Manuscrit de La Treille muscate (coll. (coll. part)          Aquarelle d'André Dunoyer de Segonzac, Colette vendangeuse, 1929 (coll.part)  

 



 

Cette exposition témoigne de l’importance dans l’oeuvre de Colette (1873-1954) des années qu’elle passa à la Treille muscate et combien sa passion pour Saint-Tropez marqua définitivement sa vie et la littérature. L’exposition évoque les fréquents séjours de l’écrivain dans sa maison tropézienne.

Ces années (1925-1939) correspondent également à celles de l’apogée littéraire de Colette, celles de son dernier amour, celles de nouvelles amitiés avec notamment les peintres de Saint-Tropez. Durant cette période de sa vie, Colette connaît des relations apaisées avec sa fille et crée sa propre marque de cosmétiques. À travers le regard de l’écrivain et de ses amis peintres, c’est également le Saint-Tropez d’avant-guerre qui est ici restitué.

Frédéric Vitoux, de l'Académie française, parraine l'exposition, présentée du 22 août au 20 septembre dans la salle Jean-Despas, sur la place des Lices. Cet évènement a été réalisé en partenariat avec la mairie de Saint-Tropez par Bernard Clavreuil, libraire-expert parisien spécialisé dans les ouvrages anciens, collectionneur de l'oeuvre de l'écrivain et qui possède une propriété à Ramatuelle ; Françoise Duvernier, conservateur honoraire de la bibliothèque d’Auxerre ; et Gilles Puech, scénographe.

Cette équipe a déjà réalisé deux importantes expositions sur l’écrivain : « J’appartiens à un pays que j’ai quitté », présentée en 2004 à l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre, et « … je vais écrire encore il n’y a pas d’autre sort pour moi », présentée à Auxerre en 2011 et au musée Richard-Anacréon de Granville en 2012.

De nombreuses pièces exposées à Saint-Tropez proviennent de la collection de Bernard Clavreuil, mais le musée de l’Annonciade et les archives municipales de Saint-Tropez, le Centre d’Etudes Colette et le musée Colette de Saint-Sauveur-en-Puisaye, ainsi que Foulques de Jouvenel, Frédéric Maget, président de la société des Amis de Colette, et d'autres collectionneurs privés ont exceptionnellement prêté des oeuvres pour l’occasion. Au total, ce sont prés de 200 lettres,
photographies, manuscrits, tableaux, éditions rares, objets qui sont présentés.

 

La treille muscate

 

 

C’est en 1925 que Colette achète la Treille muscate. Elle est tombée amoureuse de ce pays en même temps que de son dernier mari, Maurice Goudeket (1889-1977). « Vous adorez la Bretagne, vous aimerez désormais le Midi », lui prédit-il. Une des premières décisions de l’écrivain, en achetant cette maison qui donne sur la mer, sera de changer son nom. Elle trouve que Villa Tamaris-les-Bains ressemble trop à un nom de gare !

Colette fait installer l’électricité à la Treille muscate en 1927 et entreprend des travaux pendant l’été 1928. De 1929 à 1939, bien installée, elle va venir pratiquement tous les étés se ressourcer à Saint-Tropez. Le peintre Dunoyer de Segonzac a raconté une journée habituelle de Colette à la Treille muscate : au petit matin, elle travaillait dans son jardin ; à midi, elle se baignait avec ses amis sur la plage des Salins ; après le déjeuner sur la terrasse, Colette faisait la sieste ; l’après-midi était consacrée à l’écriture ; la journée se terminait avec des amis sur le port.

À partir de 1930, l’écrivain se plaint de la fréquentation du petit port. « Tout Paris est ici », regrette-t-elle. Elle fait partie des célébrités qu’on vient voir et une carte postale de sa maison est éditée, sans son accord. Le 5 septembre 1931, c’est ici qu’elle se fracture le péroné. Dès lors, elle ne pourra plus supporter d’autres chaussures que les fameuses sandales. À New York, ses pieds nus dans ses tropéziennes feront sensation. En juin 1939, Colette cède sa maison à l’acteur Charles
Vanel. « C’est vendu, mal vendu », confie-t-elle. L’acteur se séparera rapidement de la maison.
Le Saint-Tropez de Colette et la vie simple qu’elle y menait vivent à jamais dans les pages de La Naissance du jour, Bella Vista ou La Treille muscate.

