Jul, en danois, vient du mot d’origine païenne qui désignait le solstice d’hiver. Et sa prononciation est très proche de celle du mot Hjul, qui lui signifie « roue ». Eh oui, la roue tourne, et c’est la beauté et l’équilibre des choses qui n’ont ni début ni fin. Qui existent dans ce mouvement perpétuel et berçant : soleil/ombre, jour/nuit, sèves/hibernations, et tant d’autres de ces contrastes dont on craint toujours un aspect que pourtant on sait indissociable de l’ensemble.

On n’aime pas le froid, mais on a tous ce ravissement candide devant son glaçage du monde. Et qu’il est bon de « devoir se forcer », « se faire courage » pour sortir, emmitouflés au point de ressembler à une parka gonflée par des coussins, parée d’une écharpe qui voile un visage aux cils givrés et dont s’échappe une vapeur fantomatique à chaque respiration. On brave l’incertitude que nous apporte la gaucherie de l’hiver : la glace sous la neige qui trahit notre pas, le sol gelé et incrusté de branchettes, cailloux et feuilles qui nous donne la démarche trop prudente. Les mains raidies et cuites par le froid, qui changent de couleur comme des caméléons dès la proximité d’un radiateur, et puis nous font souffrir du tourment de l’onglée. Le vin chaud et ses saveurs nordiques, ou le bouillon dans lequel ramollit une biscotte. La paume froide que l’on laisse voluptueusement souffrir de la chaleur de la tasse. Les planchers mouillés, les écharpes raidies qui dégoulinent du porte-manteau, les joues écarlates des enfants qui, eux, n’ont pas dû se faire courage  pour sortir, trop excités par cette cour de récréation moelleuse et miraculeusement blanche.

Et puis bien entendu il y a ce fameux solstice recyclé en Noël, qui entrouvre la longue nuit pour capturer la splendeur d’un rayon solaire qui, de jour en jour, s’affermira, lèchera le sol d’un souffle de plus en plus tiède et vivifiant, et appellera, au cœur de la terre engourdie, les sèves et ruissellements du printemps. Noël, Jul,' cest la porte magique que l’on pousse en chantant. La nuit s’estompe, le dernier combat commence, avec le jour qui s’étend viendra le froid qui attaque en force, parce que ses heures sont comptées. Il tuera ce qui se meurt, et stimulera, de son coup de fouet gelé, ce qui n’attend que sa gifle pour se ranimer.

 

Illuminations festives - Photo AuxerreTV (D.R.)

Noël est la fête où la famille se blottit dans un seul souffle, autour de l’arbre sacrifié qui embaume de fierté pour sa parure resplendissante. Temps de manger les douceurs épicées au miel, aux noix, au gingembre, au poivre, au vin, au genévrier, au clou de girofle, aux écorces d’orange. Temps d’évoquer ceux qui ne viendront plus - mais sont oh combien là puisqu'on en parle avec un timbre différent, un regard qui voit à l'intérieur - mais dont on a gardé les phrases fétiches, les traits, les mots d’humour et même d’humeur, dans ce coffret de mémoire qu’on appelle l’amour des siens. Temps de se réjouir de ceux dont on prépare l’arrivée, ces enfants que l’on attend encore et auxquels on raconte, déjà, la saga familiale en les appelant par leur prénom.

Solstice qui rend vie à ce qu’on croyait mort mais n’était qu’assoupi. Solstice qui est la vérité du monde et des cœurs.

 

Joyeux Noël ! Glædelig Jul !

 

                                                                     Suzanne DEJAER