André Villiers le patron du département : une main de fer dans un gant de velours a remporté une victoire à la Pyrrhus (DR)

 

 

Le contraste est saisissant entre la qualité du débat en séance publique, pendant deux journées de session budgétaire, et son issue concrète, politique, sous forme de verrouillage, de clivage et de rejet de celles et ceux qui ne marchent pas le doigt sur la couture du pantalon ou de la jupe.

Plus avant, aucune des propositions d'économies formulées par les uns dans l'opposition ou les autres au sein même de la majorité départementale, n'ont été retenues. Idem pour les axes forts réclamés en matière d'accélération de l'investissement dans le haut débit ou la politique médicale dans les territoires. Ne parlons pas de la hausse de l'impôt choisie comme variable d'ajustement pour équilibrer le budget 2015. La hausse de 2,9 % du foncier bâti représente 2,1 millions d'euros. Sur sa feuille d'impôt le contribuable, lui, devra subir une hausse de 4,9% si l'on ajoute le relèvement des bases d'imposition décrété par l'État.

Il y a bien pourtant quelque chose de changé au royaume de la Pyramide place de la préfecture, ce petit pavillon qui abrite la salle des délibérations. D'abord les 42 conseillers départementaux ont été largement renouvelés et la parité a modifié complètement l'ambance de travail et les questionnements. Ensuite, les clivages ne sont plus politiques mais pragmatiques, réalistes conduits par le bons sens et l'intelligence. Il fallait les entendre ces nouveaux conseillers poser sans crainte des questions précises, pertinentes, jamais exprimées auparavant, sans jamais gober les réponses, poussant l'exécutif dans ses retranchements, qui dut, souvent, faire appel aux services pour apporter des éléments de réponses, immédiats ou différés lorsque les représentants de ces derniers ne pouvaient apporter les informations souhaitées.

 

Fini les tabous ...

Il y a ainsi des tabous qui ont sauté.

Par exemple, Philippe Serré (UMP Sens), le plus ancien élu de l'assemblée, ne put s'empêcher de le relever non sans une réelle satisfaction. La transparence, l'échange, le questionnement impertinent parfois mais toujours dans le respect de l'autre. Lui-même subitement pris d'un grand coup de jeune - ce qui montre qu'il l'est dans la tête - demanda que figurent désormais en annexe les documents précis énumérant les demandes d'aide aux propriétés privées de bâtiments historiques qui passent par la Fondation Patrimoine, délégation Bourgogne.

On y trouve l'ensemble les noms des demandeurs ainsi que des photos des bâtiments justifiant la demande de subvention. Dans la liste on relève notamment les noms de deux hommes politiques de l'Yonne. Celui du sénateur UMP Henri de Raincourt pour une dépendance à Saint-Valérien dont les travaux sont estimés à 47 241 euros. La demande de subvention est de 4 000 euros. On y trouve aussi le nom de Jean-Yves Caullet, député socialiste d'Avallon-Tonnerre, concenrant un appentis arrimé à une serre (maçonnerie et toiture) dont les travaux sont estimés à 28 678 euros. La demande de subvention est de 5 000 euros.

Cela a fait tousser les conseillers départementaux. En conséquence, sur proposition d'André Villiers, la convention entre le conseil départemental et la Fondation Patrimoine va être réécrite en partie afin d'y introduire une restriction dans la distribution des subventions. Les demandeurs qui payent l'ISF (impôt sur la fortune) ne seront plus éligibles ce qui signifie qu'il ne pourront pas prétendre bénéficier de la subvention. En attendant, le conseil départemental a voté une dotaion de 280 000 euros au budget 2015 pour ce type d'opérations.

Autre exemple, la transparence sur le "89", ce bâtiment autrefois siège du Crédit Agricole de l'Yonne en haut de l'avenue Charles-de-Gaulle à Auxerre, "la plus mauvaise affaire réalisée par le département" pour reprendre le propos du président Villiers, un gouffre financier et énergétique (450 000 euros de frais de fonctionnement annuel), 1,1 million de travaux déjà réalisés, pour un immeuble qui demeure en grande partie inoccupé. Paradoxalement, ce vestige bancaire serait l'objet d'une demande de classement par l'UNESCO au titre de "bâtiment emblématique du 20ème siècle".

Sous la présidence de Jean-Marie Rolland (2008-2011) le conseil général a racheté 4,7 millions d'euros l'édifice au Crédit Agricole qui a construit un nouvel immeuble en face. "Je ne l'aurais jamais racheté à ce prix là et je n'ai jamais compris pourquoi on l'avait acheté 1,3 millions au-dessus du prix estimé par les Domaines...", lança le président Villiers sur la sellette. Le bâtiment est actuellement occupé par 50 personnes. Il peut en accueillir 230.