 

La gloire littéraire

 

Colette a plus de 50 ans quand elle achète la Treille muscate. La jeune femme qui faisait scandale est devenue un écrivain respecté. En 1920, elle a été décorée de la Légion d’honneur, promue officier en 1928 par le président Edouard Herriot. En 1925, une plaque a été apposée sur sa maison natale à Saint-Sauveur-en-Puisaye.

Au grand public qu’elle avait conquis avec ses Claudine, s’ajoute désormais la reconnaissance de la critique et de ses pairs subjugués par La Maison de
Claudine et Le Blé en herbe.
La période qui s’ouvre, lorsqu’elle achète la Treille muscate, est particulièrement féconde. À Saint-Tropez, elle va écrire en partie La Naissance du jour, La Seconde, Prisons et paradis, Duo.
« Quel métier de forçat de s’enfermer ici quinze heures par jour, alors qu’il fait si bon dehors ! », avoue-t-elle à ses amis. En 1932, elle consacre un livre à sa nouvelle maison (au total, Colette confiera avoir eu 14 maisons) dont les illustrations de son ami le peintre Dunoyer de Segonzac
seront gravées sur place.

Sido, La Chatte, Le Pur et l’impur sont autant de chefs-d’oeuvre qui vont achever de faire de Colette un des plus grands écrivains français. Jusqu’à sa mort, en 1954, elle est couverte d’honneurs : commandeur de la Légion d’honneur en 1936, élection à l’Académie royale de langue et de littérature belge en 1935, présidente de l’académie Goncourt en 1949, diplômée du National Institute of arts and letters en 1953.

 

Autour de Colette

 

Photographie à la terrasse de Senequier. On reconnait Maurice Goudeket, Jean Cocteau, Colette, Joseph Kessel, Jean Marais et Serge Lifar (coll. part).

 

C’est Maurice Goudeket, dernier amour de Colette, qui va lui faire quitter Rozven et la Bretagne pour la côte varoise. « Une femme se déclare d’autant de pays natals qu’elle a d’amours heureux », écrit Colette dans La Naissance du jour. Maurice Goudeket est un bel homme de 36 ans, issu de la bourgeoisie juive, libérale et intellectuelle lorsqu’il rencontre à l’hôtel du Cap-d’Ail l’écrivain, alors âgée de 52 ans. Les circonstances conduiront Maurice Goudeket à ramener Colette à Paris dans son automobile. Ils tomberont amoureux et se marieront en 1935.

À Saint-Tropez, le couple fréquente les peintres et les écrivains qui passent l’été dans le petit port de pêche. Dés 1928, elle se lie d’une profonde amitié avec Dunoyer de Segonzac. Le « Grand Dédé », aquarelliste, peintre et graveur, illustrera avec talent La Treille muscate, un des plus beaux livres illustrés de l'époque. Elle rebaptise le peintre Luc- Albert Moreau, « le Toutounet » et Hélène Jourdan -Morhange, sa compagne violoniste « Moune ». Colette voit aussi régulièrement les poètes Paul Géraldy et Léon-Paul Fargue, l’écrivain Joseph Kessel, le critique Régis Gignoux et sa compagne, l’actrice, Thérése Dorny. Sur la plage des Salins, Colette et Segonzac retrouvent Louis Jouvet, Pierre Renoir et Valentine Tessier. Dans le jardin ou sur la terrasse, le petit cercle se retrouve autour d’un
« poisson au coup de pied ».

Sur le port, elle rejoint Jean Cocteau et Jean Marais à la terrasse de Senequier. Marc Allegret, le réalisateur, Jean-Pierre Aumont et Simone Simon, les comédiens, viennent lui rendre visite et travailler avec elle. Dés 1930, la présence des célébrités et l’afflux de touristes lassent Colette qui aura pourtant par ses écrits beaucoup contribué à la légende tropézienne.
La fille de Colette, Bel-Gazou, fera de fréquents séjours à la Treille muscate. Elle a 13 ans en 1926 et participe lors de son premier été à Saint-Tropez aux travaux
d’aménagement et aux tâches domestiques. Elle nage avec sa mère, plage des Cannebiers.
C’est à la Treille muscate, en 1935, que Colette de Jouvenel présente à sa mère son époux, dont elle se séparera au bout de quelques semaines.

