QUAND LE MONDE ÉVOQUE LE CORBEAU DE VENOY ET LE RACISME ORDINAIRE DANS LA VILLE D'AUXERRE

 

Une chronique du Monde en date du 23 décembre 2017 est passée inaperçue pour certains.

Elle vaut son pesant car elle met en lumière la victime, une femme, issue de la différence, qui a réussi, Souad Aoumani, patronne d'Alliance Form' qui a fermé ses portes à l'automne, à Monéteau.

Une femme visée, jalousée, salie, diffamée. Une femme qui incarne les quartiers symbolisant la courte défaite de la droite aux municipales à Auxerre, une défaite jamais digérée. Par une droite revancharde.

L'affaire est loin d'être terminée sur le plan judiciaire, sur le plan politique, sur le plan humain.

Des rebondissements sont prévisibles.

AUXERRE TV poursuit son enquête depuis le 12 décembre où le corbeau - ils sont plusieurs et volent en escadrille sous le direction d'un chef - a sévi par une lettre anonyme déposée sur le bureau des conseillers communautaires de l'agglomération de l'Auxerrois, dans la salle des fêtes de Venoy.

De nombreux témoignages ont été reccueillis. Les pistes convergent.

Le fond est politique mais surtout d'une rare bêtise crasse, ignorance et immoralité.

 

P-J. G.


LA CHRONIQUE DU MONDE ICI

 

 

« Avec sa comparse la rumeur, le corbeau est passé sans souci de la boîte aux lettres à Facebook »


Plus l’époque est sombre, plus le corbeau, ce charognard, se délecte et pullule, déplore dans sa chronique Benoît Hopquin, directeur adjoint de la rédaction du « Monde ». Illustration dans une ville ordinaire, ni pire ni meilleure qu’une autre : Auxerre.


Chronique. Il est un animal qui hante l’imaginaire français : le corbeau. Ah, la sale bête ! Perfide, insinuante, machiavélique. Funèbre créature, issue de la nuit la plus noire de l’âme humaine. Nulle vilenie, nul outrage, nulle humiliation ne lui répugnent. Elle croasse, caquette, cancane tout à la fois, n’en déplaise aux ornithologues. Avec sa comparse la rumeur, cette bestiole propage ses ignominies avec un seul principe : salissez, salissez, il en restera toujours quelque chose. Maître corbeau, ce fin renard, sait bien que tout détracteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. Et croit son croa. Ce benêt ou ce complotiste qui pensera forcément qu’« il n’y a pas de fumée sans feu ».
L’oiseau de malheur est lâche par nature et par vocation. Il agit de manière clandestine, fait de la foule un bouclier humain à sa couardise. Il sait bien que cet anonymat décuple sa nocivité. Outre le dommage personnel qu’il cause à sa victime désignée, il instille la suspicion collective. Qui se cache derrière cette avanie ? Celui-ci ? Celui-là ? Ou cet autre ? Tout le monde devient suspect, tout le monde a une idée de la chose. Double bénéfice, double délice, pour cet esprit destructeur.

LE DARWINIEN VOLATILE EST PASSÉ DE LA MAIN GANTÉE QUI MET SA MISSIVE DANS LA FENTE AU DOIGT INVISIBLE QUI APPUIE SUR LA TOUCHE « ENVOI »

Le corbeau sème à tout-va ses mots cruels, acérés. Il écrit au voisin, au juge, au maire, aux médias, à la Kommandantur, peu lui importe. Plus l’époque est sombre, plus le charognard se délecte et pullule. Il sait s’adapter, le darwinien volatile, renaître tel le Phénix, pour survivre aux temps. Il a muté de l’imprimerie au numérique, de la lettre bancale découpée dans le journal au moderne clavier d’ordinateur. Il est passé sans souci de la boîte aux lettres à Facebook, de la main gantée qui met sa missive dans la fente au doigt invisible qui appuie sur la touche « Envoi ». Avec toujours le même but, la même mission sacrée : nuire, nuire à tout prix. Ah la sale bête, vraiment !

Tiens, prenons un exemple parmi mille, dans une ville ordinaire, ni pire ni meilleure qu’une autre, qu’on appellera Auxerre.

A Auxerre, vit Souad Aouami. Intéressante habitante, instructive citoyenne que cette femme de 36 ans. Un bel exemple d’ascension sociale qui contredit les clichés sur l’immigration et la République, qui raconte la possible concorde de ces deux univers que d’aucuns prétendent irréconciliables.


