Au-delà des faits et du fond, d’ailleurs inconnus et qui peut-être le resteront, le grand jury confirme la validité de la « mise en examen » et s’il plaide non coupable DSK devrait maintenant pouvoir bientôt commencer à faire entendre ses arguments : le temps de la défense va pouvoir commencer. Ce qui nous interpelle vraiment, se déroulant en direct sous nos yeux, c’est le fonctionnement judiciaire new yorkais. Un fossé profond nous sépare de nos amis américains. Cette prise de conscience tous les jours un peu plus forte, renforcée sur nos médias par les interventions de spécialistes du droit américain et du fonctionnement de « la balance » outre Atlantique, devrait nous encourager à enrichir notre réflexion sur l’extraordinaire diversité de ce que nous voudrions universelle : la justice.

Elle n’est en fait que l’expression, au travers de Lois et de règles, d’une recherche des équilibres plus ou moins rigides que se fixe une société définie pour essayer de garantir sa propre survie et une certaine cohésion sociale. Il n’y a pas de « vérité juridique » absolue. Ce qui est justice ici ne l’est pas ailleurs ; ce qui est « mal » et condamnable au sens de la Loi ici, peut tout à fait se révéler parfaitement acceptable là et non susceptible des mêmes poursuites ou avec des rigueurs très variables. Les Lois, les règles à ne pas enfreindre, sont humaines, multiformes, quelquefois contradictoires, souvent le résultat d’une histoire bien longue et de constructions sociales très dissemblables. Les essais d’harmonisation des notions de bien et de mal représentent une lutte perpétuelle vers un universalisme difficile à atteindre même dans les tribunaux internationaux.
Ce que révèle l’affaire new yorkaise de DSK c’est l’énorme fossé qui nous sépare de nos amis américains en la matière. Il est incompréhensible pour un Français de considérer avec bienveillance un système qui permettra au grès de l’avancement des débats et des preuves apportées par les uns ou les autres, de passer du « non coupable » au « coupable » simplement parce que la dernière formule permet la « négociation » avec une réduction des peines escomptées. Formule qui oblige souvent le non coupable à déclarer une culpabilité n’ayant rien à voir avec la réalité. Dans l’impossibilité de prouver sa bonne foi, l’innocent endosse une faute qu’il n’a pas commise. C’est bien là l’énorme différence : dans le système américain et dans tous les systèmes accusatoires, c’est à l’accusé de prouver son innocence et non pas à l’accusateur de démontrer la turpitude de son “adversaire”.
Ainsi un procureur convaincu peut employer tous les moyens pour faire fléchir la défense, y compris le mensonge, attendre pour abattre ses cartes, masquer des preuves pour surprendre et déstabiliser. C’est comme une terrible partie de poker qui s’engage. Une partie ou il faut payer pour voir ou « coucher son jeu » On comprend alors les stratégies obscures des défenseurs essayant de connaître les cartes des attaquants avant d’abattre ou non les leurs. Pour le commun des mortels chez nous, celui qui est innocent, complètement étranger aux faits reprochés, ne devrait pas avoir besoin de recourir à une stratégie quelconque, mais simplement à attendre l’insuffisance des preuves de l’accusation.
Revenant à New York et à la façade grise et austère du tribunal qui sert de toile de fond à des envoyés spéciaux essayant de dominer le bruit d’une rue en fureur aux sirènes hurlantes, c’est sur un trottoir aménagé d’une forêt de micros que le procureur Vance (him self) vient en quelques mots s’adresser au monde. Il dit en substance que la justice américaine n’a aucune leçons à recevoir, qu’elle est le résultat de plus de 200 années de construction démocratique, que ses « pierres » sont solides, aussi rudes pour les pauvres que pour les riches, protectrice à priori des présumées victimes. Un discours qui ressemblait beaucoup à une réponse voilée aux bruits et à la fureur venue d’Europe.

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