L'institut de beauté

 

 

En 1932, avec l’aide de son mari Maurice Goudeket, Colette se lance dans les affaires. Elle décide de fabriquer et de vendre elle-même des produits pour la beauté portant son nom. Non seulement elle s’implique dans le processus de fabrication, mais elle rédige les textes publicitaires, supervise le packaging. En juin, elle ouvre un institut de beauté à Paris et en août, un autre sur le port de Saint-Tropez. Tous les après-midi, elle maquille ses
clientes.
En fait, cette aventure ne durera pas plus d’un an. Colette est épuisée par ses tournées de démonstrations en province et comprend vite qu’on venait davantage voir l’écrivain que l’esthéticienne.

 


Coffret de produits de maquillage. Emboîtage réalisé par
Jules Nadot (coll.part)

 

Colette dans le texte


« Il a fallu pour la trouver, que je me détachasse, du petit port méditerranéen, des maisons plates, peintes en rose bonbon fané, bleu lavande, vert tailleur des rues où flotte l’odeur du melon éventré, du nougat et des oursins.« I »

« Deux hectares, vigne, orangers, figuiers à fruits verts, figuiers à fruits noirs. Quand j’aurai dit que l’ail, le piment, et l’aubergine comblent, entre les ceps, les sillons de la vigne, n’aurais-je pas tout dit ? »

« C’est la mer qui m’a appelée ici. Ici, je suis libre maintenant de vivre, si je veux, de mourir, si je peux… Nous n’en sommes pas là encore. Je ne fais que d’arriver et
d’acquérir. »

« Il n’est de départs que vers le soleil. Il n’est de voyage qu’au-devant d’une lumière accrue ; c’est avoir obtenu de la vieillesse le seul répit qu’elle puisse donner, que de s’arrêter — encore un instant, encore un instant — sous un ciel où le temps, suspendu et rêveur au haut d’un azur immobile, nous oublie… »

La Treille muscate
« Est-ce ma dernière maison, celle qui me verra fidèle, celle que je n’abandonnerai plus ? Elle est si ordinaire qu’elle ne peut pas connaître de rivales. »

La Naissance du jour.
« Comme le dit l’homme sage et de peu de paroles qui fait des sandales à Saint-Tropez : “Il y a autant de travail et de réflexion sur des sandales pour l’âge de six ans que pour des sandales pour l’âge de quarante. ” »

« Jusqu’à ce que j’ai éprouvé moi-même que le beau temps est une autre chimère et un autre épuisement, la région de Saint-Tropez m’a donné tout ce que je lui demandais de quotidiennes magnificences. »

Bella-Vista
« En t’écrivant je pose pour Segonzac qui a besoin de ma grosse personne pour des eaux-fortes. Ce grand peintre est un si charmant ami. » Lettre à Hélène Picard, été 1928.

« L’été de Provence est vraiment le plus léger, le plus clément. (…) Cet été nous n’aurons pas eu un moment de trouble dans le beau temps, l’été dernier non plus. La terre ici est habituée à ces sècheresses longues. Une singularité d’orientation peut-être veut que midi soit l’heure - à l’ombre - la plus fraîche du jour. » Lettre à Marguerite Moreno, le 27 août 1928.

« Je fuis avec soin le port, où tout Paris et tout Montparnasse sévissent… être arrêtée si je vais « en ville », par tous ceux qu’à Paris j’évite, et costumés en planteurs mexicains, en bateleuses, en mousses pour bateau de fleurs. » Lettre à Marguerite Moreno, 1930

« J’ai une envie terrible de Bretagne et de marées. Si nous en trouvons l’occasion nous dirons adieu à la Treille muscate, et je nous cherche un coin de mer vivante. Ne me donnes-tu pas raison ? Après 14 ans de vacances méridionales, pourquoi ne pas retourner à la côte qui sent bon l’iode ? » Lettre à Christiane Mendelys, 5 juillet 1938