Situé aux confins de l’Yonne sur le territoire de la commune de Cruzy-le-Châtel, non loin de Tonnerre, Tanlay et Ancy-le-Franc, le château de Maulnes a été construit dans la deuxième moitié du XVIème siècle par des commanditaires influents. Il a connu à travers les siècles des utilisations diverses et discutées, mais en dépit des outrages que lui ont fait subir les hommes et le temps, il a conservé une part de mystère et de poésie qui continue aujourd’hui de nourrir notre imaginaire.

Un petit tour par Maulnes ne serait pas une mauvaise idée en cette période estivale pour admirer cette surprenante architecture.

Maulnes

Maulnes en 1947

 

LA "VRAIE" HISTOIRE DE MAULNES (document envoyé par mchamant@free.fr)

Elle est courte mais pas simple ! Car c’est une histoire à épisodes en un temps où les inventions artistiques explosaient comme un feu d’artifice, où la plupart des gens vivaient courtement, en un temps qui verra des troubles chroniques qui s’appelleront les Guerres de religion, terme pudique pour dénommer les pires guerres civiles en France. MAULNES n’est pas qu’un chantier de château extraordinaire commencé en 1566 ! Son histoire s’étire sur quelques années durant la vie de Louise de Clermont-Tallart, comtesse de Tonnerre, puis duchesse d’Uzès, qui elle a vécu 90 ans.

Avant ce chantier existe un projet « primitif ». C’est un manifeste « maniériste » très rigoureux; notamment par son logis pentagonal qui présente 15 baies identiques par étage sur 5 niveaux… une architecture rêvée dans une composition de figures géométriques qui s’articulent dans l’espace. L’ensemble des 3 plans conservés à N-Y. de ce projet primitif de MAULNES peut-il être intégralement un « modèle » ?

C'est-à-dire entièrement une fiction ? Fiction affranchie de toute localisation et dissociée de toute contingence, à savoir l’existence des sources qui conditionne la réalité de l’eau courante dans les deux bassins et la vasque centrale du cœur de l’escalier de MAULNES ? Ce n’est pas impossible, mais ce serait une fiction très détaillée, très complète… tellement complète qu’elle paraît peu probable concernant le « plan général », alors que les deux plans d’étages sont aisément plus conciliables avec un principe de « modèle ». Le rapprochement s’impose entre ce projet « primitif » de MAULNES et Serlio qui depuis 1546, construit Ancy-Le-Franc, voisin, pour un frère de Louise. Celle-ci en 1550 devient pleine comtesse de Tonnerre en lieu de ce frère Antoine III de Clermont et elle dirige l’exploitation de ses forêts de MAULNES sur mandat de son époux François du Bellay. Mais son mari va mourir en 1553, et son fils, comme Serlio, en 1554. Quels liens plus précis entre ce projet « primitif » et cette première phase de la vie de Louise de Clermont, épouse du Bellay ? Le projet « primitif » serait-il enterré avec les du Bellay, père et fils ?

De Serlio il a été retrouvé un modèle d’église pentagonale, gravé au Libro V-1547, qui très curieusement, parmi d’autres exemples présente la particularité de situer le plan de sa coupole de couronnement au centre de son plan de rez de chaussée. Comme si Serlio avait précédé et inspiré Ducerceau dans sa méthode de synthétiser ses plans. Serlio peut-être inspiré par le Caprarole de Peruzzi aurait de toutes façons posé les plans primitifs de MAULNES avant ceux du Caprarole de Vignole. Voilà qui renverserait radicalement la propositionde filiation stylistique de MAULNES

Louise se remarie en 1556 avec Antoine de Crussol, beaucoup plus jeune qu’elle. Dix ans après, et élevés à la dignité de duc d’Uzès, c’est un nouveau projet qui est mis en chantier en 1566 sur la base du projet « primitif » très profondément remanié, et inséré au centre de forêts sombres et profondes qui seront aussi aménagées, ouvertes et domestiquées par des « lignes », des allées. En ce temps les premiers troubles de ce qui deviendra « les guerres de religion » sont dépassés… c’est la paix ! et le chantier de 1566 construit un projet de temps de paix : ouvert, continu; simplement enceint d’une « figure militaire » mais comme ce peut être considéré de tradition pour une propriété de « généralissime », avant-hier comme hier !

