Une biographie signée Rémi Baillot réhabilite la part de lumière de "l'homme aux 250 inventions", plus doué pour les sciences que pour la vie et la politique où il se fracassa dans le fascisme ce qui valut à l'ami du Maréchal Pétain une condamnation à perpétuité.

Claude Georges

Le génie foudroyé

par Rémi Baillot

Editions EDP Sciences

538 pages illustrées, 39 euros

http://rbaillot.blogspot.com/

 remi.baillot@noos.fr

Contact / Elise Chatelain 
elise.chatelain@edpsciences.org / Tél. : 01 69 18 69 87
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Georges Claude (1870-1960) sur sa balançoire électrique à hélice suspendue aux arbres quadricentenaires de son manoir de Rueil-Malmaison. C’était son instrument de campagne pour se faire élire à l’Académie des sciences en 1924

                                                                 La conquête de l'énergie des mers

Georges Claude s'est, entre autres, préoccupé des problèmes de la production d’énergie et, à partir de 1926, il étudie et expérimente une méthode de production de l’électricité fondée sur la différence de température entre la surface (source chaude) et le fond (source froide) des mers chaudes (énergie thermique des mers). Avec Boucherot, il construit une turbine utilisant ce gradient de température entre les couches superficielles et profondes (1930). En 1933, tirant les leçons de la démonstration faite a Cuba en 1930, et en vue de réaliser une première expérience industrielle, Claude achète sur ses propres deniers le navire « La Tunisie », un cargo de 10 000 tonnes.

La Tunisie, ce cargo à vapeur fut transformé auxcAteliers et chantiers de France-Dunkerque, en 1933, pour devenir une usine de réfrigération capable de produire 2000 tonnes de glace par jour grâce à l'énergie thermique des mers. Cinq cents personnes ont travaillé sur ce projet durant un an.

Georges Claude finança lui-même cette extraordinaire opération ainsi que le tournage du film (1926) que vous pouvez regarder, aujourd'hui, en vidéo

 Georges CLAUDE  1870-1960
 
Fils d’un instituteur vosgien passé par les cours du soir du CNAM, Georges Claude (1870-1960) est exclusivement éduqué par son père. Il rencontre pour la première fois des camarades d’école à 15 ans en intégrant l’Ecole de Physique et Chimie Industrielles de Paris. Jeune électricien, chercheur à l’usine municipale des Halles à Paris, il invente la sécurité par la mise à la terre et se lie d’amitié avec Arsène d’Arsonval, le grand médecin physiologiste, qui le soutient à l’Académie et lui apprend l’art de faire valoir ses travaux.

A 24 ans il fonde une revue de vulgarisation L’Etincelle Electrique dont il assure toute la rédaction et la recherche iconographique. Il en vient à se passionner pour l’acétylène qui pourrait fournir l’éclairage des véhicules et dépose un important brevet de conditionnement de ce gaz qui a la fâcheuse manie d’exploser quand on le comprime. Espérant sauver cette invention en produisant de l’acétylène moins cher par l’oxygène, il s’ingénie à liquéfier l’air pour en séparer les composants. A force d’imagination et de ténacité, il réussit en 1902 là où les plus grands avaient échoué. Il liquéfie l’air à l’échelle industrielle par un procédé très élégant. Il crée L’Air Liquide, ‘’Société anonyme pour l’étude et l’exploitation des procédés Georges Claude’’, raison sociale qui demeure aujourd’hui. L’entreprise essaime rapidement dans le monde entier. Il extrait l’oxygène et de l’azote purs, l’hélium et le néon et ouvre quantité de nouveaux champs industriels en sidérurgie, soudage-coupage, éclairage, chimie, biologie, cryogénie...

Fourmillant d’idées, polarisé sur la science, il invente le tube au néon et fonde Les Lampes Claude. Son ouvrage ‘‘L’Electricité à la portée de tout le monde’’ connaît un vif succès couronné par le Prix Hébert de l’Académie des Sciences.

