SOCIETE
Varices et bigoudis
le mercredi 26 décembre 2012, 08:49 - SOCIETE - Lien permanent
La fin du monde n'a pas eu lieu mais elle a beaucoup fait parler à l'image de ces deux commères au marché. Toute ressemblance avec des personnes"réelle" ne serait que pure coïncidence
- Je vous le dis, M’ame Michu, avec ou sans fin du monde ça va péter.
-Non, M’ame Daube, c’est sous contrôle. Une nourriture saine, un bas de contention, une cure annuelle à La Léchère : le docteur dit que ces varices m’enterreront.
-Il s’agit bien de vos varices ! Elles me font une belle jambe.
-Si c’est ma Brandt qui vous inquiète, merci pareillement, j’ai le contrat de confiance.
-C’est fou comme vous ramenez tout à votre petite personne !
-Ah ! c’est chez vous que ça va péter ? Votre rage contre vos voisins du dessus, je parie. Oh ! là, je vous comprends, M’ame Daube. Un couple démonstratif qui fait l’amour trois fois par nuit, cinq nuits par semaine dans une literie de Mathusalem et des murs de papier, ça oui, avec moi, il y a longtemps que ça aurait pété… Non ? Alors votre casque à friser. Je vous l’avais dit, on ne confie pas une tête fragile à un séchoir made in China. Vous mourrez chauve. Sans compter que les bigoudis c’est démodé. Sauf votre respect, ça ne vous arrange pas.
-C’est fou, Mme Michu, comme vous savez faire la bête. Vous y avez même des dispositions naturelles. De quoi nous parlions juste avant que vous me coupiez pour vous plaindre des jambes ? De la société française en général et de sa débandade en particulier. C’est tout de même autre chose ! Discussion d’ailleurs en miettes avec vous, car quoique variqueuse vous sautez toujours du coq à l’âne… Je récapitule en vrac : les fourberies de Mittal, le chômage à gogo, la violence à perpette, l’UMP chez les fous, Valls qui gesticule, Hollande qui n’en peut mais, les voyous qui flinguent pour deux carambars, l’école à refonder tous les cinq ans, les églises qui se vident, les mosquées qui se remplissent, j’en passe et je résume : une société gonflée à bloc, c’est-à-dire à bout de souffle. Je répète donc mon pronostic : ça va péter. J’aimerais votre avis. Formulez brièvement, j’ai à faire.
-C’était mieux avant.
-Je ne vous demande pas du mou pour mon chat, je vous demande un pronostic.
-Vous me dites de faire vite !
-Bon, M’ame Michu, eu égard à vos varices, posons un instant nos cabas, asseyons-nous dans cet abribus, l’un des rares de la ville encore debout. Je vous donne quatre minutes trente, le temps d’un œuf mollet : Oui ou non, selon vous, est-ce que ça va péter ?
-Vraiment, M’ame Daube, je me demande des fois pourquoi je vous cause encore. Adjudant-chef, soupe au lait, pisse-vinaigre, il ne vous manque plus que les poils… Non, ça ne va pas péter puisque ça pète déjà depuis des années, vous ne sentez pas ? ça s’étire comme une longue colique. Pour que ça pète un bon coup il faudrait du nerf et du muscle, y en a pas. Un petit exemple personnel et je me sauve, moi aussi j’ai à faire, qu’est-ce que vous croyez ?... Mon neveu Jérôme, vous voyez qui ? un blondinet chérubin qui avait fait sa communion, du scoutisme, du latin jusqu’en troisième et quatre années de faculté. Huit ans, M’ame Daube, que ce vieux gosse vit du RMI et de bidules au noir. Un samedi sur deux il voit sa fille d’une première femme et son garçon d’une deuxième, et pendant qu’il s’éclate les yeux sur ses écrans, la troisième trime dans un collège en zone sensible où elle se fait traiter de p... Eh bien, vous savez pas ce qu’il vient me dire l’autre fois, avec ses trente-quatre ans, l’œil humide, la voix tremblante et je peux vous dire que son haleine sentait pas la rose : « Tatie tout part en c... J’en peux plus. Pas d’horizon. Bouché de partout. Je veux plus continuer… Oh ! Tatie, qu’il me fait, tu te souviens des Noëls à Vernon, dans la grande maison des parents ? Tu arrivais dans ta Ford Fiesta avec des rires, des baisers à nez pointu qui m’enfonçait l’œil, des calissons, des fruits confis, des marrons glacés ? Je t’appelais Tati Marron, ça t’agaçait, les parents souriaient, se tenaient par la taille. Qu’est-ce qui leur a pris ensuite, à ces cons ? » Vrai, M’ame Daube, j’en aurais pleuré. Et ce blondinet déplumé qui enchaîne : « Tatie, tu voudrais bien que cette année je passe Noël chez toi, moi tout seul, avec la crèche, le sapin, les marrons et tout ? »… Vous voyez bien, M’ame Daube, ça pètera pas, ça coulera tout doucement, jusqu’au fond du lac. Ou pas, comme dit Laurent Delahousse. Sur ce mot d’espoir, je vous laisse. A la prochaine ! En attendant chantez donc Que sera. Et par les varices de Tati Marron, je vous en conjure, M’ame Daube, laissez tomber le café, le vingt-heures et les bigoudis.
ARION