CULTURE
Bourguignonne et amoureuse : Colette
le vendredi 23 mars 2012, 08:47 - CULTURE - Lien permanent
Citadine et campagnarde avec la même aisance, femme moderne encore aujourd'hui, elle est un merveilleux et tumultueux personnage
Une femme dont l’enfance heureuse – sans luxe ni confort mais entourée de parents qui s’aimaient - n’a jamais cessé de nourrir la vie adulte, de lui rendre la profonde joie de respirer, marcher dans le jour naissant dans les chemins herbus qui s’éveillent à la rosée, savoir qu’elle possède la vie, en est gourmande, avide, et peut se nourrir à satiété.
Belle, audacieuse, unique et avec la hardiesse de le rester envers et contre tout. Unique. Insoumise aux règles et à la raison. Férocement amoureuse au point d’en avoir trop mal parce qu’elle ne garde aucun refuge mais ne se départit pas de sa passion d’amante généreuse – et vengeresse dans l’amertume du souvenir.
Sidonie Gabrielle Colette, née en 1873 à Saint-Sauveur-Puisaye (Yonne) (toute sa vie elle gardera l’accent rocailleux et prononcera les R en les roulant comme des galets scintillants) … partie en 1954… et pourtant, toujours là, étonnement moderne, avant-gardiste et libre elle qui n’avait pas grande admiration pour les pré-féministes (les femmes libres ne sont pas des femmes et une femme qui se croit intelligente réclame les mêmes droits que l’homme. Une femme intelligente y renonce dira-t-elle). Car elle se voulait surtout féminine, ce qui comprend cet étrange et érotique flamenco amoureux que l’on danse avec l’homme que l’on aime. Et aimer, l’a-t-elle fait, Colette ! Trompée et utilisée, elle cherchera l’amour partout où elle pensera le trouver, y-compris dans des bras féminins ou ceux de son beau-fils. Tout lui laissera le goût salé des larmes qu’on ravale, et une faim nouvelle habillée de foi… qui la fera chercher et y croire encore.
Colette et Willy
Willy – dont ce n’était qu’un surnom puisqu’il s’appelait Henri, et qu’il fallait prononcer Villy avait 14 ans de plus qu’elle - ce n’était pas rare à l’époque - et était un homme aux cheveux se raréfiant déjà, d’embonpoint (135 kgs), mais aussi un don Juan infatigable. C’est à 16 ans, encore écolière parée de sa longue tresse de 2 mètres qu’elle avait commencé une liaison avec lui, alors que lui-même était l’amant d’une femme mariée qui lui donna un fils. A 20 ans elle l’épousa, mais ne put jamais en faire un homme fidèle. Il ramenait ses maîtresses à la maison pour des « parties à trois ». Il lui fit écrire tous les Claudine qu’il signait sans honte de son nom. Critique d’Art et critique musical à Paris, il était aussi un auteur à succès dont les œuvres étaient habituellement d’un « nègre »… On suppose que c’est une des infidélités de Willy qui fait qu’elle aura une maladie qui durera deux mois.
Il lui offre le domaine de Mont-Boucons à Besançon."Comme aux plus agréables des pièges, j’ai failli rester prise aux charmes des Monts-Boucons. Vieux arbres fruitiers, cerisiers et mirabelles ; murs épais, impétueux feux de bois, sèches alcôves craquantes – il s’en fallut de peu que de bourguignonne je ne tournasse bisontine, tout au moins franc-comtoise".
Elle y passera tous ses étés langoureux pendant 5 ans, jusqu'en 1907, lorsque Willy et elle se séparent et la maison est vendue. Aujourd'hui, on peut imaginer un peu de la douceur estivale de ces années d'une jeune femme amoureuse et quelque peu déçue puisque son ancien refuge offre des chambres d'hôtes.
La vie parisienne eut raison du bons sens campagnard de cette jolie jeune femme que son mari ne sut apprécier ni vraiment garder, pas plus que l’empêcher de faire voir à tous une poitrine parfaite et libre au Moulin Rouge. Lasse de relations charnelles hâtives et sans amour, des trahisons de son époux, à 34 ans, au lieu de se suicider comme elle y pensait dans ses crises de jalousie et de dépression, elle s’abandonna pour un temps à des affections saphiques et sentimentales, notamment avec Mathilde de Morny alias Missy.
Et puis elle se sentit prête pour les caresses d’un homme à nouveau, celles du Baron Henry de Jouvenel, rédacteur en chef au « Matin » où elle travaillait comme journaliste. Elle approchait de la quarantaine et savait que le monde du music-hall se fermait à elle. C’est d’Henry qu’elle aura sa fille Colette, dite Bel-Gazou.
Colette et Henry
Mais à nouveau, ce mariage-ci lui aussi tiédissait. Henry était infidèle, et suivait une carrière politique. Et elle, elle grossissait. Son petit mètre soixante-trois renfermait quatre-vingt kilos, elle se surnommait la grosse tritonne. Son mari faisait des conquêtes et elle conquérait enfin sa certitude d’avoir du talent. Journaliste et écrivain, elle savoura aussi sa passion de femme mûre pour un jeune homme de 16 ans – Bertrand de Jouvenel, le fils de son mari ! - qu’elle guida pendant près de 5 ans dans le monde du plaisir charnel mais aussi dans la découverte des fleurs, des arbres, des parfums, de la mer. Un amour impossible de plus, mais désormais Colette savait que l’amour l’était, tout au moins dans la manière où elle voulait le vivre. L’amour est illusoire mais on peut se repaître de l’illusion tant qu’elle dure. Elle avait 50 ans… le temps passe, et une illusion peut suffire.
Mais voilà qu’elle rencontra celui qui serait son troisième époux, l’écrivain Maurice Goudeket – un Juif d’alors 35 ans qui sera brièvement arrêté en 1941. Elle aimait ses cheveux noirs et sa peau satinée. Il plaisait aux femmes. Il la trouva trop en chair mais aima son profil, ses épaules et sa voix de bronze au timbre pénétrant. Elle avait beau avoir l’expérience des larmes et des affres de l’amour, elle quitta son jeune amant et entra dans cette nouvelle relation comme on fonce en courant dans un champ de blé mûr. C’était l’été indien de ses amours.
Toute sa vie elle sera une amoureuse exigeante et capricieuse, à la recherche d’une certitude d’être aimée qui fera d’elle une esclave.
Suzanne DEJAER
Commentaires
N'y a-t-il pas de Colette aujourd'hui qui bravent tout comme elle, si non plus ce qu'on lui caractérise ! En fait c'est juste fantasmatique de croire en une seule et unique personne qui au demeurant pour l'époque semblait unique. C'est ainsi ces choses là ne changent guère.
le texte est beau, la femme l'est moins, elle entretient des < arrière-pensées< et n'est pas claire avec les hommes, la recherche de l'imprévu, de l'insolite, de l'amour-sorcier l'entraine sur une pente dangereuse ; elle se retient, mais le mal est fait ; en attendant, quelle merveilleuse exploitation par elle : des sens, de la beauté masculine et de la nature, quelle générosité dans la contemplation de l'homme pour ce qu'il est le pauvre type - Il faut lire Colette, ne pas chercher à l'imiter, c'est un prodige de la sensibilité et du jugement féminin - Siffrein
Une femme qui depuis toujours suscite mon admiration, talentueuse, libre et sans préjugés !
Très bel article.
Superbe cet article, quelle Dame, quelle personnalité, j'adore...!
Dommage qu'elle ne soit pas de cette époque !
Super cet article ! Vraiment très intéressant
Quel beau texte