Gérard Bourgoin : on ne change pas les rayures d'un zèbre (DR)

On pourra certes épiloguer longtemps sur la question de savoir comment Alain Dujon le président de l'AJA en titre et en exercice a pu perdre le pouvoir au cours des dernières semaines de la saison dernière. Il avait toutes les cartes en mains et a réussi à tout perdre, avec un tour de force, celui de rassembler contre lui les "trois frères ennemis" Roux-Hamel-Bourgoin, pour une alliance de circonstance, le sauvetage du club, leur enfant, pas la moindre. Or, il n'y a pas d'âge pour voler au secours d'un enfant. Certes le détournement par un esprit de coterie de la destination du projet ficelé et financé de nouveau centre de formation a mis le feu aux poudres et provoqué l'union sacrée des anciens. Mais cela n'explique pas tout, le ver était dans le fruit et en-dehors. Cela a commencé par l'annonce unilatérale de la retraite du général Roux, au soir de la dernière victoire de l'AJA en Coupe de France, en 2005, où le manager général et l'inspirateur du club, vola la vedette au patro, sacrilège ! D'autant qu'il effectua deux ans plus tard un retour fracassant à la tête du RC Lens, avant de se fracasser avec pertes et profits, et Lens qui ne s'en est toujours pas remis. Toute cette histoire là, reste à écrire, pour l'anecdote, car qui intéresse-t-elle vraiment au bout du compte, sachant que les points de vue sont multiples et que personne ne peut prétendre détenir la vérité.

Revenons à nos moutons, plus exactement à l'ancien roi du poulet, celui des "Ducs", de Chailley, Gérard Bourgoin, qui intitula son autobiographie "L'Homme pressé" (TF1 Editions, tout un programme) en 1994, car une autre biographie reste à écrire aussi. C'est lui que ses amis sont allés cherchés pour l'envoyer au front contrer l'équipe Dujon dont les plans fumeux parce que connus d'eux seuls, ont touché au sacré du temple de l'Abbé-Deschamps et des valeurs qui ont fait l'identité et la fortune du petit club gaulois sur la scène internationale.

On pourra dire tout ce qu'on veut de Gérard Bourgoin, de ses pompes et de ses oeuvres en 3D et en noir et blanc. Mais on ne peut pas dire qu'il n'est pas un serviteur du club auquel il s'est voué corps et âme pendant plus de 35 ans, dans l'ombre plus que dans la lumière. On ne peut pas dire qu'il ne connait pas la musique du football, des hommes et du marché des transferts, milieu qu'il parcourt et sillonne en profondeur depuis des décennies. Il fut même pendant un an, président de la ligue nationale. Il fut aussi président d'un syndicat patronal créé par lui, président du Centre national des indépendants, vice-président du conseil général de l’Yonne, ami du dictateur Fidel Castro qu'il fit venir dans l'Yonne et du comédien Gérard Depardieu, investisseur dans le vin et le pétrole à Cuba et au Congo, avec des fortunes diverses. il est tout ça à la fois, et fut le seul de son écurie à terminer un Paris-Dakkar dramatique, en hérault, à la fin des années 80.

Jean Fernandez le premier ...

Quoiqu'il arrive, il conviendra de garder à l'esprit que ses proches sont allés le chercher pour revenir à l'AJA dans le rôle du pompier. D'ailleurs, le premier a l'appeler, au printemps lorsque l'AJA était au plus bas, ne fut-il pas Jean Fernandez, l'entraîneur sympathique qui a fait des miracles avec Auxerre au cours des cinq dernières années ? Si ce n'est pas une reconnaissance de compétence, on se demande ce que c'est. Fernandez a plusieurs fois eut recours aux services de Gérard Bourgoin, entraîneur mental, discipline peu connue de ce côté de l'Atlantique alors qu'elle est très implantée aux Etats-unis dans tous les sports de haut niveau, depuis la fin des années quatre-vingt. Lorsque l'équipe allait mal, le recours était Bourgoin, meneur d'hommes hors pair.

Ce qui caractérise l'action de Gérard Bourgoin depuis qu'il a pris la tête du club, c'est l'engéniérie adminsitrative, la mise en place d'un organigramme traduisant sa volonté politique. Une restructuration qui est en fait davantage une structuration et une adaptation nécessaire du club aux nouveaux défis posés par l'évolution de l'environnement. Laurent Fournier, le nouveau jeune entraîneur est venu seul sans staff, sans filet en quelque sorte. Elie Baup, Alain Perrin, Paul le Guen figuraient pourtant sur le liste des entraîneurs annoncés. Mais leur faiblesse est qu'ils débarquaient avec leur staff, soit des salaires en plus, des charges en plus pour le club du patro remis à flot par une grande partie du pactole de la Ligue des Champions (22 millions de francs) qui a permis, sous la présidence d'Alain Dujon, d'effacer trois exercices déficitaires.

