"Nous sommes ici réunis en ce jour du 29 août 2015 à Pontigny  pour célébrer tous ensemble un bien triste anniversaire.
Les cent ans, à trois jours près, de l’exécution de Célestin PETIT né ici à Pontigny le 7 août 1882.
En effet, c’est le 1er septembre 1915, à Wesserling dans le Haut-Rhin, que fut fusillé pour l’exemple Célestin PETIT, fils d’Armand Petit et d’Anne Berger.
De Célestin Petit et Clotaire Lamidé, de Vaudeurs, tous deux membres du 37e régiment d’artillerie, le curieux apprendra seulement la date de leur exécution, à Husseren-Wesserling (Alsace). Pour le reste, rien de plus que cette simple mention : « Passé par les armes. »

Son acte de décès a été transmis à la mairie de Corvol l’Orgueilleux (Nièvre) le 11 décembre 1915. Son nom figure sur le monument aux morts de cette commune. Célestin PETIT repose aujourd’hui dans la tombe collective des neufs fusillés pour l’exemple du cimetière d’Husseren-Wesserling dans le Haut-Rhin.
Il rejoignait, hélas, la déjà longue liste des Fusillés pour l’exemple.
En 1914, on décompte 125 condamnations à mort et 237 en 1915. 110 en 1916, 74 en 1917 et 12 seulement, pourrait-on dire en 1918.
En 1914, les condamnés sont principalement accusés de s’être volontairement mutilés un membre (main, pied). Laisser sa main traîner au-dessus de la tranchée était passible du conseil de guerre.
En 1915 et 1916, on assiste de plus en plus à des désertions, puis se développent deux formes de crimes :
    •    le refus d’obéissance devant l’ennemi. Cette dénomination issue de la justice militaire est le prétexte à des condamnations totalement arbitraires notamment lorsque les généraux n’étaient pas satisfaits d’un repli de troupes ;
    •    l’abandon de poste. Il s’agit de désertion dans la majeure partie des cas.

En 1917, les condamnations concernent des comportements collectifs. Les célèbres mutineries du Chemin des Dames restent gravées dans les mémoires tant par leur caractère exceptionnel que dans la répression qui suivit6.
Le Poilu ne refuse pas de se battre mais il refuse d’attaquer à outrance. À Craonne, lors des sanglants assauts commandés par le général Nivelle, ce sont 30 000 hommes qui meurent en 10 jours (et 100 000 sont blessés).
En 1918, en France comme chez les Alliés, on constate un déclin des exécutions. En effet, les commandements militaires comprennent mieux l’état mental des soldats, les conséquences de l'obusite, ce choc psychologique provoqué par les conditions de vie des soldats notamment sous les bombardements.

Au tout début de la guerre, les militaires ont obtenu du gouvernement la présentation des prévenus devant le conseil de guerre sans instruction préalable. Début septembre 1914, le ministre de la Guerre abolissait les possibilités de recours en grâce et en révision. De plus, Joffre réussit à imposer aux politiques, la constitution de cours martiales dénommées « les conseils de guerre spéciaux », qui devaient juger rapidement et durement pour l’exemple. Les prévenus étaient jugés par une « cour » composée en général du commandant de régiment assisté de deux officiers. Ils votaient et la majorité scellait le sort du soldat. En cas de condamnation à mort la sentence était applicable dans les 24h selon les préconisations de Joffre. Ainsi les principes d’indépendance des juges, de débats contradictoires et enfin de recours ont été abolis. Sur les 600 fusillés pour l’exemple environ 430 l’ont été en 1914 et 1915.

Parmi ceux-ci, citons :
Sergent POLLET, accusé d’abandon de poste, tombé sous les balles françaises. Réhabilité.
Soldat GABRIELLI, faible d’esprit, tombé sous les balles françaises. Réhabillité.
Soldat CREMILLEUX, accusé d’abandon de poste, tombé sous les balles françaises . Réhabillité.
Soldat INCLAIR, accusé d’abandon de poste et dont la tombe fut creusée avant le verdict du conseil de guerre, tombé sous les balles françaises. Réhabillité.
Soldat MARCHAND, tué à bout portant sans procès en vertu de la monstrueuse loi martiale. Réhabillé.
Arthur CATHELAIN, accusé d’espionnage, fusillé. Réhabilité.
Lieutenant CHAPELANT, innocent auquel le tribunal spécial de justice militaire à refusé la réhabilitation.

Cette longue liste, hélas non exhaustive, ne concerne que les victimes pour lesquelles une solution de réhabilitation est intervenue, sauf pour le lieutenant  CHAPELANT ou pour ceux dont les dossiers ont été établis en vue d’une révision.
Officiellement, le nombre des condamnés et fusillés pendant la guerre 1914-1918 est de 1637, mais, certains auteurs estiment que le nombre des exécutions s’est élevé à 2500.

