Des personnages par qui le scandale arrive, savent garder une âme pure, dont la révolte n'obère pas leur amour de la beauté.

Lors de ses passages à Paris et aussi à Auxerre, Henry Miller écrira simplement :
 
"Je me souviens des reflets sur l’eau, des grands arbres qui se balançaient sur le doux ciel de France. Je me souviens d’avoir éprouvé alors une grande paix, une paix comme je n’en avais jamais connue dans mon pays natal.
Je regardai ma femme : elle était devenue une autre. Même les oiseaux avaient un autre air. On aimerait conserver à jamais de pareils instants … Comme disait le patron du restaurant de la rue Le Chapelais : ce n’était évidemment pas Paris!  Mais à certains égards c’était bien mieux que Paris. C’était plus français, plus authentique… “
 
" Le soir tombait quand j’arrivai en vue de la ville d’Auxerre qui, si mes souvenirs sont exacts, est sur l’Yonne. Il y avait un pont, comme dans toutes les villes françaises, et nous restâmes là un long moment, ma femme et moi, à regarder le reflet des arbres danser sur la rivière… A Auxerre, ce premier soir, nous dînâmes au bord du fleuve, dans une modeste petite auberge, et comme nous étions en vacances, nous nous offrîmes une bouteille de bon vin.
Je me souviens de la vue sur l’église depuis notre table, et du vin qui me descendait dans le gosier tandis que je la contemplai."
 
  (Extrait de "Tropique du Capricorne")


 
 
« CONFUSION est un mot que l'homme a inventé pour désigner l'ordre, mais quand il ne le comprend pas »


Cette citation d'Henry MILLER, est représentatif du personnage car la vie de Henry Miller (1891-1980) est déjà un roman. Né à Manhattan, en 1891, de parents d'origine allemande, Miller traine dans les quartiers de Brooklyn, suit un parcours scolaire en dents de scie et vit de petits boulots. En 1928, délaissant femme et enfant, Henry Miller se rend en Europe et en 1930 s'installe en France où il vit jusqu'à ce qu'éclate la Seconde Guerre mondiale. Ses premières années de bohème à Paris sont misérables, Miller devant lutter contre le froid et la faim alors qu'il vit à la cloche. Dormant chaque soir sous un porche différent, courant après les repas offerts ; la chance se présentera en la personne de Richard Osborn, un avocat américain, qui lui offre une chambre de son propre appartement. Chaque matin, Osborn laissait un billet de 10 francs à son intention sur la table de la cuisine.

Des amis tels que Anaïs Nin ou Alfred Perlès l'aident cependant à trouver du travail et surtout à publier son premier vrai roman, Tropique du Cancer. Henry Miller obtient rapidement une réputation d'écrivain underground, porté aux nues en Europe mais censuré aux Etats-Unis pendant près de trente ans en raison de ses écrits jugés scabreux qui contribueront massivement à une émancipation de la sexualité, tant au niveau purement artistique que légal. De retour en Amérique – plus précisément à Big Sur (Californie) – après avoir mis un point final à son Tropique du Capricorne (1939), Miller continue à griffonner d'arrache-pied (la Trilogie Plexus-Nexus-Sexus, notamment) avant d'abandonner l'écriture dans les années 60 et de se consacrer à la peinture. Il décède en 1980, après une retraite digne d'un ascète à Pacific Palisades, désormais paradis doré des stars hollywoodiennes.
 
En quittant l'Amérique, en abandonnant femme et enfant, Henry Miller ne fuit pas mais il se libère. Une liberté où d'abord tout semble s'effondrer et devoir se déconstruire; où il faut mourir avant de renaitre. C'est en France, celle d'avant guerre, qu'il procède à cette reconstruction. Une France si riche de paysages romantiques qui inspirent la sérénité et l'amour du beau, mais dont les rivières peuvent soudainement s'enfler  et déverser leur courroux ravageur.

Un pays d'une douce quiétude, qui parfois coupe la tête des rois, et envoie les aristocrates à la lanterne. Henry Miller ne pouvait qu'être à l'unisson de ce pays, où la "belle endormie" rêve de liberté, avec des réveils parfois brutaux. Pour Henry Miller cette quiétude apparente n'était qu'un reflet sur l'eau, dont il fallait transpercer la surface, pour en voir le tumulte libérateur. Il était de cette trempe d'écrivains qui ressentent plus le monde qu'ils ne le comprennent. Ce ne sont pas des témoins, mais des révélateurs de ce qui se trame en dessous des reflets. Pour ce faire ils se livrent en pâture à une société bien-pensante, pesant parfois à l'excès là où elle semble se figer. Les libérateurs sont avant tout des "déconstructeurs", bientôt relayés par toutes sortes de constructeurs, parfois à la petite semaine, parfois géniaux, mais qui n'auraient rien pu faire, sans le travail de ces dynamiteurs.

 

                                                                                                                      JEAN