, comme rédacteur en chef, deux publications catholiques. « C’est une erreur d’imposer aux prêtres d’être enfermés dans la sacristie. Cela détourne des gens de cette vocation et les coupe de la vie réelle », précisant que 9 sur 11 de ses coreligionnaires ordonnés comme lui à Laval, en 1955, ont renoncé au service de l’Église.

Maurice Gruau reste optimiste. « Le discours ecclésial est fichu, mais pas le discours évangélique. J’appelle de mes vœux une église plus fraternelle, moins coincée où les gens reviendraient. »

Comment dire la foi...

Enfin, le "vieux prêtre" essaye de redire l'absolu inclassable de toute foi : « Les étapes que j'ai tenté de décrire m’ont conduit, pour rester fidèle à la parole séductrice de Jésus de Nazareth, à habiter quantité de lieux nouveaux : après le marché aux chevaux de Vaugirard, le séminaire de Laval, le lycée du Sacré-Coeur de Mayenne, les presbytères de Connée, du Bourgneuf et d’Ernée, l’évêché de Laval, l’Université de Haute-Bretagne, une douzaine de paroisses bourguignonnes, l’Université Paris VII, le journalisme avec Dimanche en paroisse et Aujourd’hui Dimanche, l’aumônerie des prisons, la gérance d’une cordonnerie et d’une fabrique de cakes, la présidence d’un groupement régional de salles de cinéma et celle d’une association vouée à l’informatique, une fraternelle amitié avec nombre de francs-maçons, un amour pourtant interdit, de profondes et durables amitiés, l’affection de plus jeunes qui m’adoptèrent comme leur frère, leur père, leur parrain ou leur grand-père et d’autres encore ... »

Maurice Gruau, un jeune homme de 82 ans (DR)

 

Témoignage de Frédéric Aimard

 

"Du temps où "La France Catholique" était la propriété de l’Action catholique générale des hommes, celle-ci possédait également une autre revue, centenaire, du nom de "Dimanche en paroisse". Il s’agissait d’un « sermonnaire » donnant pour chaque dimanche un sermon tout fait à des curés qui s’en inspiraient, voire s’en contentaient. [1] Mais c’était avant Internet. Tout cela pouvait se faire dans une relative discrétion vis-à-vis des paroissiens et puis c’était un genre de service qui pouvait se vendre. La revue était rentable, on payait une secrétaire, des collaborateurs et un rédacteur en chef.

Alors que je venais d’entrer à France Catholique, le rédacteur en chef de Dimanche en paroisse était l’abbé Maurice Gruau. Un homme aimable, qui s’habillait d’un jean et d’une chemise à carreaux, et que « les dames des abonnements » aimaient bien. D’autant plus qu’il n’hésitait pas à tenir tête à la directrice, notamment pour exiger une rémunération normale de lui-même et de ses collaborateurs. Il faut dire qu’à l’époque il était curé bénévole dans un diocèse particulièrement déchristianisé et désargenté... Cela je viens de l’apprendre en lisant un petit livre où Maurice Gruau égrène quelques souvenirs sélectifs présentés dans un désordre très littéraire. La directrice finissait par lui céder, car l’abbé débordait d’énergie. Il avait développé une deuxième revue, Aujourd’hui dimanche, qui marchait bien aussi, en donnant toute la trame de la messe et qui s’adressait surtout aux communautés qui pratiquaient des « assemblées dominicales en attente de prêtre » (ADAP) fort en vogue dans certains milieux catholiques des années 70-80...

Vocation isolée dans un milieu peu chrétien et peu favorisé (son père était maquignon et s’opposa d’abord à son entrée au séminaire), ordonné prêtre en 1955, Maurice Gruau a connu une Eglise bien implantée auprès du peuple des campagnes et des petites villes de l’Ouest. C’était avant la grande crise qui a précédé et suivi le Concile et Mai 68. Doué d’un sens de l’observation peu commun, il est devenu anthropologue (amateur, puis scientifique) de l’Eglise rurale qu’il a servie, d’abord en Mayenne, où il fut un moment vicaire-général, puis dans le diocèse d’Auxerre après qu’il eut réclamé de retourner à la base, par un réflexe quelque peu anarchiste — ou évangélique — alors qu’il craignait d’être gâté par le pouvoir qu’il exerçait sur ses confrères, explique-t-il...

Et à ces confères prêtres, notamment les plus anciens, qui l’ont formé au métier, il a beau les dépeindre avec un certain humour et beaucoup d’anecdotes d’ailleurs savoureuses, on sent qu’il leur a également porté beaucoup de tendresse. Comme il a aimé ses ouailles avec lesquelles il a partagé non seulement la vie de l’église stricto-sensu mais des aventures culturelles, par exemple lorsqu’il présida un groupement régional de salles de cinéma.