Dans de nombreux cas, les familles mal informées des circonstances qui entouraient la mort de leur parent, n’ont pas introduit de demandes en révision auprès du tribunal spécial de justice militaire, d’autres, aussi, ont craint de s’engager dans le maquis de la procédure. Il se peut encore que certains des « fusillés » n’avaient pas de famille.

Depuis plusieurs années maintenant, des organisations comme la Libre Pensée, le Mouvement de la Paix et de nombreuses sections départementales de la Ligue des droits de l’Homme  se prononcent  ensemble pour une réhabilitation collective des  « Fusillés pour l’Exemple ».

Cette  réhabilitation pour la Ligue des Droits de l’Homme ne peut être considérée achevée. Certains nombres,  victimes  d’injustices et d’arbitraires, dont plusieurs  cas ont été défendus sans obtenir encore satisfaction, doivent  enfin aboutir.
Qui pourrait prétendre pouvoir établir, cent ans après, la vérité des faits ?
Qui pourrait s’autoriser de façon certaine à dire : tel soldat a été fusillé «  à juste titre » et  tel autre non ?
Qui pourrait établir de façon irréfutable que les rapports qui constituent les dossiers de la justice militaire en temps de guerre sont des rapports insoupçonnables, objectifs, fiables ?
Qui découvrira que tel pauvre type a payé de sa vie des exactions qui  n‘étaient pas de son fait ?
Qui découvrira que tel sous-officier, tel officier a fait condamner à mort un innocent pour échapper lui-même à des poursuites ?

Aujourd’hui, nous sommes des centaines, voire des milliers, à nous battre dans ce sens.  Soit issus du milieu associatif, mais aussi de nombreuses familles de descendants de ces Poilus et de nombreux citoyens qui s’investissent dans ce combat : des historiens, des écrivains, une multitude de Français scandalisés par ces jugements arbitraires et ces exécutions sommaires.
Année après année, nous pouvons le reconnaître, notre cause avance. L’opinion publique, grâce aux actions menées, prend conscience, chaque jour un peu plus, de cette infamie qu’ont subie ces « Fusillés pour l’Exemple » et du scandale que des balles françaises purent tuer des Français.

Année après année, la chape de plomb s’effrite.
Et il ait bien une preuve qu’un intérêt grandissant existe, c’est, depuis peu, les vœux émis par diverses collectivités territoriales.
On ne compte plus ceux proposés par des conseils municipaux, mais aussi ceux des conseils aujourd’hui départementaux et les conseils régionaux.
Ce sont certes, des avancées, mais il nous faut, durant ces années à venir aller encore plus en avant, encore plus fort.
Depuis début 2014, partout en France, de nombreuses manifestations ont vu le jour et d’autres seront programmées dans les semaines et les mois à venir. Là, la gravure d’un nom sur un monument aux morts, là une cérémonie rendant hommage à un fusillé pour l’exemple ou encore des expositions qui sont le reflet poignant de la dure réalité du quotidien des Poilus et permettent de comprendre le comment et le pourquoi des désobéissances, des rébellions, de mutineries.
Toutes ces manifestations, ces cérémonies sont dignes d’intérêt et mériteraient d’être mieux connues, d’être recensées, d’être peut-être plus encore médiatisées.

Car il faut bien en être conscients, si  nous nous activons tous dans le noble but de faire progresser notre juste cause, toutes ces actions sont géographiquement dispersées, inconnues le plus souvent des uns et des autres, sans concertation, sans leur donner une envergure plus importante qui leur donnerait plus de solennité, plus d’écoute et de fait, plus de crédibilité.
Si l’union fait la force, ne nous privons donc pas de cette possibilité.
C’est forts de ce constat, que les membres de la section de la Ligue des Droits de l’Homme d’Auxerre, ont émis le projet d’essayer de fédérer l’ensemble de ces forces vives : acteurs associatifs, individuels, représentants des diverses collectivités territoriales, tous militant pour une réhabilitation des « Fusillés pour l’Exemple » et la réintégration de ceux-ci dans la mémoire collective.

Aujourd’hui, cet appel reçoit un écho favorable et nous sommes en mesure de pouvoir vous annoncer que l’Assemblée constituante de cette association se tiendra le 15 novembre à Escamps à 9h30, salle polyvalente, rue des Ecoles.
Elle sera précédée la veille, à partir de 18h00 d’une conférence sur les Fusillés pour l’exemple. Conférence animée par Eric Viot, historien, auteur de plusieurs livres sur la guerre 1914-1918 et qui s’implique comme d’autres dans le combat pour une réhabilitation collective.

Cette conférence laissera la place à un débat échange avec la salle puis nos amis de la Poudre d’Or auront le plaisir de nous présenter leur spectacle « Crosse en l’Air ».
Nous espérons que vous serez nombreux à être intéressés par ces deux journées et que vous aurez plaisir en conséquence à nous rejoindre.
Merci pour votre attention.

Joëlle Arvault

 

Pendant le discours de Joëlle Arvault (DR)