Les procès de Martin Guerre, de Frank Cossa

 

Le “New 42nd Street Theatre” à New York (dans la 42nd St West) est le fruit d’une association sans but lucratif née du désir d’amener du passage et de la culture dans cette partie de Manhattan, à deux pas de Port Authority, la gigantesque gare des bus. Un quartier très populaire et multi-ethnique. C’est là que j’ai vu une pièce de Frank Cossa mise en scène par un ami, Mark Bloom. Attirée par le sujet : Les procès de Martin Guerre. Une salle très petite et très pentue, dont les courtes rangées de sièges inconfortables plongeaient en piqué sur la scène. Une scène qui ne cachait aucun détail, dont les voix jaillissaient claires et sans besoin de les porter au loin dans un souffle qui parfois enlève de la vérité au dialogue. Le moindre vibrato de gorge nous arrivait et palpitait, porteur d’émotion. Une fois la pièce terminée… qu’il fut agréable de fêter la première avec le metteur en scène et deux acteurs de la troupe au coin de la rue…

En Italie, gloire au petit théâtre avec Barrelhouse Song, une pièce sur Billie Holiday où les spectateurs faisaient partie du décor : en effet on était assis autour de barriques dans ce qui était le Barrelhouse, et après chaque acte la troupe venait nous inviter à danser ou les filles de joie venaient langoureusement s’asseoir sur les genoux d’heureux messieurs…

Billie Holiday

Dans un autre petit théâtre européen, bien plus tard, j’ai eu la joie de comprendre à nouveau combien le petit est souvent un plus.  J’assistais à La reine de beauté de Leenane, une pièce irlandaise que l’exiguïté des lieux rendait encore plus profondément dure. La relation toxique entre une fille vieillissante manipulée par une mère qui n’a fait qu’une bouchée de tous ses rêves en jouant la carte (un as incontestable...) de la maladie et de la dépendance, était, dans ce huis-clos vu de très près, presque hypnotisant. La misère, les odeurs rustiques, la méchanceté constante même dans les affirmations d’affection, on les vivait comme des voyeurs-renifleurs, on n’en perdait pas une once de médiocrité. Et puis, une fois le rideau retombé, comme souvent dans ces petits théâtres où l’Art côtoie le sans-façons, on pouvait avec bonheur féliciter les acteurs en attendant sa bière au comptoir, les reconnaître malgré leur tenue « de ville » et savourer le plaisir de la proximité, une proximité vraie, et non pas déjà le rideau de verre qui sépare la vedette de son admirateur.

La reine de beauté de Leenane

Un autre encore, tout aussi petit, avec de vieux strapontins raides et trop rapprochés, et un piqué plongeant vers une scène admirablement décorée, où j’ai vu « Molière » par le Théâtre du gai-savoir, une pièce interactive. Eh oui ! Un des acteurs est également celui qui s’adresse au public, pose les questions et organise même un vote en fin de parcours pour savoir quel dernier acte on jouera. Car tout repose ici sur la controverse « Corneille-Molière ». Corneille était plus âgé que Molière de 16 ans, aussi les présenter comme contemporains, si c’est exact, est ne pas tenir compte de cet écart dans leurs âges, qui fait de l’un le grand aîné de l’autre. Or, lorsque Molière revient du sud de la France, son écriture a peu changé il est vrai mais le style est différent. Des farces lourdes et à la limite du vulgaire dont on a trace pour sa période méridionale, il passe, de retour à Paris, à ses célèbres comédies subtiles. Or, entre le midi et Paris, il a fait une halte de 6 mois chez... le bon Corneille, et nul n’en sait la raison. La polémique fait rage et continuera à jamais, à moins qu’un document ne se fasse miraculeusement jour. Mais ici, avec la troupe du Gai-savoir, devant adultes ou étudiants, on interprétait avec grand bonheur des passages de Corneille, suivis de passages de Molière, on en soulignait les similitudes ou écarts, on situait dans le temps, dans le contexte, et le vote était demandé : à votre avis, est-ce Corneille ou Molière qui a écrit l’œuvre connue de Molière. Et selon le résultat, le dernier acte serait l’un ou l’autre. Et quoi de plus appréciable, dans un échange aussi nécessaire avec le public, que l’intimité d’une petite salle, dont le public est venu pour son plaisir et non pas pour être vu prenant du plaisir d’une manière distinguée ? Et là aussi… la bière que l’on boit dans le petit bar attenant et les mots que l’on échange avec les acteurs qui, eux aussi, se rafraichissent et font le compte des sourires qu’on leur donne mieux que l’argent qu’ils ont peut-être fait.

Molière

Ne boudez pas les petits théâtres, les amateurs, les semi-professionnels. Ne les boudez pas car c’est là que vous trouverez des gens qui font « ça » par passion, et pas pour que leur nom s’auréole et fasse dresser l’oreille. La passion, on le sait, transmet merveilleusement, a le don du partage. Et la proximité est un véritable accueil.

 

                                                            Suzanne DEJAER