FIGURES
Jules Renard, Claude Tillier et les autres
le mercredi 14 avril 2010, 21:21 - FIGURES - Lien permanent
Retour sur une chronique de septembre 2002
![]() Les Clamecycois viennent de rendre hommage à Claude Tillier à l’occasion de la commémoration du bicentenaire de la naissance de l’auteur de « Mon oncle Benjamin » en organisant un colloque consacré au polémiste que fut aussi le romancier. « Un écrivain de talent qui est inconnu, c’est plus beau qu’un écrivain que tout le monde connaît » ; l’affirmation est de Paul Léautaud dont on peut imaginer sans peine qu’il a été lecteur fidèle de Tillier, qui demeure effectivement un auteur snobé. Romain Rolland n’a passé que les quatorze années de son existence dans la cité des flotteurs. Le collège de Clamecy n’en porte pas moins son nom. En revanche, Claude Tillier n’a quitté sa bonne ville que contraint et forcé et ses attaches avec Clamecy sont donc autrement solides. Il ne l’a quittée que lorsqu’il a été appelé à l’armée et puis lorsque l’enseignant qu’il était a du s’exiler à Nevers, faute d’élèves. Et il a laissé un roman extraordinaire, cet « Oncle Benjamin » que l’on ne trouve plus guère que dans les bibliothèques publiques. « C’est une langue bien difficile que le français. A peine écrit-on depuis quarante-cinq ans qu’on commence à sen apercevoir », avouait Colette. Eh bien Tillier n’a que quarante ans quand il publie ce livre qui évoque un homme à la fois épicurien et pourfendeur des nantis et des politiques, un livre qui fait penser au « Candide » de Voltaire tant par sa forme que par la qualité de la langue. Il mourra trois ans plus tard seulement après s’être consacré exclusivement au journalisme pour le compte d’une feuille de Nevers, « L’Association » à laquelle il donnera des pamphlets dont certains sont prophétiques. L’homme le plus haï de France A la différence de Claude Tillier, Romain Rolland a laissé, lui, une œuvre touffue faite de biographies et de son célèbre « Jean-Christophe » qu’on a lu très longtemps dans les écoles primaires. Et de « Colas Breugnon » qui se veut un pendant de « Mon oncle Benjamin » dont il n’a cependant pas la verve. L’homme le plus haï de France selon ses propres termes après son appel à la paix (« Au-dessus de la mêlée ») tend cependant à être moins apprécié aujourd’hui dans les encyclopédies littéraires, et les dictionnaires ont revu le lignage qu’ils lui accordaient voici quelques années encore à la baisse. Il n’empêche : Clamecy qui a toujours été contestataire n’oublie jamais de célébrer les deux auteurs et en 1994, pour le cinquantième anniversaire de sa disparition, Romain Rolland a inspiré spectacles, production de cassettes, etc. Mais s’il convient effectivement de saluer les deux auteurs, il serait dommage de bouder Jules Renard et Franc-Nohain qui ont toujours conservé de la terre nivernaise sur leurs chaussures. Certes le premier nommé est originaire de la Mayenne, mais il s’est attaché à Chaumot et à Chitry-les-Mines, commune dont il deviendra le maire. C’est ici qu’il puisera tout le ferment de ses « Histoires naturelles » et qu’il écrira une bonne partie de son fameux « Journal ». L’élu qu’il devait devenir ne se nourrira jamais d’illusions sur ses administrés : « je vois très bien mon buste sur la place de l’ancien cimetière avec cette inscription : A Jules Renard ses compatriotes indifférents », indiquera-t-il dans son « Journal ». Tillier se moquait des honneurs. Jules Renard en revanche se tournera les sangs dans ses quêtes pour obtenir la Légion d’honneur ou pour être accepté chez les Goncourt et à cet égard l’homme est parfois méprisable. Mais, bah !, il reste ce « Poil de carotte » et ce « Pain de ménage » que les directeurs de théâtre s’arrachèrent. Un singulier curé Auteur prolifique (il a composé des milliers et des milliers de vers que l’on ne retiendra pas), Bias Parent ne peut être oublié dans ce Panthéon des lettres qui couvrent tout juste l’épaisseur de deux cantons. Mais en ce qui le concerne, c’est plus en raison de son parcours personnel que ce grand ami du terrible Fouché rejoint Claude Tillier, Romain Rolland et Jules Renard. Engagé dans la prêtrise sans grande conviction, il se moquera dans ses premiers vers des « dévots sans pitié » et des « esclaves rampants » que produit sa religion. Bientôt il tombe dans le libertinage. Sade n’est pas loin. Parent séduit, on l’invite dans les salons. Il se voit gratifié du poste de principal du collège de Clamecy où il enseigne la rhétorique. Il attend fébrilement la Révolution. Elle arrive enfin. Il est élu alors maire de la commune voisine de Rix. Auteur d’un ouvrage de circonstance, un « dictionnaire des abus nés de la féodalité, du despotisme et de l’ignorance, à l’usage des habitants de la campagne », il ne s’arrête pas en si bon chemin : le voilà qui figure dans un petit groupe chargé d’instruire les enquêtes sur tous les suspects qu’on