Les troubles recommencent en 1569-70, persistent, et s’amplifient. Ils sont principalement le fait de très proches et puissants voisins de MAULNES: les Coligny installés à Tanlay et Quincy, Condé à Noyers/Serein et à Vallery. Décision est prise d’adapter le chantier de MAULNES à cette nouvelle situation d’état de guerre. Ce qui revient à doubler l’enceinte générale par un mur taluté créant un fossé, et à fortifier le logis. Sa pointe Nord est fermée par un massif de maçonnerie, et la tête de galerie écartée. Pont-levis, passerelle destructible, porche transformé en vestibule, baies fermées ou rétrécies, meurtrières : tout concourt à renforcer sa sécurité. En fait ce massif Nord existait au projet « primitif » mais avait été abandonné pour plus de confort !

Nouveau fait dramatique en août 1573: Crussol meurt des suites du siège de La Rochelle ! Louise à nouveau veuve laisse beaucoup de choses en plan à l’intérieur de l’enceinte ou dans les parties supérieures du logis, dont elle modifie l’appartement noble. Il est alors sûrement scindé en deux, occasionnant une surcharge à la source de troubles très sérieux dans la pointe Nord du logis. La galerie supérieure est vraisemblablement fermée et abandonnée ce qui entraînera sa démolition environ 100 ans après !

Louise abandonne MAULNES à partir de 1575. Elle cherche même en vain à échanger le comté de Tonnerre contre celui du Lauragais. Elle n’y reviendrait plus et y loge deux de ses anciens officiers lui donnant une vocation bourgeoise, paradoxalement au moment même où Jacques 1° Androuet Ducerceau achève son premier volume des « Plus excellents bastiments de France » et hisse MAULNES au rang de demeures princières et royales.

Cette publication qui sauve MAULNES, in fine, repoussée en 1579, s’avère très ambiguë car elle réunit « le plan général primitif » légèrement détaillé, avec les façades de 1570 et la double enceinte de 1573. Ces deux gravures cumulent incohérences et erreurs qui prouvent d’une part que Ducerceau n’est pas l’auteur de MAULNES et par ailleurs qu’il a fait transcrire le plan « primitif » qu’On lui a communiqué, soit avant qu’il ne soit obsolète, soit sans connaître le plan réalisé dont notamment la surface du logis est réduite d’un quart, alors qu’il a tracé et bâclé les façades construites beaucoup plus tardivement, avec des incohérences d’échelle entre avant-corps et logis, sans rien modifier en plan sinon la double enceinte qui n’a pas d’accès. On doute même que Ducerceau soit venu à MAULNES ! Mais c’est un chantier effectivement extraordinaire… pourvu d’un confort comme chaudière et eau courante dont on a peu d’équivalent dans les constructions contemporaines. Qui plus est, c’est le chantier des favoris de la reine… des favoris très malheureux au temps de l’achèvement du premier volume, s’ouvrant sur le Louvre, fermant sur MAULNES, puisque Crussol est mort au service du roi et Louise veuve à nouveau, sans enfant, est sujette à de multiples procès de successions : celle de ses parents, celle de son premier époux et de son fils du Bellay, celle de Crussol !

Le ou les architectes de MAULNES sont inconnus, ce qui en renforce le mystère. Sûrement du premier cercle des architectes de la cour. Dans la controverse, nombreux sont ceux qui inclinent pour Serlio, NON bien sûr pour le chantier de 1566, mais pour le projet « primitif » et pour Delorme pour le chantier de 1566, à moins, comme je le suggère, que ce ne soit son grand rival Primatice, cependant associé à Delorme pour ses charpentes d’avant-garde qui couvraient avant-corps et galerie.