Le bonhomme avait bâti, brin d'herbe après brin d'herbe, graine après graine, pierre après pierre, sur des terrains inondables achetés à vil prix sur les bords de l'Yonne.  Il avait tout pensé, tout imaginé de l'édifice, jusqu'aux courses des tondeuses. Il lui avait fallu trente ans tout en sachant que le chantier n'était pas achevé et que bien des efforts demeuraient à accomplir.

Guy Roux, le passionné, Guy Roux le manager, le druide, le magicien, le hérault, avait atteint ses limites, comme chacun d'entre nous. A l'issue d'une carrière exceptionnelle marquée par la longévité, la fidélité, la constance, la réussite et la persévérance.

Le bougre est connu dans toute l'Europe. Dans le microcosme et au-delà. Il a porté malgré lui le nom d'Auxerre au-delà de l'imaginable, dans l'irrationnel.

Justement, ce rationnaliste de culture juridique, imprégné de Descartes et Pascal à la fois, est habité par l'esprit. Dans sa vie, il a subi des épreuves -  dans la vie il n'y a pas de preuves - et des phénomènes que lui-même est incapable d'expliquer. Visionnaire, il a pressenti des événements, comme la mort de sa mère, le but dans la lucarne de Mlinaric à Cannes..., entre autres. Dans les bois de son grand-père à Appoingy  à des endroits précis, ou dans les forêts du Morvan, où poussent au milieu du granit les forces telluriques, Roux le sorcier, se couche à même le sol pour reprendre force et vigueur. Se ressourcer, vivre et survivre. Il en va ainsi depuis des décennies.

Guy Roux n'arrive pas à décrocher sinon pour ses petits enfants pour lesquels il est prêt à tous les sacrifices et à toutes les compromissions. GR  continue de se produire pour Canal+ et les annonceurs qui voient en lui une image ou un concept qui puisse contribuer à vendre leurs produits.

Mais il y a un moment , une heure, où il faut savoir s'arrêter. Se retirer.

A le voir, ce cher Guy Roux, en ce soir veillée de Ligue des Champions contre le Real de Madrid, club de légende des Di Stefano, Puskas et Gento, au milieu des journalistes jeunes et d'un autre monde déjà ; il nous a fait pitié. Non pas sa gueule abîmée par l'outrage des ans qui est le lot commun, non plus que l'attitude, la morphologie amortie, tassée comme bloquée immobilisée ou encore le regard vitreux, presque vide.... mais l'absence de révolte, d'indignation, de mouvement, de colère....

Guy Roux est devenu comme Jean Garnault, honnête homme s'il en fut, un personnage rangé comme sur une étagère, une relique, un objet, qu'il considère et regarde lui-même comme tel.

Et pourtant, nous est apparu de manière fulgurante et évidente, limpide, la profondeur et l'incommensurable humanité ainsi que l'amour, d'un homme, pour sa passion, le football et ses fantasmes.

Guy Roux, assis comme un bleu au premier rang de la conférence de presse de José Mourinho, le nouveau mythe du foot, mercenaire de la Ligue des Champions, double vainqueur dans deux pays, prétendant à un troisième titre ; c'était pathétique, triste, nostalgique à en crever. Le numéro de Mourinho s'inclinant devant un monument non pas en péril mais classé (le baiser qui tue ?), n'aura abusé personne et certainement pas les connaisseurs du jeu. Roux has been qu'on respecte comme pour l'enterrer définitivement ?

Et pourtant, en ce soir tombant où même la lune se cache, ce Roux là, replet et repus, assis respectueusement au premier rang devant le nouvel empereur du foot, ne symbolise-t-il pas l'espoir ?

Non, le vieux n'a toujours pas renoncé. Le fidèle est présent au poste, magré lui, en quelque sorte. On l'a senti gêné d'être là, avec sa main molle tendue. Vers quoi ? Pour quoi ? Pour qui ? C'est sa vérité, qui lui appartient.

En somme, son dessein l'a phagocité. Roux est la victime de lui-même. Que de lui-même. Il est dépassé, transcendé par l'AJA, sa créature. Et ne peut s'en séparer ni s'en défaire. Ca, Mourinho le mercenaire, l'a compris depuis longtemps.

Ce qu'il ne sait pas c'est que l'AJA peut gagner quand elle le veut. Car Roux a appris à l'AJA à gagner. Y compris contre les Kaizer. Frantz est tombé à Auxerre. Et comment avec fracas. Contre toute attente. C'était il y a longtemps...

Qui sait si GR ne s'est pas assis au premier rang pour jeter un sort aux Merengues ?

PIerre-Jules GAYE