- Pourquoi cette réflexion, aujourd'hui, en 2015, et pas en 2010..., interrogea Clarisse Quentin (UMP Sens)

- Nous devions y transférer une partie du personnel du fait de la vente projetée de l'immeuble du conseil général rue de l'Étang-Saint-Vigile à Auxerre (qui ne s'est finalement pas faite Ndlr), rétorqua le président.

- Il faudrait investir tout de suite 3 millions en travaux (non compris la désamiantisation éventuelle Ndlr) qui permettrait de vider d'autres lieux et de les céder le cas échéant, expliqua Christophe Bonnefond (UMP, Auxerre), président de la commission des travaux.

Valérie Leuger (UMP Auxerre) et Yves Vecten (centriste Vincelles) suggérèrent de se débarasser de cet immeuble pour l'euro symbolique à un promoteur privé, ce qui ferait économiser les lourdes charges qui pèsent sur la collectivité et celles à venir.

 

Qui connaît le musée Zervos ?

D'autres tabous furent levés en matière de politique culturelle. L'incapacité du département à se vendre et à élaborer des produits "marketing", et à "se commercialiser". Qui connaît le musée Zervos dans l'Yonne ? À peu près personne.

À ce sujet, le conservateur va être invité à présenter sa mission lors d'une prochaine commission permanente. Une conservation départementale en grande difficulté où les recollements (inventaires) ne se font plus. Idem pour le château de Maulnes, l'insigne édifice pentagonale unique au monde qui n'a reçu que 7 000 visiteurs l'an dernier.

" Jusque là, nous avons été une chambre de reconduction des crédits...", a affirmé Philippe Serré (UMP Sens), le changement d'état d'esprit constaté dans la nouvelle assemblée, devrait nous permettre d'aller de l'avant pour conduire la politique que nous voulons impulser. Ça manque de souffle. Tous s'entendirent pour dire qu'il fallait vérifier que les bons hommes étaient au bon endroit. Et Serré de conclure : "le politique doit reprendre le pas sur l'administratif ...". Aquiescement général.

Ils emboîtèrent le pas de Clarisse Quentin (UMP Sens) lorsqu'elle affirma que le marketing passait peut-être d'abord par la transmission des valeurs du riche patrimoine départemental aux jeunes, au travers des classes. Plutôt que d'aller dans les départements voisins lors des sorties, pourquoi ne pas d'abord explorer l'Yonne ?

Autre exemple de tabou qui a sauté : la non reconduction de la convention dite de sponsoring AJA qui liait le conseil départemental de l'Yonne à la société commerciale Sport Five, une enveloppe de 180 000 euros. André Villiers a traité directement avec l'AJA et son président, et fait rédiger un nouveau contrat à hauteur de 130 000 euros. En effet d'une part, la société Sport Five prenait au passage une commission de 20 % sur la subvention publique et d'autre part, le président Villiers a estimé que le logo du conseil départemental apposé sur l'épaule gauche des maillots des joueurs, c'était cher payé.

 

Bac + 32 pour comprendre le SDIS

Un long débat s'instaura sur le SDIS (service d'incendie et de secours de l'Yonne) qui ponctionne invariablement, chaque année, un peu plus les finances du département et celles des communes. D'une part, le mode de justification des augmentations requérerait d'avoir bac + 32 estima un conseiller et d'autre part personne ne comprend le mode de ventilation de la répartition des contributions. La fourchette varie en effet, selon les communes, de 17 euros par habitant à 76 euros par habitant.

Il y eu aussi d'âpres discussions sur les chapitres du budget alloué au sport, masse, élite, clubs, comités. "On baisse de 75 000 euros la subvention aux 600 clubs de l'Yonne dont certains sont en difficulté, pour une seule manifestation (le passage du Tour de l'Avenir 90 000 euros baissé à 60 000, Ndlr). Admettons, mais alors il faut faire la communication qui va avec", interpella Clarisse Quentin (UMP Sens). 

La communication au sens large, sous toutes ses formes à commencer par la communication politique, fut, au fil des dossiers, un thème récurrent. Pas suffisante, voire inexistente, ni parfois pertinente, nombre de conseillers départementaux nouveaux souhaitent qu'elle soit largement développée et transparente (1 116 500 € au titre de la communication externe ont été voté, Ndlr). La revue mensuelle du CD 89, Au Fil de l'Yonne, est jugée trop institutionnelle et sans dynamisme.