Nationaliste fervent, il se lance à corps perdu dans la guerre de 14 et invente quantité d’armes. Il embarque à bord des premiers avions pour mettre au point ses bombes à oxygène. Sur les ordres de Foch il crée d’invraisemblables chariots pour faire exploser les fils barbelés des tranchées ennemies. Il invente le guidage des tirs par le son, le canon à brai et réussit la liquéfaction industrielle du chlore pour riposter aux gaz de combat... Mais son génie inventif se heurte constamment au conservatisme, à l’esprit de chapelle et à l’arrogance des Services Techniques. Profondément blessé, il publie à compte d’auteur Politiciens et Polytechniciens. Seul baume au cœur, la Légion d’honneur que lui accorde le général Pétain avec lequel s’étaient créés des liens d’amitié et d’admiration réciproques.

Après la guerre, la frustration continue. Le gouvernement choisit le procédé de synthèse de l’ammoniaque de l’ignoble Fritz Haber, créateur des gaz de tranchée  scandaleusement gratifié d’un Prix Nobel, contre le procédé sous très haute pression que Georges Claude met au point à la Grande Paroisse. Encore une immense paternité industrielle, plus un très efficace procédé d’extraction de l’hydrogène… et une impérieuse raison d’acquérir une autorité en politique.

L’infatigable physicien conquiert encore argon, krypton et xénon qui favorisent le prodigieux essor du soudage et de l’éclairage dans le monde entier. Malgré son caractère peu diplomate Georges Claude est enfin élu à l’Académie des Sciences en 1924. Il achète une splendide propriété dans le parc de Richelieu, cinq hectares au cœur de Rueil. Immensément riche – il touche une part confortable des profits de L’Air Liquide – le savant  propose sa fortune pour résoudre la crise économique en France. Econduit, l’admirateur de Jules Verne consacre tous ses moyens et son inépuisable dynamisme à extraire l’énergie thermique des mers, ce qui lui vaut de rocambolesques aventures à Cuba puis à Rio de Janeiro.

Saisi par le démon de la politique, et peut-être du vedettariat, Georges Claude échoue de quelques voix aux législatives de 1928 à Fontainebleau. Ce choc et cette amertume le poussent à se rallier spectaculairement à l’Action Française. Il se lamente des méfaits de Versailles et de l’impuissance de la SDN. Il mène croisade pour la levée des sanctions contre l’Italie, il est récompensé par une médaille de Victor-Emmanuel et par une chaleureuse rencontre avec Mussolini à Rome.

La deuxième guerre surprend l’illustre inventeur à New York où il ne convainc pas les Américains de lutter avec nous. Il rentre précipitamment pour vivre la déroute de notre armée. Alors l’entier patriote jette son immense envie de servir aux pieds de Pétain qui l’enrôle dans ses services de propagande. Avec la ténacité et la naïveté de l’homme de science, il parcourt le pays pour  prôner la collaboration avec Hitler, seule route pour sauver la France. Par trois fois il se lance dans des tournées de conférences orchestrées par la Propaganda Staffel, reproduites par une presse en manque de papier et largement diffusées sur Radio-Paris. Enfermé dans une surdité qui explique sans doute son invraisemblable entêtement, il offre sa vie à l’appui de ses convictions et met en scène son ahurissant suicide en public. Sauvé in extremis, il s’enfonce dans sa fidélité au Maréchal et maintient sa position, même après le débarquement de Normandie.

Cueilli chez lui à la Libération, calomnié par la presse de gauche qui lui attribue l’invention des V-1, il échappe à la mort que réclame le Commissaire du Gouvernement à la Cour de Justice de la Seine. Grâce à quelques beaux témoignages dont celui de Paul Langevin et à son brillant avocat, Maurice Ribet, ‘‘la tête de Lavoisier sauve la sienne’’

Georges Claude ne renonce jamais. Dans sa cellule de Fresnes, l’électricien-physicien-chimiste continue imperturbablement à réfléchir, à chercher, à inventer. Son atroce surdité devient un atout pour s’isoler de ses camarades d’infortune. Après l’air, le feu, la mer, c’est la terre qu’il veut exploiter pour résoudre le grand problème de l’avenir : l’énergie. Libéré en 50, le vieillard continue sa traque à l’énergie et sollicite toutes ses relations pour confirmer ses intuitions par des forages à très grande profondeur.

Amnistié, le savant est submergé par la prise de conscience collective de l’horreur nazie. Il ne réussira pas à sortir de son terrible isolement, ni à retrouver son fauteuil à l’Académie des Sciences. Il meurt dans sa 90ème année, vite recouvert de la chape de silence que coulent tous ceux qu’il a terriblement dérangés et que maintiennent les satisfaits d’une Histoire écrite pour toujours.