Qui fait l'équipe ?

Adepte de l'ultra-libéralisme - aurait-il changé ? - le président Bourgoin a donc verouillé son organigramme sur le plan sportif avec un savant dosage de nouveaux et d'anciens dont Alain Fiard, ex-entraîneur adjoint de Guy Roux au début des années 2000, un fidèle et un humble. Il a solidifié et revalorisé des hommes en place montrant qu'il leur faisait confiance et qu'il comptait sur eux. Il a mis l'accent d'emblée sur le centre de formation d'élite comme courroie de transmission et d'approvisionnement de l'équipe fanion, qu'on se le dise. Sur le plan administratif, le nouveau président a créé un poste, celui de directeur général du club, qui doit superviser et animer les cadres et chefs de service qui fonctionnaient sous un régime de relative autogestion, au moindre coût, qui a longtemps fait ses preuves. La clé de voûte du système est Gérard Bourgoin, dans une configutation très hiérarchisée qui n'empêche pas l'autonomie à travers une politique d'objectifs et de missions. Mais le patron, qu'on ne s'y trompe pas c'est Bourgoin et personne d'autre. C'est lui qui décide et décide vite : on a pu s'en rendre compte avec le lancement de l'aménagement des nouveaux vestiaires pour 1 million d'euros et le début des travaux du projet de nouveau centre de formation dès la fin de la saison alors que le chantier était bloqué ainsi que les entrepreneurs qui avaient décroché les marchés.

La question que nous posons est donc de savoir, dans ces conditions, si Gérard Bourgoin, outre ses fonctions de président, n'est pas le manager général du club, tant au plan financier, administratif que sportif ? Autrement dit, quel est le degré de liberté de Laurent Fournier sur le plan sportif, y compris pour la composition de l'équipe ? Bernard Tapie était lui aussi un passionné, comme Bourgoin, de football, de stratégie et de tactique. Il a gagné une Coupe d'Europe, la plus prestigieuse. Tapie intervenait constamment auprès de ses entraîneurs, y compris le grand Raymond Goethals dit Raymond la science. Bourgoin fera-t-il (fait-il) de même ? Pourra-t-il s'en empêcher  si l'équipe en tourne pas rond ?

On ne change pas les rayures d'un zèbre, dit l'adage. On voit mal le patron de l'AJA, fonction suprême qu'il a toujours profondément respectée et souhaité exercer, comme la plus belle des reconnaissances, se désintéresser du sportif. Il a toutes les manettes en mains et peut bouger les pions sans effet dominos. Alors, oui, nous pensons que GB est le manager général de l'AJA, poste qui n'a plus été exercé depuis le retrait de Guy Roux, sinon par Jean-Claude Hamel avec le bonheur que l'on sait. Un manager général à l'anglaise, qui concentre tous les pouvoirs, le financier en plus !

Le portrait de Dorian Gray

L'autre question que se pose le quidam qui semble perplexe et revient inlassablement dans les conversations, est celle de la qualité du recrutement à l'AJA, cette année, plus difficile à décrypter que jamais. Bien malin celui qui peut répondre à cette question. Seule la vérité du terrain le dira. Quand on sait que Manchester City détenu par un cheik arabe a dépensé 400 millions d'euros en quatre ans en achat de joueurs et vient seulement de remporter son premier titre, la Coupe d'Angleterre après 35 ans de disette, cela laisse rêveur. L'argent et le talent ne suffisent pas à former une équipe compétitive et efficace. Le PSG qui vient de débourser près de 100 millions d'euros en achet de joueurs, ne sera pas forcément champion de France à la fin de la saison 2012.

Mais Bourgoin connait la musique qui a pris part à l'aventure programmée de l'AJA dans les années 70 et a participé à la construction de l'édifice. Il connait les hommes, le foot, le terrain, les aléas, les schémas tactiques même s'il a été abreuvé, au contact intime de Guy Roux, par le marquage individuel à l'italienne fondé sur une conditon physique à toute épreuve puis à l'individuelle dans la zone qui requiert déjà davantage d'intelligence.

Auxerre débute à Montpellier, samedi (21 heures), un stade de la Mosson que GB connait bien tout comme le président Louis Nicollin, qui figure un des derniers anciens de génération.  Aussi, nous autoriserons-nous cette saillie. La vraie question ne serait-elle pas celle-ci : Gérard Bourgoin, à 72 ans, est-il encore Gérard Bourgoin ? Gérard Bourgoin, président de l'AJA est-il toujours Gérard Bourgoin ? Peut-il faire mieux que Roux et Hamel enfin réunis ? Et que les cheiks d'Arabie ? 


                                                                                                                                         Pierre-Jules GAYE