Franchement, on ne misait pas gros sur cette conférence débat rive droite à Auxerre, dans le contexte des événements en France, qui affectent forcément tout le monde. De surcroît, ce décembre débutant pluvieux, gris et triste, n'incitait pas à sortir du foyer, pour ceux qui ont la chance d'en avoir un.

Que nenni ma foi dirait le Franc-Comtois ! Qui fait partie de la Bourgogne.

La salle était vide une demi-heure avant le début, qui s'est soudain remplie comme jamais, à la Maison de Quartier rive droite à Auxerre.

L'affiche était belle même si elle pouvait en rebuter certains.

Le Vivre ensemble, les conditions du Vivre ensemble en France, la laïcité clé de voûte, ne sont pas précisément une thématique star prisée. Et d'autant moins, ou plus, qu'elle est obscure et sujette à bien des disputes.

La première observation est celle des membres de l'assemblée, concentrés, à l'écoute, immobiles, du début à la fin, pendant plus de 2h30.

On en a vu des conférences débat, celle-là est à mettre en exergue, ne demandez pas pourquoi.

Certes le conférencier en premier, Henri Pena-Ruiz, docteur en philosophie, écrivain Prix de la Laïcité 2014, aussi Maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris, a livré une contribution de qualité maîtrisée qui a captivé l'assemblée.

L'homme est entier, Michel Morineau son ami en a sans doute fait l'expérience une fois de plus.  Il est entier dans ce qu'il dit. La cohérence est totale et cela plaît toujours, même s'il a cru devoir non sans tendresse, mettre en avant d'entrée, sa liaison espagnole, ses racines qu'il recherche sans doute encore. Ce n'est pas une sincérité, c'est au-delà et autre chose. D'authentique

En outre la qualité de son propos, fondée d'emblée sur l'induction et non sur la déduction classique au pays de Descartes, fut éminemment pédagogique. Rarement a-t-on eu l'impression d'aussi bien comprendre les méandres sulfureux de la laïcité pourtant si limpide et tellement complexe que personne ne comprend vraiment ce qu'elle signifie.

Se fondant sur Rousseau et le droit naturel des humains à disposer d'eux-mêmes, ainsi que sur les exemples vivants et d'actualité, il a demêlé la pelote pour la faire comprendre, la laïcité. Ce fut limpide et renversant. D'autant qu'il a exploité l'actualité des violences faites aux femmes sans trop s'écarter en dehors de l'hexagone où le quotidien violent suffit car il rayonne.

 

L'école émancipatrice

 

Le temps fort fut l'école.

Au-delà de la séparation des églises et de l'État et la fameuse loi adoptée le 9 décembre 1905 à l'initiative du député républicain-socialiste Aristide Briand, qui prend parti en faveur d'une laïcité sans excès.

La liberté de conscience, d'un côté, l'État et ses missions d'intérêt public de l'autre. Deux sphères à bien distinguer. Le droit de croire en un dieu à condition de ne pas emmerder les autres et vouloir imposer cette croyance dans la sphère étatique.

Ces missions parlons-en.

L'école : une autre vie, une nouvelle vie, une deuxième, pour les enfants, nouvelle séquence d'une vie familiale.

L'école émancipatrice, dont l'objet est de sortir l'élève (élever) de sa condition sphère privée, en lui apprenant à penser par lui-même et à sortir des préjugés. En regardant autrement le monde pour grandir et s'élargir, découvrir. En dehors de sa sphère privée, religieuse.

D'où, l'absence préconisée (ou l'interdiction) de signes distinctifs sur son corps.

Michel Morineau, ancien adjoint à la culture à Auxerre, fondateur des Cercles Condorcet de Paris et d'Auxerre, et ancien secrétaire général de la Ligue de l'Enseignement, compléta de manière pragmatique le questionnement sur le Vivre Ensemble. Il en énuméra les conditions sinon les axes pour conclure sur l'espace politique qui doit préempter. Autrement dit la question de la culture politique est au premier plan.

S'en suivit un débat qui immanquablement s'interrogea sur le projet de modification par Macron de la fameuse loi et qui nourrit des inquiétudes.

Il vira sur l'Alsace-Moselle (*) et son statut d'exception à part - l'État paye les salaires des prêtres et autres frais... - provoquant quelques disputes de fond récurrentes. Révélatrives des structures mentales des uns et des autres, le degré de rigidité variant étonnamment parfois d'une phrase à l'autre parfois déstabilisatrice.

Le principe de réalité peut-il, doit-il, s'imposer au droit et à la philosophie ...?

Quelles sont les limites de la bienveillance ? Jusqu'où est-il possible de composer ...? Faut-il absolument au nom des principes ajouter le "bordel au bordel" ...?

Il reste que la laïcité subit les conséquences des attaques contre l'Etat et recule sous les feux croisés de ses adversaires.

La paix laïque, là où elle a pu advenir, a quelque chose d'exemplaire. Tout le monde l'a bien compris. Jurisprudence Clémenceau bien expliquée oblige. Clémenceau exigeait de ses ministres qu'ils n'aillent pas à l'église ès qualité. Mais ils pouvaient se fondre parmi les fidèles en tant que citoyens croyants.

Le préfet de l'Yonne organise en ce mois de décembre une messe en l'église Saint-Eusèbe à Auxerre pour les policiers. D'aucuns parmi l'assemblée estiment que c'est une insulte à la République. Il n'a pparatient pas au représentant de l'État dans le département d'agir de la sorte ès qualité.

 

Pierre-Jules GAYE

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(*) En Alsace et en Moselle le régime concordataire est toujours en vigueur : un avis du Conseil d’État du 24 janvier 1925 déclare que la loi du 18 germinal an X est toujours en vigueur. En effet, la loi de séparation des Églises et de l'État de 1905, mettant fin au concordat de 1801, a été votée alors que ces régions étaient rattachées à l’Allemagne (à la suite de la défaite de janvier 1871).

Concrètement, la loi de séparation de 1905 n’est pas appliquée en Alsace-Moselle et les quatre cultes catholique, luthérien, réformé et juif y bénéficient d’un statut officiel. Prêtres et laïcs en mission, pasteurs et rabbins y sont rémunérés par l’État.

Les évêques de Strasbourg et Metz sont nommés par le chef de l’État.

De fait, l’Élysée suit désormais le souhait du Saint-Siège. Le président de l’Église protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine (EPCAAL), dont le nom est proposé par un vote du consistoire supérieur de cette Église, est lui aussi nommé par l’État. Les membres laïcs élus des consistoires israélites des trois départements doivent avoir l’agrément du Premier ministre.

 


Henri Pena-Ruiz (DR)

 

Video intégrale en ligne mercredi (DR)

 

Henri Pena-Ruiz à gauche et Michel Morineau, les intervenants (DR)