Né Kurt Gerson, Juif, il avait fait la « grande guerre » où il s’était valu quelques blessures, et fait des études de médecine. Pourtant, en 1920, à l’âge de 23 ans, il devint… acteur. Il devint Kurt Gerron.  Un acteur sans doute en possession d’un bel avenir, puisqu’il joua dans l’Ange bleu avec l’inégalable Marlène Dietrich (il y est le propriétaire du cabaret)  et interpréta son propre rôle dans Les hommes le dimanche, un film muet de Robert Siodmark (Pour sa première réalisation, Robert Siodmak réunit autour de lui, à la technique, quelques futurs grands noms du cinéma aux Etats Unis : son frère Kurt (Curt) Siodmak, Eugen Schüfftan (qui travailla d'abord, en Allemagne, avec Georg Wilhelm Pabst entre autres),  Billie (Billy) Wilder, Fred Zinnemann et Edgar G. Ulmer. C'est ce "casting" qui a fait la réputation de Les Hommes le dimanche, outre ses qualités propres.)

 


C’est en France puis aux Pays-Bas qu’il se réfugia à l’arrivée des nazis au pouvoir, et continua son activité d’acteur et de metteur en scène de théâtre. Ses amis allemands du monde du cinéma s’en étaient allés un par un aux Etats-Unis, pressentant l’arrivée du pire. De Hollywood on lui offrit même de payer son passage en bateau mais…  inconscience ou trop d’orgueil, il refusa de comprendre l’ampleur du désastre à venir et attendit des jours meilleurs.

 

 

Il fut finalement interné au camp de Theresienstadt - aujourd’hui en République Tchèque. Gerron, qu’un autre prisonnier du camp décrit comme un grand homme fort avec la mentalité d’un enfant, continua de croire que tout irait bien, qu’il suffisait de se plier aux contraintes du présent sans faire de bruit. Il fut flatté que l’on reconnaisse son talent de metteur en scène quand les nazis lui demandèrent, lui garantissant qu’il aurait la vie sauve, de faire un film de propagande de 23 minutes sur le camp de Theresienstadt (Le Fuehrer donne une ville aux Juifs) où on "démontrait" que les Juifs menaient une vie  saine de travail fait dans la joie, de fraternité chantante. Les enfants y jouent au football dans une liesse parfaite, d’heureux travailleurs font des sacs, de la poterie, ferrent les chevaux sans perdre le sourire.  On se nourrit abondement de sandwiches avec l’appétit des gens heureux. Avec, en musique de fond, La gaîté parisienne d’Offenbach ou By Mir Bist Du Schoen… 

La raison de ce documentaire était que les Allemands s’inquiétaient de l’opinion publique au sujet de la disparition de Juifs connus et respectés : artistes, savants, décorés ou mutilés de la Première Guerre mondiale. Il fallait donc rectifier l’idée que l’on avait à l’extérieur, des camps, et ainsi naquit la propagande pour Theresienstadt :

« C’est le 20 janvier 1942, lors de la conférence de Wannsee que le double-statut de Theresienstadt ― camp de transit pour les Juifs du Protectorat de Bohême-Moravie et ghetto pour les Juifs du Reich âgés de plus de 65 ans (Ältersghetto), où ils pourront s’éteindre d’eux-mêmes, et pour les Prominenten ― est officialisé. À partir de 1943, il renferme aussi les « cas particuliers » des lois de Nuremberg (mariages mixtes, « demi-Juifs » issus d’un parent non juif…). Le camp de Theresienstadt, où la correspondance écrite (courrier) avec l’extérieur sera encouragée tout en étant rigoureusement surveillée voire manipulée, est donc conçu par Heydrich pour répondre aux interrogations de l’opinion publique sur le traitement des Juifs dans les camps.

Très rapidement, une riche vie culturelle s'y développe. Des artistes de premier ordre sont passés par Theresienstadt, ou y trouvèrent la mort : écrivains, peintres, scientifiques, juristes, diplomates, musiciens et universitaires se retrouvent dans la cité.

La communauté de Theresienstadt veille à ce que tous les enfants poursuivent leur scolarité. Des classes quotidiennes et des activités sportives sont organisées, le magazine Vedem est publié. 15 000 enfants bénéficient de ces mesures, sur lesquels à peine 1 100 étaient encore en vie à la fin de la guerre. D'autres estimations font état d'à peine 150 enfants survivants.

Les conditions de vie à Theresienstadt sont extrêmement difficiles. Sur une superficie qui accueillait jusque-là 7 000 Tchèques, environ 50 000 juifs sont rassemblés. La nourriture est rare : en 1942, environ 16 000 personnes meurent de faim ; parmi elles, Esther Adolphine, une sœur de Sigmund Freud, qui décède le 29 septembre 1942.

En 1943, 500 juifs du Danemark sont déportés à Theresienstadt, après avoir failli s'enfuir en Suède à l'arrivée des nazis. Cette arrivée de Danois aura une conséquence importante : le gouvernement danois insiste en effet pour que la Croix-Rouge ait accès au ghetto, à l'inverse de la plupart des gouvernements européens qui ne s'occupent guère du traitement réservé à leurs citoyens juifs. » (Wikipedia)

 

Jusqu’à la fin Kurt Gerron refusa de comprendre que sa vie avait changé à tout jamais et se cramponna à son illusion. Ironiquement, il fut gazé à Auschwitz en octobre 1944, le jour avant que Himmler ne donne l’ordre de fermer les chambres à gaz.

 

                                                                                                      Suzanne Dejaer