On lui reconnaîtra d’emblée un mérite : celui d’être resté prêtre (ce qui donne sens au titre du livre), ce qui ne fut pas le cas de beaucoup de ceux qui commencèrent leur séminaire en même temps que lui et avec lui... Manifestement un  homme de prière, un fin connaisseur de la Bible, un homme exigeant pour lui-même, pratiquant le jeûne [2], détaché des biens du monde même s’il fait parfois preuve d’un certain orgueil intellectuel... A part ça — ou peut-être à cause de cela — il y a peu de choses qu’un prêtre ne devrait pas faire qu’il n’ait au moins essayées.

Les absolutions collectives par exemple, qu’il découvre en Bourgogne et apprécie tout en dégageant quelque peu sa responsabilité personnelle (il ne fait que suivre les habitudes prises et difficilement déracinables)... Il fut pourtant aussi un confesseur assidu même si ses recettes peuvent en déconcerter certains, mais il ne met pas en cause la validité ni l’utilité du sacrement...

A un moment, il remercie Marx, Althusser, Freud et quelques autres du même acabit de lui avoir permis de garder la foi ! Il est vrai que Maurice Gruau avait repris (en 1968 !), des études universitaires qui le menèrent fort loin puisqu’il enseigna la linguistique à l’université de Rennes et succéda au célèbre jésuite Michel de Certeau dans sa chaire d’anthropologie religieuse à l’Université Paris VII.

A un autre moment il explique qu’il a aimé une femme — ce qu’il développe d’ailleurs dans une interviewe au Journal du Dimanche [3]. Que faut-il en penser ? Petite provocation à la manière de l’abbé Pierre ou de Sœur Emmanuelle ou aveu tardif à la Bruckberger ? L’abbé reste relativement discret dans le livre. A l’époque, pour ce que je crois savoir, les mauvaises langues le disait plutôt homosexuel parce qu’il recevait dans son presbytère des jeunes hommes, vagabonds de passage ou jeunes en rupture de famille. Mais quand on a lu son livre, on peut penser qu’il s’agissait de rapports plutôt édifiants. Il a sauvé des vies, réconcilié des pères et des fils... Des parents et des gendarmes lui en ont été reconnaissants. On sait ce que le Père Dominique Weill, l’acquitté d’Outreau, manifestement un saint homme, a pu subir à la suite des ragots de bonnes femmes, pour le seul motif qu’il laissait sa porte ouverte à tous...

L’abbé Gruau ne faisait rien pour se protéger des calomnies, n’hésitant pas à fréquenter, avec un ami ou un protégé arabe qui sans lui n’aurait pas pu y entrer, quelques boîtes de nuit, avec délectation ! Se faisant des « copains » partout, chrétiens ou athées, y compris dans les différentes obédience de la Franc-Maçonnerie très implantée en Bourgogne. Mais aussi chez des notables et des catholiques de bon aloi : c’est aussi lui qui obtint de son évêque l’autorisation de célébrer la messe en latin avec indult pour les traditionalistes du diocèse d’Auxerre ! Et sa générosité allait jusqu’à acheter sur sa cassette personnelle des œuvres d’art pour l’une ou l’autre église qu’il desservait.

Sa charité l’amena à prendre bien des risques. On le voit gérant d’une cordonnerie minute ou d’une fabrique de cakes. Enfin on ne s’ennuie pas en lisant ces mémoires d’un vieux prêtre qui a fait beaucoup de bêtises sans doute et a le tort de ne pas sembler les regretter, mais on peut aussi beaucoup réfléchir sur la condition des prêtres plus ordinaires, notamment en cette année où on célèbre le cinquantenaire de Vatican II.

Bien le bonjour, Père Gruau, votre livre m’a passionné et je vais le faire lire à ma collègue qui vous a connu un peu mieux que moi...

                                                  Frédéric AIMARD, France Catholique


Notes

[1] Avant de faire un commentaire peut-être désobligeant, il faut savoir qu’il existe la même chose pour les maires, les conseillers généraux, les députés, etc.

[2] dont les rudiments lui ont été enseignés par le Frère Adalbert de Vogüé à La-Pierre-qui-Vire.

[3] Le journal est un peu plus explicite mais il faut bien vendre du papier et il est rare qu’une interview soit fidèle aux propos effectivement tenus

 

Maurice Gruau, Naissance d’un vieux prêtre, Métaillié, 312 pages, 21 euros