Sur de nombreux dossiers, apparurent des votes contre, et des abstentions, sans jamais cependant mettre en péril la majorité des suffrages. Même si le coup passa près parfois. Voilà qui démontre bien qu'il n'y avait pas de volonté politique de nuire mais au contraire des conseillers désireux d'en savoir plus et de comprendre les dossiers, leurs tenants et aboutissants.

C'est un véritable souffle nouveau qui a gagné l'assemblée départementale, impulsé lors du débat d'orientation budgétaire. Les femmes conseillers départementaux au nombre de 21 y sont pour une bonne part. Elles ont une autre manière, plus directe, plus précise et pragmatique d'aborder les questions. Mais aussi les hommes nouveaux, de quelque bord soient-ils. Et une jeunesse, un rajeunissement, une nouvelle génération en marche.

 

L'habileté de Villiers

Il faut dire aussi que le président André Villiers a mené les débats, avec maîtrise et habileté. Son esprit d'ouverture fut permanent dans le respect des uns et des autres. Il parla beaucoup pour expliquer et transmettre ses connaissances aux nouveaux élus, jouant le rôle de transmission qui n'est pas évident, avec un maximum d'objectivité. Il accueillit toutes les propositions diverses les faisant le plus souvent siennes, les partageant, oecuménique, assurant au passage la promotion du latin (dont l'enseignement est menacé et c'est bien dommage Ndlr) en multipliant les citations latines parfois reprises par des membres de l'assemblée pour les lui renvoyer.

Mais le Morvandiau, au final, ne dérogea jamais de son projet de budget écrit dans le marbre, sinon une fois pour reventiler une ligne avec la bénédiction de sa direction générale flanquée derrière lui à la tribune, venant lui murmurer souvent de petites phrases au creux de l'oreille.

Villiers, une main de fer dans un gant de velours.

Le contraste oui est saisissant entre la théâtralisation du débat et son efficacité. À quoi sert donc la concertation, l'échange, si rien n'est partagé au final ? Ou si une synthèse n'est pas établie qui tienne compte des observations et propositions des uns et des autres ?

Tout ça pour ça. Et on repart comme en 40, avec les mêmes ... on ne change pas une équipe qui gagne dit-on. Ils sont tous là, contents, aux manettes. On a même entrevu le fantôme d'Alain Drouhin (UDI, Bléneau) plâner sur les débats. L'homme est encore bien vivant. Il est même annoncé pour prendre la direction du cabinet croupion du président. D'ici à ce qu'il fasse son retour à Domanys qu'il a conduit dans le décor par une gestion calamiteuse, il y a un pas qu'on ne franchira pas. Mais sait-on jamais, on en voit tellement en politique où les morts d'un jour peuvent ressusciter le lendemain et même dix ans plus tard. Et puis les hommes ou femmes liges, cela a existé de tout temps.

 

La loi du plus fort

Convivial, maquignon, fidèle, sous des dehors d'ouverture empreint d'humanisme, André Villiers a triomphé en étant réelu à la présidence du conseil départemental de l'Yonne après avoir vécu bien des épreuves et avanies. Elles l'ont incontestablement marqué. Il a montré son vrai visage. Il écoute tout le monde mais n'en fait qu'à sa tête. Fort du soutien de Guillaume Larrivé en coulisses, fort d'une courte majorité de 24 voix sur 42, il a imposé sa loi, celle du plus fort, dans une assemblée renouvelée qui a éclairé les débats.

Tant de matière grise et de compétences rejetées dans les ténèbres, c'est finalement assez drôle. Mais faut-il en rire ? L'éviction de Jean-Baptiste Lemoyne son sparring partner à la présidence, de la présidence de DOMANYS le bailleur social qu'il a contribué à assainir alors que personne ne voulait y aller après le désastre, apparaît, objectivement, comme une mesure de répression et une forme de vengeance, au-delà de la logique politique. Villiers sait qu'il a commis une faute. Mais l'ancien enfant de coeur saura aussi s'en exonérer en récitant ses actes de contrition pour laver sa culpabilité. Des pater noster et des je vous salue Marie. En latin.

D'un mot, on prend les mêmes et on recommence (certains se placent) ... sans véritable politique structurante sinon lever l'impôt. En somme tout change mais rien ne change.


Pierre-Jules GAYE

 

 

 

 

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Délégués élus de conseil départemental au conseil d'administration de DOMANYS

Ont été élus Patrick Gendraud, Marie-Laure Capitain, Alexandre Bouchier, Malika Ounès, Sonia Patouret et Pascal Henriat. Le futur président de DOMANYS, successeur d'Alain Drouhin UDI "démissionné" pour sa mauvais gestion et Jean-Baptiste Lemoyne UMP, figure parmi ces noms.