Dans le premier cas, on se regarde le nombril ; dans le second, on réinvente le socialisme pour notre temps. Tel que c’est parti, nous ne voyons ni vraiment l’un, ni vraiment l’autre…

En France, les primaires sont organisées par la Constitution sous la forme du premier tour. Si l’on trouve plus démocratique que la société civile se prenne en main, la meilleure façon serait de supprimer le premier tour pour obliger tous les partis à se regrouper en candidats communs. Ce serait évidemment renforcer le régime bipartisan, droite et gauche, bien ou mal – chacun situant le « bien » où il veut – mais c’est ce qui a été choisi par l’équipe Jospin. La réforme du septennat en quinquennat a en effet été accompagnée de législatives dans la foulée pour bien donner une majorité au président. Alors que la gauche ne vienne pas donner des leçons sur le présidentialisme, s’il-vous-plaît !

Les socialistes ont donc décidé d’organiser des primaires en les ouvrant un tout petit peu aux sympathisants. Dans un régime de plus en plus présidentiel, cela donne une teinture de démocratie participative. Pourquoi pas ? Mais cela fait furieusement penser aux usines à gaz que les socialistes adorent parce qu’elles leur permettent de faire dans le réel tout ce que leur idéologie réprouve : accepter le marché (mais en « économie sociale »), privatiser (mais sous la forme de PERCO et PERP fabiusien – comprenne qui pourra), augmenter les impôts (mais par une Grrrrââândde réforme fiscale comme les Dix commandements). La primaire, c’est faire du « centralisme démocratique », un mot inventé par Lénine pour dire la mainmise du parti sur les électeurs. Sauf que DSK a khané et que le candidat « naturel » que la primaire ne devait que « confirmer » s’est déconsidéré.

 

 

 

 

 

 

 

 

Il faut donc prendre le train en marche ce qui, pour les socialistes, n’est jamais prévu (que ce soit en politique, en économie ou en diplomatie…). Dans ce contexte, François Hollande a toutes ses chances. Il est proche du pragmatisme et de la vision mondiale de Strauss-Kahn, tout en étant héritier de l’appareil, donc connu et apprécié par une grande part des militants. Il était candidat avant les autres alors que DSK restait possible, ce qui lui donne une longueur d’avance. Hors du parti, il est moins lié que Martine Aubry et moins connoté que Ségolène Royal. Laissons de côté les candidats de témoignage qui ne seront pas élus comme Montebourg, Valls et même l’improbable Baylet (qui le connaît, celui-là ?). Aubry a le handicap d’être considérée comme psychorigide, trop fille de son père et adepte des réformes Mitterrand désormais inadaptées (retraite à 60 ans, 35 heures) ; elle a un côté hamster qui grignote ses discours tout en restant dans le collectif, ce qui ne crée pas une image présidentielle. Royal a le handicap de sa voix de canard et de son agressivité intacte ; elle a des intuitions justes (ne pas augmenter les impôts, promouvoir la croissance verte nationale) mais elles sont noyées dans le galimatias anti-Sarko et antiparti. Reste Hollande.

Lors d’une élection présidentielle, ce qui compte est la personnalité, pas les idées partisanes. Le parti peut bien avoir un programme collectif ou du moins de grandes idées générales, ce n’est pas cela qui fait le bon candidat. Maintenir l’unité du parti ou représenter tous les Français ? Ce n’est en chacun des cas ni la même mission, ni la même personnalité requise. Ségolène Royal en 2006 a écrasé les vieux mâles dominants du PS qu’étaient Strauss-Kahn et Fabius pour cette raison. Mais c’est aussi pour cette raison que Martine Aubry a le handicap d’être l’émanation de l’appareil. Or les Français sont très attachés à la dimension personnelle de l’élection présidentielle. Ils restent soupçonneux envers les partis et les personnes d’appareil. Leur sentiment d’égalité et de dignité réprouve tout ce qui peut ressembler à une mafia, un politburo, une franc-maçonnerie élitiste où les initiés se parlent entre eux. Ce pourquoi la droite est plus souvent de plain pied avec les électeurs – que la gauche, restée léniniste dans l’âme.

Le programme du parti et son idéologie sont donc condamnés par la logique présidentielle. Le problème est que, pour être candidat soutenu par le parti, il faut gagner les primaires dans le parti – donc respecter le nous collectif et les intérêts catégoriels des militants… D’où les réponses dilatoires de Martine Aubry sur la crise de la dette, les déficits – et son envolée (qui ne mange pas de pain mais conforte profs et bobos) sur la Culture et les valeurs. Ce n’est pas cela qui préoccupe les électeurs populaires mais bien plus la compétence pour nager dans la mondialisation, la modération sur la fiscalité déjà très forte par rapport aux pays voisins, l’emploi public à réorganiser et l’emploi privé à encourager, enfin l’ouverture sur les partenaires européens sans qui l’on ne peut rien faire de concret. La position centre gauche de François Hollande est proche du centre de gravité de l’électorat français. Plutôt centre droit habituellement, l’expérience Sarkozy et l’épouvantail Marine repoussent doucement vers le centre gauche en 2012.

Mais cela ne tient qu’à un fil. Car Hollande a le handicap réel d’être devenu le chouchou des média. Or l’on sait ce qu’il advient des chouchous intello-médiatiques : Mendès-France, Chaban-Delmas, Barre, Rocard, Delors, Balladur, tous ceux qui étaient adulés par les bobos et que la presse parisienne faisait mousser ont été battus. Tropisme de gauche anarchiste (bien française celle-là, contrairement à la gauche prussienne et soviétique), les socialistes détestent les leaders et les tribuns. Jean-Luc Mélenchon en a fait l’expérience, Ségolène Royal aussi avec les éléphants. Qu’on se rappelle Fabius, si volontiers sage-donneur-de-leçons-de-morale : « qui va garder les enfants » ?

Alors : primaires socialistes ou socialistes primaires ? Gageons que ce sera partagé, pas très tentant pour les extérieurs au PS, pas très socialisme d’avenir pour les militants… Le PS va-t-il me donner tort cette fois-ci ? Les gosses le disent, les éléphants ça trompe – mais ce sont des gosses.

Argoul