emprisonne. Cela ne l’empêche pas de se soucier de fonder une famille. Comme Fouché a décidé que tout prêtre constitutionnel doit dans un délai d’un mois se marier ou bien adopter un enfant, ou encore prendre en charge un vieillard indigent, il va épouser la fille d’un carabatier, Marie-Magdeleine Jouanin, dix-huit printemps. Il la rebaptise Tullie, comme la fille de Cicéron. Et il exige une cérémonie religieuse dans l’église de Rix avant de s’attaquer à la déchristianisation. Pour cela il réunit douze comparses qui seront chargés en particulier de s’en prendre aux édifices religieux, en particulier la collégiale de Clamecy où il a été baptisé. Les révolutionnaires multiplient les arrestations et parmi les victimes de cette traque il y a un certain Etienne-Laurent Bias, le frère de Bias. Il sera condamné à mort et l’ancien curé, malgré les injonctions de sa mère, n’essaiera pas de le sauver. Il lui écrira : « chère maman, mon cœur est formé du tien et rien n’est pas moins sensible, mais j’ai une patrie que j’aime mieux que ma propre vie ». Etienne-Laurent ne devra qu’à la chute de Robespierre d’échapper à la guillotine. La roue tourne : les amis de Bias Parent et Bias Parent lui-même sont arrêtés à leur tour et transférés à Paris après avoir été jugés à Clamecy. Le voyage se passe mal. A Coulanges-sur-Yonne, Courson et Auxerre, la foule tente d’ouvrir les charrettes dans lesquelles ils sont attachés deux à deux. Ils reviendront de Paris après que le tribunal révolutionnaire eut été dissous et seront emprisonnés à Nevers. Il s’en tirera bien puisqu’il se retrouvera administrateur du département. Il fonde un journal, « Le Questionneur » dans lequel il s’en prend toujours aux prêtres réfractaires. Dans le courant de janvier 1799, la police commence à s’intéresser à cet incorrigible agitateur ; « cet homme mérite d’être surveillé d’autant plus exactement qu’il écrit avec facilité et qu’il est possible qu’il se permette de faire des libelles opposés aux vues du gouvernement », indique un fonctionnaire de police. Il n’a bientôt plus d’emploi. Il se remet dont à l’écriture, confectionnant un nouveau « monument », un « Essai sur la bibliographie et sur les talents du bibliothécaire » et rédigeant des contes pour les enfants. Mais il va se rappeler au souvenir de Fouché qui a traversé toutes les crises et qui est ministre de la police. Son vieil ami lui procure un poste dans ses bureaux, mais il ne l’occupera pas bien longtemps puisque le 30 fructidor de l’an X (traduisez le 17 septembre 1802) il meurt à Dornecy à l’âge de quarante-huit ans, une année avant la naissance de Claude Tillier qui inspirera un essai à Bayle Parent, fils du précédent. Plus judicieuses que jolies Enfin tout à l’opposé de ce forcené de Bias Parent, il y a Franc-Nohain qui a vu le jour à Corbigny où se rendait souvent Jules Renard. De son vrai nom Maurice Legrand, il fit d’abord carrière dans le barreau pour le lâcher au profit de l’administration. Franc-Nohain puisque Franc-Nohain il y a donc, né en 1837 et mort en 1934, commencera par écrire des vers avant de se diriger vers le théâtre avec une certaine réussite. On lui devra ainsi des pièces comme « La fiancée du scaphandrier » et « Le chapeau chinois » qui connurent un bon sort, mais ne sont pas passées à la postérité pour autant. Jules Renard (encore lui) parle de Franc-Nohain dans son « Journal ». D’abord à l’occasion d’une conférence que le père de Jean Nohain et de Claude Dauphin devait faire : « de l’aplomb, une bonne voix, un peu trop administrative. Bon début et très bonne fin. Il distribue des prix à ses confrères, me donne le prix d’honneur, à Bernard le prix de littérature anglaise ». Mais Renard a toujours un mot féroce à placer. Sa pièce « La grenouille et le capucin », « c’est neuf concède-t-il, plein de choses plutôt judicieuses que jolies. Manque un peu de proportions et de clarté. Phrase trop littéraire, je veux dire : trop serpentine. Au théâtre, le sujet, le verbe et l’attribut suffisent. Plus, c’est trop.... » Il se montrera encore plus dur : « Franc-Nohain, né à Corbigny. Interne au lycée de Nevers. D’abord malheureux parce qu’il faisait des vers [... ] Je lui trouve une ambition de vieillard. Tout cela manque de jeunesse et de poésie. Préfère les choses curieuses aux belles choses, veut être connu, gagner de l’argent, dîner en ville, etc... ». Ce qui n’était pas le cas de Renard sans doute ? Impitoyable à l’égard de leurs confrères, les hommes de plume.... |
DU CÔTÉ DE CHEZ BENJAMIN | ![]() |
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de Jean-Claude Charlet Il existe vraisemblablement très peu de lieux comme Clamecy et ses environs – en l’occurrence la surface d’un canton ou deux – qui aient abrité autant d’auteurs de premier plan ayant en commun une vision à rebrousse-poil du monde qui les entoure. Un livre broché, format 15 x 23 cm, 160 pages sous couverture illustrée. |