LA RÉUSSITE SOCIALE DE SOUAD AOUAMI NE POUVAIT QU’AGACER TOUTES BÊTES À PLUMES ET À FIEL


Née au Maroc en 1981, orpheline de son père à 1 an, Souad Aouami arrive en 1983 dans le sud de la France, avec sa mère, qui vit de ménages. La famille s’installe à Auxerre en 1998. Nantie d’un diplôme d’éducation physique, la jeune fille devient professeure de fitness. Elle fait un beau mariage avec le fils d’une grande famille de Chablis et devient Souad Aouami-Savary. Le couple lance en 2010 sa société, ouvre une puis deux salles de sport dans la région qui font aussitôt le plein. Repérée par le maire d’Auxerre, Guy Férez, pour son travail associatif et son utile entregent dans les quartiers populaires, Souad Aouami devient conseillère municipale en 2008, puis deuxième adjointe en 2014.

 
L’heure de la vengeance

  
La voilà notable auxerroise, la gamine du Rif, à peine entrée dans la trentaine. Belle maison, belles voitures, multiples photos tout sourire dans L’Yonne républicaine. Trop d’assurance, trop d’ambition, trop de bonne fortune étalée, au goût de certains. Cette réussite sociale, en son insolence, ne pouvait qu’agacer toutes bêtes à plumes et à fiel. Le corbeau se tait pour l’heure. Il n’aura guère à patienter. Plusieurs salles de sport éclosent dans les environs et cassent les prix. La concurrence est impitoyable. Le 21 novembre dernier, l’entreprise dépose son bilan.
Pour la vile faune, sonne enfin l’heure de la vengeance. Le 12 décembre, jour de réunion à la communauté d’agglomération de l’Auxerrois, chaque élu trouve à sa place une lettre de quatre pages. Une longue prose modestement laissée sans signature. Le pudique corbeau accuse Souad « Ouami » (sic) d’avoir profité indûment de fonds publics. Croa ! La jeune femme aurait en outre commis des malversations financières. Croa ! Le maire d’Auxerre aurait aidé son adjointe, en lui votant des subventions. Croa !

 
LE NOM D’UN DES MAIRES PRÉSENTS À LA RÉUNION CIRCULE SOUS LE MANTEAU ET SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX

  
Les allégations de l’intrépide dénonciateur ont été démenties publiquement par Guy Férez et Souad Aouami. Mais, qu’importe, au fond, qu’elles comportent ou pas une part, fût-ce une once de vérité. Reste la méthode qui disqualifie toute discussion de fond. Elle a été condamnée par une partie de l’opposition municipale, notamment sur le site d’Auxerre TV.

Ces nobles esprits auront, eux, le courage de donner leur nom, pour dénoncer cette attaque venue de leur camp. « C’est à vomir », résume avec un certain art de la synthèse l’un d’eux.

  
Ragot contre ragot

 
A Auxerre, chacun sait ou croit savoir qui est le délateur. Le nom d’un des maires présents à la réunion circule sous le manteau et sur les réseaux sociaux. Ragot contre ragot, on reste dans la corbellerie, dans la sournoiserie. Quel qu’il soit, l’auteur peut être rassuré : ses mots ont fait mouche. « Je suis anéantie », explique Souad Aouami. Celle qui dit avoir été une fois, une seule fois dans sa vie, traitée de « sale bougnoule » a appris qu’il existe quelque chose de bien pire que ce racisme sans fard. Que la bêtise au front de taureau dénoncée par Baudelaire n’est rien auprès de la perfidie à bec de corbeau. Qu’un nom d’oiseau hurlé est moins blessant que l’incognito d’un glaçant poulet. « J’occultais les jalousies que je suscitais, comprend aujourd’hui la victime, revenue de son irénisme. J’incarne tout ce que certains n’aiment pas : une jeune, issue de la diversité, qui réussit. Je découvre qu’avant tout ça, je vivais dans un monde parallèle. »
Cette histoire exemplaire, à la fois récente et éternelle, se passait donc à Auxerre. Mais on a envie d’ajouter, paraphrasant Henri-Georges Clouzot pour situer le Saint-Robin de son film « Le Corbeau », « une petite ville, ici ou ailleurs ».

 

Benoît HOPQUIN,

Directeur adjoint de la rédaction du « Monde »

Chronique du 23 décembre 2017